J’avais pu guider personne finalement. Pas dans le village Troglodyte du moins. Mais je ne m’étais pas démontée. J’avais marché seule jusqu’à l’Orée d’Emeraude, où j’avais entrepris de recommencer ma recherche de personnes à guider. En espérant que les gens dans un village si grand ignoreraient une petite créature qui ressemblait à une hybride grenouille. Pour mieux passer inaperçue, j’avais mis un bandeau autour de mes oreilles, afin de les plaquer contre ma tête, et qu’elles ne dépassent pas.

Ben j’avais été attrapée bien rapidement. La milice m’avait un peu ignorée au début, pensant certainement que je n’étais probablement qu’une enfant.

Mais après un petit moment à déambuler dans les passerelles et autour des maisons, J’avais enfin repéré un groupe d’étrangers que je pourrais probablement guider dans le pays, voire au dehors. Je m’étais alors approchée d’eux et avec mon meilleur sourire je leur avais parlé de mes talents et connaissances pour ensuite leur proposer mes services. Ils m’avaient dans un premier temps ignorée.

J’avais évidemment insisté, et ce fut la mon erreur : il avaient remarqué ma peau verte et mes dents pointues. J’avais essayé de leur dire que j’étais hybride grenouille avec un père hybride requin, ils se sont faits de plus en plus suspicieux. Quand j’ai compris que j’allais me mettre dans la panade, j’ai essayé de m’en aller. Mais je les avait vus prévenir la milice qui s’était mise en chasse de moi aussitôt. Ils m’avaient bien vite attrapée malgré mes efforts pour leur échapper.

Ils n’avaient pas hésité à user de leurs lances, le côté en bois heureusement quand ils avaient décidé de me frapper ; probablement le bénéfice du doute. Mais j’avais été traînée jusqu’en dehors de la ville, avant qu’ils ne me jettent mes affaires dessus après les avoir fouillées et dépouillées de tous mes objets de valeur. En larmes, j’avais rassemblé mes affaires éparpillées et avait commencé à marcher pour m’enfoncer dans la forêt et y être tranquille le temps de me remettre de mes émotions.

Je n’avais plus rien à échanger pour voyager, personne à guider en échange de nourriture et d’un toit, j’avais froid et était démoralisée. Cela faisait plusieurs jours mais, peut-être devrais-je retourner chez mon père et y vivre l’existence misérable à laquelle il m’avait condamnée.

Treag n’était pas spécialement une héroine, mais elle avait bon cœur. Elle venait de rentrer de peu du conflit de Solaria. Elle avait même reçu une récompense de la part de Cerah. Ce n’était pas tous les jours que ça arrivait, mais elle l’accepta volontiers. De fait, elle était un peu connue, sans parler qu’elle était Ouroboros.

Ce fut un timing assez bénéfique mine de rien. Et un autre timing fut qu’elle vit une scène pour le moins suspicieuse. Des gardes jetaient une petite personne hors de l’endroit. Cerah était relativement paisible habituellement, mais elle savait que le pays avait été attaqué de toute part. Les esprits étaient échauffés.

Elle vint cependant à la rencontre des gardes. Bien sûr, si elle avait été une autre damnée, elle aurait surement eu un accueil plus distant et froid. Mais quand un colosse comme elle demandait avec ce qu’elle venait de faire. Quand celle-ci grogne de mécontentement, on écoute. Elle pouvait comprendre que les esprits pouvaient être échauffées, mais de là à virer quelqu’un sur base d’une différence physique ? Oui, elle pouvait être une espionne à la limite ou une innocente.

Bon, ils avaient abusé… Elle les bouscula en direction de la forêt, maussade. Elle ne savait pas pour les biens. Elle les aurait surement assommé pour récupérer les objets pris. Cela ne se faisait pas même s’il pensait que c’était du vol. Elle était où la foutue présomption d’innocence.

De sa démarche imposante, elle écouta. Des pleurs. Elle soupira. Si c’était ça la dépéris espionne, elle était vraiment douée pour masquer ses émotions. S’approchant, elle leva les mains en signe de paix. Ok, elle n’avait pas forcément la gueule d’un porte bonheur avec son teint rouge, son armure de cuir noire de jet, sa hache de guerre à la ceinture et son épaisse cape. Malgré l’armure, on pouvait voir une certaine lumière s’allumant et s’éteignant, comme si une flamme habitait son cœur.

« Pas de panique, ma puce »

Ne cherchez pas à forcément comprendre les surnoms de Treag.

