La chaleur ne te réussit définitivement pas, en ces lieux éreintants. Tu as prétexté un besoin pressant de sortir, en ordonnant aux deux autres hommes t’accompagnant de veiller à la sécurité de son Altesse et que tu restais, malgré tout, disponible et dans les parages au moindre problème. Tu as juste besoin … de souffler, après la traversée de la mer de Sylve - et hors de question d’avouer le mal de mer qui t’a pris pendant tout le trajet. Tu as délaissé ta lourde armure dans les quartiers éphémères qu’on t’a accordé, pour te contenter d’une tenue plus légère, moins étouffante le temps de t’habituer. Un simple pantalon en toile, une chemise, et de quoi attacher tes cheveux en une queue de cheval haute.

Seule ta lance ne t’a pas quitté, fermement attachée dans ton dos le temps de descendre dans les rues bondées d’Evren : tout le monde s’active, se presse, tente d’obtenir les nouvelles croustillantes sur les personnalités ayant posé un pied ici. Vous n’êtes pas les seuls, Arvandor aussi ont été invités à trouver une solution quant à l’apparition de cette Tour mystérieuse. Le pas pressé, tu t’es senti bousculé par les gens, alpagué par certains curieux de ta taille, harcelé de questions, d’invitations à venir faire un tour dans une boutique, puis une autre ; et si tu ne cesses de refuser d’une politesse pompeuse, tu sens l’angoisse monter et l’anxiété pointer le bout de son nez.

Tu n’as jamais été doué avec la foule, en bon introverti que tu es.

Te stoppant en voyant quelqu’un s’interposer sur ton trajet, tu te redresses bien droit, les poings serrés, la gorge nouée d’une appréhension certaine en reconnaissant rapidement le garde royal arvandien que tu avais aperçu à leur arrivée sur les quais, de loin. Tu attends, le détaillant de la tête aux pieds avant de remonter sur son visage. Si votre différence de taille ne vous différenciait pas tant, nul doute qu’on aurait pu vous confondre.

« De mes bras ? »

Tu ne comprends pas, penchant même la tête sur le côté, les bras croisés par l’incompréhension en essayant de garder un ton agréable. Avait-il le droit de lui parler ? Ou devait-il lui faire confiance ? Que dirait son roi s’il apprenait qu’il … non, le roi n’avait pas besoin de savoir. De toute façon, à la vue de tous, le garde royal n’avait aucun intérêt à en vouloir à ta vie. « Pourriez-vous être un peu plus explicite, Sire ? » Tu regardes autour de vous, la voix presque tremblante en sentant toujours les regards de la foule sur vous, encore plus depuis l'interpellation de ton semblable. « Excusez-moi, je ne me souviens plus de votre nom. Et … je ne suis pas à l’aise, au milieu de la foule. » Ça t’angoisse. « Si cela n’implique pas nos deux royaumes, je serais ravi de vous aider. »

Tu dois te faire violence pour rester digne devant l’homme, ton regard perdu en le détaillant de la tête aux pieds avant de le suivre, le pas hésitant malgré tout, dans la ruelle. Enfin, tu peux souffler. Enfin les curieux osent t’abandonner pour te laisser un instant de répit. Tu observes les alentours, comme prêt à te défendre à la moindre embuscade : pourquoi rien ne laisse paraître que le garde royal arvandien tente de te tendre un piège ; il a su se montrer accueillant, et digne d’une confiance éphémère dans son approche, mais tu ne peux complètement baisser ta garde.

Jusqu’à croiser le regard de la jeune fille revenant vers l’homme aux mèches écarlates. Si tu ne comprends toujours pas, tu finis par suivre le mouvement de main de l’homme pour poser ton attention sur le chat, grassouillet et assis sur l’auvent comme si de rien était. Tu fronces les sourcils, lui lançant aussitôt un regard accusateur avant de reporter ton attention sur le garde puis la demoiselle.

« Il n’a pas l’air d’être en détresse pourtant. »

Tu sens son regard félin sur toi, que tu viens soutenir dans un silence sévère. Tu comprends que ce combat sera entre lui et toi, deux félins prêts à se montrer fermes pour avoir le dernier mot. Lorsque tu t’approches, lui se recule, te jaugeant d’un air inquisiteur toujours dans son silence jugueur. Tu pestes, tendant fermement les bras avant de l’entendre miauler d’agacement.

Et si le monde ne peut le comprendre, toi tu entends tout ce qu’il te dit. Chaque miaulement a son mot, son explication, sa signification même. Lui faisant les gros yeux, tu insistes encore une fois, impuissant en le voyant se poser de l’autre côté de l’auvent pour te narguer.

