Évidemment que l'excuse ne suffira pas, qu'il va surenchérir, se faire passer pour la victime alors que c'est ta patience qui est mise à l'épreuve dès que tu as l'audace de te tirer d'un sommeil profond. Et même si une partie de ta témérité s'est envolée lors des années de rééducation, tu ne demeures pas sans défense pour autant.

Le poing serré, tu gardes l'autre prêt à s'étaler de nouveau, sur l'autre joue pour lui provoquer la même rougeur. Tu sembles cependant bien plus maître de tes gestes, assez pour simplement défier l'élémentaire du regard. Tu n'as pas grand-chose à lui dire pour te justifier.

« Quoi que je dise, vous allez réutiliser mes mots pour me faire du mal. »

Il n'y a plus qu'une grimace qui semble confirmer ce que tu dis. Tu te recules, te convainquant que tu n'es pas en train de lui obéir en rattrapant le bandage à la volée, remarquant la rougeur sur son autre joue. Tu as envie de tenter le diable une fois de plus, mais où vas-tu finir ?

« Vous semblez énervé. Je suis ravi de vous avoir redonné quelques couleurs. »

Tu finis par lui tourner le dos, bandant ta blessure à l'abri des regards comme si tu ne voulais pas être vu. C'est sûrement de la honte qui te pousse à faire ça, fuyant l'auteur de cette douleur pour ne pas montrer à quel point tu souffres pour si peu. Et même s'il n'y a que peu de sang qui s'écoule de la plaie, l'odeur caractéristique du liquide envahit tes narines et te ramènent sur les terres corrompues.

Dégoûtant.

« Bougez d'ici, je vais devoir faire le ménage. »

À ton tour de donner des ordres, ou du moins de conseiller vivement de ne pas être le spectateur d'un énième massacre.

Dans un souffle, tu espères pouvoir balayer la frustration qui te gagne, ignorer la douleur des mots qui viennent te piquer assez pour gêner, mais pas assez pour te faire mal et t'immobiliser. C'est une sensation que tu détestes, ta canine ripant sévèrement contre ta lèvre sans l'érafler pour autant ; tu souhaites juste rediriger ces mauvaises énergies autrement, pour ne pas lui sauter dessus et mourir la trachée comprimée.

« Ah ! Mais si vous trouvez ce collier ridicule, n'hésitez pas à m'alléger les vertèbres en me le retirant. »

C'est une demande qui sera encore refusée, comme d'habitude. Peut-être qu'un jour, ça passera. Mais qui sait quand il reviendra se glisser sur ton cou, te comprimant davantage au point de ne plus pouvoir bouger la tête ? Avec un élémentaire de métal, on ne sait jamais à quoi s'attendre. Alors avec deux élémentaires qui se mettent d'accord pour faire de ta vie un enfer…

« Vous aimez ma barbarie. »

Une phrase crachée à la volée. Tu ne le retiendras pas, car dès que tu resserres le bandage, tu viens sortir tout ce qu'il te faut pour récurer le bois, pour effacer les traces de vos chamailleries. Tu en profites également pour tout ranger à sa place, juste pour le bon plaisir que tout soit de nouveau dérangé. Un peu comme cette triste relation que vous entretenez.

Ça aurait pu bien se passer, mais une erreur t'a propulsé dans cette situation malheureuse. Tu as beau garder la tête haute, dix minutes seul pour ne pas être emmerdé par sa présence, c'est trop peu pour reprendre du poil de la bête. Votre surveillance est mutuelle, mais tu es surtout là pour intervenir si tout dégénère un peu trop.

Tu comptes chaque seconde qui passe, comme pour t'assurer que la Mort reviendra en temps voulu. D'ici-là, tout sera propre, et tu seras légèrement couvert de sueur. On oublie souvent qu'un peu de ménage, ça fait travailler les muscles.

Le temps passe beaucoup trop vite. Et tu n'es pas pressé parce que tu fais mal ton travail, non, c'est parce que chaque seconde te rapproche de cette épée de Damoclès qui peut s'abattre sur toi si tu pousses un peu trop la familiarité avec cette pauvre bête acerbe. Tes dents grincent sous la frustration, et dès que la dernière seconde laisse place à une nouvelle minute, te voilà à l'attendre de pied ferme. Tu souffles encore, agacé, comprenant rapidement que tu n'es pas dans un rêve et qu'il n'est pas seulement le fruit de ton imagination.

« J'adore ça ! Ça m'évite de penser à vous. »

Son attitude te sort encore de tes gonds. Tu sens tous tes muscles se tendre, habités d'une rage que tu parviens à contrôler ; cette fois-ci, si tu laisses la violence parler, ce sera de ton plein gré, et avec une certaine satisfaction de pouvoir te défouler sur lui.

« Ah, attendez. Je réfléchis. »

Non, tu ne réfléchis pas, sinon tes yeux seraient en train de sortir de leur orbite.

« Allez vous faire foutre. »

L'instant d'après, tu te dépêches de le dégager de cet encadrement de porte. Tant pis si tu dois être violent, sec, tu n'as pas envie d'être doux face à un poison de la sorte. Tu râles sous l'effort, peut-être également parce que ta récente blessure se réveille encore à force de tendre la peau.