« Je viens juste voir comment tu vas. T’as faim ? J’ai amené pas mal de trucs à bouffer pour mon voyage. Je peux t’en filer si tu veux. »

Elle ne se pencha pas pour parler. Elle restait à une certaine distance, lui laissant l’occasion de filer si la petite le voulait. Elle savait que ce n’était pas toujours évident ce genre de situation.

Je ne restais pas longtemps à pleurer comme une idiote, une voix me faisant sursauter.

—Pas de panique, ma puce.

C’était une géante rouge, probablement damnée elle aussi à voir son apparence, ses cornes, et la lumière qui émanait de son coeur. « Ma puce », c’était ainsi que m’appelait il y avait quelques années mon père, entre deux engueulades de la personne qui comptait le plus pour moi. Mais je ne pouvais pas tenir rigueur à cette femme, pas pour ça. Instinctivement je flippais tout de même, je ne savais pas si cette damnée versais ou pas dans la magie interdite, et peut-être qu’elle voulait ma peau ou pire.

Je revenais à ma position initiale, les genoux contre la poitrine, plutôt qu’en position de défense et prête à détaler. J’étais moi-même damnée, et elle n’avait vraiment rien d’hostile. J’essuyais mes larmes et baissais les yeux.

J’avais effectivement faim, et plus rien à échanger contre de la nourriture. Je prenais conscience que les offres comme ça, je n’aurais désormais plus le loisir de les refuser. Tentant de reprendre de la contenance. Je demandais de ma toute petite voix abattue malgré moi :

—vous voulez aller quelque part ? J’suis guide, j’peux vous y emmener.

Restant à bonne distance, Treag ne fit guère de mention de ses larmes. Si la petite voulait pleurer, qu’elle pleure. Elle ne comptait pas l’humilier de laisser filter ses émotions. Elle, elle se serait défoulé sur un arbre…ou plusieurs. Voir, elle aurait complètement refait le portrait de ceux qui l’avaient emmerdé. La violence n’était pas la solution ? C’était bien une phrase de quelqu’un qui n’avait pas de force.

« Alors. Bon. T’es bien mignonne, mais je suis pas une bonne cliente pour ça. »

Elle lui adressa un large sourire. Elle sortit du pain, quelques fruits. Elle mit le tout dans une serviette qu’elle posa devant la petite femme. On aurait dit un lapin prêt à se sauver… ou à faire un arrêt cardiaque de peur. Treag ne demandait rien en retour. Elle ne cherchait pas à être guidé.

« Franchement, ça fait une paire d’année que je roule ma bosse. Ne t’en fais pas pour moi. Tu manges gratos pour aujourd’hui. »

S’asseyant par terre, jambes croisées, la demi-géante avait bien décidé de se poser ici visiblement. Ou plutôt, elle allait devenir une oreille à la lapine. Enfin, elle allait essayer d’être une bonne oreille. Elle était davantage une bonne bourrine qu’une bonne oreille, il ne fallait pas se mentir.

« Et en plus, j’ai l’impression que tu es tombée au pire moment. Dans le coin, il y a des dépéris qu’on fait des leurs de ce que j’ai compris. On est assez mal vu pour le moment. Pas facile quand on a une gueule un peu différente. »

Elle se grattait la tête. Elle ne savait pas trop comment s’y prendre pour rassurer les gens sur ce nouvel état.

« Ca fait longtemps que tu veux guider les gens ? »

Elle me répondit qu’elle n’était pas une bonne cliente pour ça. Toute penaude, je l’écoutait me dire que je mangerais gratuitement aujourd’hui tandis qu’elle sortait de son sac des mets que j’avais bien envie d’avaler.

Elle me confia qu’elle avait assez d’expérience pour pas que je m’inquiète pour elle, je n’aurais pas à gagner ma pitance aujourd’hui.

Elle s’assit non loin de moi, et me parla doucement, qu’on était mal vus en ce moment à cause de certains événements dont je n’avais connaissance. Puis elle me demanda si ça faisait longtemps que je voulais guider les gens. Je commençais par secouer la tête de haut en bas, malgré mon état.

—Je veux partir loin d’ici depuis que je suis dans cet état.

Je désignais mon corps de mes mains.