« Tu n’es pas gentil, ta maîtresse s’inquiète. » Il miaule. « Elle a peur que tu te fasses mal. » Puis un autre. « Ne sois pas méchant avec elle c’est une jeune fille. » Il se roule, puis se décale à nouveau quand tu oses essayer de l’attraper de l’autre côté. « Viens là sale bête, c’est trop haut pour tes petites pattes tu vas te faire mal ! » Plus il tente de t’échapper, plus tu perds patience. « Je te demande pardon ?! Arrête de te donner en spectacle ! » Quand enfin tu l’attrapes, il miaule, feule, s’agite comme si tu allais en faire ton repas. « Pardon ?! Tu t’es vu tu es plus gros que moi ! »

Tu le tiens fermement, lui feulant même dessus à ton tour pour le calmer et le reposer au sol. Les pommettes rougies par la gêne, tu essaies de bien coiffer tes cheveux en gardant ton attention sur le chat, gros et gras, venant se cacher derrière les jambes de sa patronne, son regard mauvais toujours vissé sur toi.

« Toi fais attention et sois plus gentil avec elle ! Tu es un méchant chat ! »

Tu te tends nerveusement à la réflexion de l’homme, le rouge te montant aussitôt aux joues sans pouvoir te cacher. Tu ne peux que te râcler la gorge de maladresse, tes doigts se perdent dans ta frange pour espérer te cacher derrière et éviter de croiser le regard de ton semblable pourtant si opposé. Tu cherches tes mots mais lorsqu’il enchaîne, tu peux souffler ne serait-ce qu’un instant, le temps de reprendre tes esprits.

T’incliant poliment devant la jeune fille, tu la laisses repartir, son gros matou dans les bras pour vous abandonner tous les deux, l’un avec l’autre dans un silence de plus en plus gênant. Observant sa main levée, tu n’as pas le temps de réagir qu’il la baisse aussitôt en te laissant presque idiot. Toujours droit, les mains jointes et les doigts crispés, tu fuis son regard à sa question en échappant un rire maladroit.

« Oh ça … et bien … C’est inné. » Et beaucoup plus facile avec les félins, mais ça tu ne pourras jamais l’avouer à qui que ce soit. « Je comprends les animaux, tels qu’ils soient. Je les entends me parler et eux peuvent me comprendre en retour. Pour moi c’est naturel, je ne fais pas la différence entre eux … Et nous. »

Si ce don t’es bien utile dans bien des situations, tu n’en as pas toujours été fier. Comparé aux autres géants, puissants, forts physiquement, le tien est plutôt anecdotique, au mieux inutile sur le champ de bataille. Au moins il te permet de t'occuper au mieux du voldrak nain royal - pour le meilleur comme pour le pire.

« Et sinon … j’imagine que vous-vous-vous avez reçu un peu de temps libre de la part de la royauté arvandienne ? » Tu bégaies, honteux d’avoir exposé ta magie aussi facilement - et t’être retrouvé à miauler devant le garde royal de votre ennemi de toujours. Tu essaies de prendre sur toi, d’être fort, mais ta maladresse reprend le dessus alors que petit à petit tu t’enfonces dans un cercle vicieux où la gêne prend le dessus sur tout.

« J’avais prévu de faire un tour de la ville, pour … ramener quelques souvenirs. Seriez-vous intéressé par faire un bout de chemin en ma compagnie ? Si nos Majestés ont fait l’effort de … trouver un terrain d’entente pour discuter, nous pourrions en faire de même. Qu-qu’en pensez-vous ? »

« Les bêtes ne sont jamais assez bien nourries, si on les écoute. Je ne saurais vous dire combien de fois le voldrak nain royal de Son Altesse Reidimagni réclame de la viande, alors que je l’ai nourri l’heure d’avant. »

Beaucoup trop souvent, et surtout pour te faire chier d’ailleurs. Hochant la tête comme pour confirmer son invitation, tu le laisses prendre un peu d’avance pour pouvoir calquer ton rythme au sien. Tes yeux se posent partout, sur tout : les regards curieux, les silhouettes se bousculant puis certains stands avant de retourner sur ton semblable un instant et repartir aussitôt sur autre chose. Tu ne tiens pas au place, nerveux de te retrouver dans une telle situation où chaque mot maladroit pourrait être mal interprété. Que font les soldats à Arvandor ? Ont-ils des coutumes ? Des habitudes ? Des traditions qui pourraient entrer en conflit avec les tiennes ?

« Je vous en prie, je n’ai fait que lui parler pour le motiver à descendre. C’est quelque chose de naturel pour moi, ça ne m’a demandé aucun effort. » Si ce n’est celui de te dévoiler en public et de parler aux inconnus, malgré ta timidité. « Et s’il vous plaît, ne vous excusez pas. » Tes yeux se posent sur sa taille, alors que son visage arrive au niveau de ton coude. Tu as l’habitude, que ce soit avec les draconides ou les géants plus petits - et l’inverse vaut aussi pour toi, ton Roi te dépasse largement sans aucun souci et en sa compagnie tu es toujours obligé d’avoir un rythme beaucoup plus soutenu. « Marchez à votre rythme, j’ai l’habitude de m’adapter à ceux des espèces plus petites. »

Tu lui souris de la manière la plus naturelle possible pour paraître agréable, tes doigts jouant avec certaines mèches volages. Sans attendre davantage, tu t’attardes sur quelques étales, tes yeux scrutant les toiles mais surtout les bijoux dans l’espoir de trouver quelque chose saura attirer ton attention. La plupart sont bien trop petits pour vous de toute façon, inadaptés à vos tailles gigantesques. Au bout du troisième stand à ciel ouvert, tu manques de perdre patience et lâcher l’affaire dans un soupir plus bruyant que prévu.