« J'ai tellement envie de vous arracher la tête. Tout est de votre faute. »

Tes yeux s'humidifient légèrement. Tu le secoues dans tous les sens, comme pour lui remettre les idées en place ; peut-être qu'ainsi, ses neurones se réarrangeront et qu'il sera plus sympathique avec toi. Mais ça lui laisse également toute l'occasion de te faire regretter ton geste. Tu hésites un moment à le lâcher pour qu'il tombe et qu'il se brise la nuque, mais tu t'y accroches comme tu t'accroches à la vie.

« Je suis très contrarié. »

« J'ai passé des années en captivité et ce n'est pas ma faute. »

Si tu ne réponds que par la violence physique, tu sais que tu devrais apprendre à faire comme lui et mieux tenir les mots afin de les renvoyer dans sa face. Tu as vite compris qu'il est capable de faire plus de dégâts en faisant moins d'efforts ; mais comme tu n'es pas un érudit, ou même un minimum éduqué en dehors de l'école militaire, tu n'as pas grand-chose pour te défendre face à ça.

Ta prise est ferme, ton regard toujours plus assassin. La flamme qui y brûle est destinée à immoler Gabriel, pendant un petit temps, tu te demandes s'il fond sous une source de chaleur assez chaude pour atteindre son point de fusion. Puis tu te demandes quel est son fameux point de fusion avant qu'il ne commence à se déformer. Que de belles visions qui t'empêchent d'être assez prudent pour éviter l'arrogance du conseiller. Tu te plies légèrement, plantant tes ongles dans sa peau jusqu'à ce que le coup de genou parte.

La douleur se loge au plus profond de tes tripes, irradie, pulse. Tu ne cries pas, refusant de lui laisser le plaisir de t'entendre te plaindre, mais tu es contraint de le lâcher en serrant les dents et en te mordant la langue. Il n'y a qu'un gargouillis étouffé qui parvient à s'échapper, tu recules assez pour te retenir à l'encadrement de la porte, sous le choc.

« Fils de pute… »

Il n'y a aucune raison de bien s'entendre. Encore moins maintenant que tu as été châtié. Tu lui en veux énormément, encore plus que d'habitude. Et tu pourrais réagir en allant bouder, mais tu te contentes de lui tenir tête pour montrer à quel point tu peux être difficile à vivre quand tu t'y mets.

« Je vais vous étouffer dans votre sommeil, je vous le jure. »

Peut-être pas ce soir, ni demain. Mais bientôt, tu es certain.

« Vous n'avez aucun rendez-vous aujourd'hui ? »

Tu saignes encore un peu, mais tu ne dis rien. Tu le défies simplement du regard, bloquant la sortie de ta carrure en croisant les bras l'air de rien. La vérité, c'est que tu souffres le martyre. Mais tu as pris l'habitude de tout contenir.

Tu vas te souvenir longtemps de ses actions. Mais tout ça, ce n'est qu'un quotidien bien banal. Et c'est sans compter cette douleur permanente, minime mais dérangeante, qui vient piquer un point bien précis de ton crâne. De quoi sombrer dans la folie petit à petit sans rien pouvoir y faire.

« Je ne vois aucune conséquence qui vaille le coup pour que je me remette en question. »

C'est plutôt Gabriel qui devrait le faire. Tu as vécu assez d'années en captivité pour t'être posé les mêmes questions en boucle jusqu'à rentrer petit à petit dans le moule et espérer t'en sortir. Mais maintenant, à la place d'une cage froide, te voilà dans la cage aux lions, décoré de métal malléable à souhait pour te mener à la baguette dès que tu t'écartes un peu trop du chemin.

Et dès qu'il s'éloigne… Tu restes là, planté comme un piquet. Tu le juges, tu l'assassines du regard, mais tu sembles petit à petit digérer toute l'adrénaline à mesure que la peine s'estompe, fruit d'un long travail sur la résistance à la douleur.

La douleur physique.

Tu t'étouffes immédiatement, incapable d'articuler quoi que ce soit, te retrouvant à lever un doigt en l'air, ta remontrance se retrouvant annihilée avant même d'avoir pu être formée dans ton esprit. Tes joues s'empourprent assez pour se voir sur le brun de ta peau et tu as beau rêver t'agacer, la stupéfaction est plus forte.

« Pardon ? »

Il va te falloir un petit moment pour t'en remettre. Assez pour ressentir toute la honte qui s'accable sur toi. Il y a plein de mots, plein d'insultes qui se forment dans ta gorge, mais la portée de tes phrases n'est rien comparé à un expert comme lui. Alors tu t'approches, ignorant un bref instant l'avertissement du collier qui devrait t'amener à réfléchir.

« Franchement, passer mes journées à être sa chienne est clairement un cadeau comparé à votre présence. »

De quoi te ridiculiser davantage. Tu pourrais fuir et bouder dans une pièce au hasard, mais à la place, tu te contentes de rester là. Pour garder un œil sur lui. Tu croises de nouveau les bras, tu aurais vraiment apprécié pouvoir prendre l'air pour te changer les idées. Mais voilà que tu vas devoir le subir à respirer le même air empoisonné que lui. Quelle merde.

« Mais pour la peine, je crois que je vais rester là, à vous voir galérer. Vous n'auriez peut-être pas dû me laisser dix minutes sans surveillance… Qui sait ce que j'ai pu faire de vos affaires ? »