—Mais je n’ai pu prendre la route que maintenant. Et maintenant, il n’y a personne qui accepte que je sois leur guide. Je l’jure, j’ai beaucoup étudié les routes et la navigation terrestre ! Mais personne ne veut rien entendre. Pire, on me jette comme une criminelle. Je sais pas quoi faire. Je vais essayer d’aller plus loin, mais je vais pas survivre longtemps sans mes provisions et sans plus rien à échanger contre de quoi vivre et voyager. Peut-être c’était une mauvaise idée. Mais je ne crois pas pouvoir supporter toute ma vie de rester enfermée avec… Enfin vous comprenez. Je sais pas quoi faire.

Je prenais ma tête dans mes mains, en proie au désespoir. Je ne voulais pas rester avec mon père toute ma vie. Je ne voulais pas.

Treag lui sourit compatissante. Elle avait connu les mêmes tourments. S’habituer à son apparence n’était pas une tâche facile. Est-ce qu’on s’y faisait vraiment ? Pas vraiment. Dans cet état, elle savait que les mots employés n’étaient pas évidents. La petite avait envie de se confier.

Songeuse, elle réfléchissait. Ok, la demi-géante n’était pas forcément la plus à même de réfléchir, mais cela lui arrivait de temps en temps. De base, Treag n’allait pas laisser les choses s’enliser de la sorte. Hochant la tête avec assurance, elle lui sourit de toutes ses dents.

« Moi, je crois. Faut pas que tu restes ici à pourrir. Si tu te sens pas bien. Faut que tu partes. Ouais, je sais que ça fait peur et tout, mais voilà. En vrai, perso, tu devrais pas essayer de faire le guide à Cerah. Essaie, genre, d’aller à Arvandor. Là-bas, ils sont plus cool avec les gens comme nous… Enfin, toi… Moi, ils ont pas trop confiance car je suis trop grande. »

Elle ria allègrement. C’était le conflit avec Vollheim… Les géants n’étaient pas forcément le bienvenu là-bas. Enfin, elle s’était habituée depuis le temps.

« Si tu veux, je me dirige là-bas. Je peux t’embarquer avec moi, le temps de… J’ai l’habitude d’aller chasser ma propre bouffe et je crois pas que tu manges autant que moi. Je peux même de mettre sur mes épaules que je sentirais pas la différence. »

Elle semblait sure de son plan. Elle était de nature optimiste. Il n’y avait pas de raison que cela se passe mal. Si elle trouvait de bons clients, elle pourrait surement se faire un bon gagne-pain avant de trouver sa propre voie.

Elle me dit que je devais m’en aller si je ne me sentais pas bien, suggérant Arvandor comme destination. Mais c’était loin, et sans caravane pour me protéger ni vivres pour me nourrir, je n’y arriverai pas.
Mais elle me proposa de l’accompagner, car elle s’y dirigeait. Je tournais mon regard plein d’espoir et d’admiration vers elle.

—Vous feriez ça ?

Elle semblait sûre d’elle et ça m’emplissait d’une joie que je n’avais pas ressentie depuis… une éternité.

—Merci ! Merci infiniment ! D’accord, j’accepte de vous accompagner jusqu’à Arvandor !

Je me levai et mis mon sac sur les épaules.

—On part quand ?!

J’étais désormais pleine d’espoir et j’avais hâte de commencer le voyage.

« Si je te le propose ! »

Treag ria un coup. Elle ne semblait pas méchante la petite. Peut-être qu’elle n’avait cependant pas croisé suffisamment de personnes gentilles. Elle semblait plein d’entrain cependant. Visiblement, elle avait réussi à lui faire oublier ses mauvaises pensées. Cette vision lui arrachait un large sourire.

« Hé, mais on peut y aller de suite. On va surement devoir se poser un moment pour se reposer, mais on devrait y être d’ici demain. On va juste éviter les coins dangereux. »

Encore assise, Treag tapota sur ses larges épaules.

« Vas-y. Monte. Ce sera plus facile pourtant. Je ne pense pas que tu vas avoir envie de me courir derrière tout du long. »

Parce que, soyons réalistes… La petite aura besoin de faire trois ou quatre pas pour rattraper un seul de la demi-géante. D’ailleurs, un éclair de génie traversait l’esprit de la diablesse.

« Ha, mais du coup, tu t’appelles comment ? Moi, c’est Treag Onara. Mais tout le monde m’appelle Treag. Ou la cornue. Ou peau rouge. Ou c’est bon tu peux arrêter de le frapper. Mais ça n’a jamais été un super surnom, je trouve. »

L’humour Treag n’est pas forcément l’humour le plus fin, il fallait bien se l’avouer.