« Sire, puis-je vous demander si vous avez des connaissances dans l'orfèvrerie ? La question doit vous sembler maladroite, vu nos connaissances en métallurgie mais … » Tu hésites, tes doigts venant se tordre entre eux. « Je-je cherche à ramener un bien à ma Reine. Un bijou de préférence mais je dois bien avouer que ce n’est pas dans mes cordes, j’ai peur de me tromper ou de choisir quelque chose qui ne pourrait … Pas lui convenir. Et vous vous doutez que je n’ai pas envie de l’offusquer, Madame est importante à mes yeux. »

Et surtout, tu ne veux pas faire mauvaise impression.

Tu as baissé la tête pour l’écouter avec attention, toujours nerveux et maladroit malgré ton poitrail bien bombé pour tenter de cacher ta gêne. Hochant la tête, accompagné d’un petit bien sûr, tu n’as pas loupé une miette de son avis. Trouver un cadeau qui plaira véritablement à son Altesse ? Bien sûr, c’est ce que tu désires ardemment mais en es-tu seulement capable ? Tu pourrais très bien te tromper ou lui offrir un bien qui ne lui convient pas ; pourrait-elle même s’offusquer d’un bijou malaqii alors que votre métallurgie est si réputée ? Et si, même si l'orfèvrerie malaqii, au même titre que l’aldani, est bien plus réputée que la vôtre ?

« Je ne saurais honnêtement pas vous répondre. Je suis plus proche du Roi que de la Reine, quand bien même j’ai pour ordre de les servir tous les deux depuis plus d’un siècle. J’aimerais surtout lui ramener un présent malaqii, pour lui montrer la beauté de ce royaume qu’elle n’aura, je pense, que peu de chances de visiter. L’or malaqii pourrait ne pas forcément lui convenir au teint mais il a un certain caractère qui pourrait changer de ce qu’on à Vollheim. L’Aqir al-Riyah n’est pas donné, mais je sais qu’il est utilisé pour certains bijoux. » Tu avais bien potassé le sujet avant de venir, pour ne pas te faire avoir par des charlatans prêts à te dépouiller.

Finalement, tu t’arrêtes devant une bijouterie pour t’attarder sur quelques bijoux, principalement des colliers aux pierres resplendissantes. Tout de suite attiré par tout ce qui brille - comme le serait un chat, tu t’agites sans savoir si tu devais jeter son dévolu pour les premières trouvailles.

« Que feriez-vous comme cadeaux à votre Roi et votre Reine ? Je dois aussi bien penser à la différence de taille entre les malaqii et les géants. La royauté est très grande, un collier lui servira plutôt de bracelet. » Alors il vaut mieux oublier les bagues.

T’y connaître mieux que lui en orfèvrerie ? Tu te redresses aussitôt, presque gêné d’avoir pu étaler ton léger savoir sur les pierres malaqii. « Je-je non ! Enfin, j’ai simplement lu quelques brochures sur le trajet pour ne pas me faire arnaquer. » Tu essaies de te reprendre, un peu plus maladroit en écoutant le garde tout en calculant le prix que cet achat pourrait avoir sur tes revenus.

« Une pousse est une idée très originale. J’appuie très fortement votre idée et je l’aurais suivi avec beaucoup d’intérêt si les conditions climatiques de Vollheim n’étaient pas si drastiquement différentes. »

C’est en le voyant demander une chaine que tu reportes ton attention sur lui, un peu surpris. Les yeux rivés sur le bijou puis ses mains, tu ne réagis même pas en le voyant s’accrocher de toi, le métal chauffé par le soleil de l’or touchant ta peau à t’en arracher un petit frisson. Tu ne dis rien, tu ne fais rien non plus en clignant simplement des yeux pour essayer de comprendre son geste.

C’est en croisant ses yeux et en entendant son compliment que tu te sens faiblir. Tes jambes manquent de fléchir mais surtout ton visage s’empourpre d’un rouge aussi riche que tes boucles. Tu ne sais plus où te mettre, le regard fuyant le sien en balbutiant quelque chose d’incompréhensible aussi bien pour lui que pour toi.

« Je-oh euh Sire-je-je-enfin-je-je n’ai pas les moyens de-ce n’est pas pour moi-je ne sais si la reine-hum-serait ravie. Je-je ne-mer-mer-merci pour le comp-complliment. »

Tu rentres ta tête dans tes épaules, les yeux brillants proches des larmes sous la gêne. Tu ne sais plus où te mettre, une chose est sûre : tu ferais tout pour devenir une toute petite souris, minuscule, pour pouvoir te cacher loin d’ici et ne pas sentir tous ces regards sur toi.

« Je-je-je-je pourrais … le prendre p-pour sa-sa Majesté. »