Tout semblait terminé et pourtant la tension restait là, battant tes tempes bien trop souvent. Les jours passaient sans que votre quotidien ne reprenne ce début de routine que tu appréciais tant. Vous aviez parlé pourtant, vous vous étiez raconté, l’un à l’autre, ce que vous aviez vécu. Moro était revenu, tout aurait pu redevenir normal. Mais tu t’es assombrie avec tout ça, rapprochée de celle que tu étais en arrivant. Tu crains que les arvandiens ne viennent pour Evane ; qu’ils brisent à nouveau ce qui t’es cher, qu’ils cherchent à t’arracher quelqu’un à qui tu tiens. Et tu ne cesses de penser à ces ouvriers. Est-ce ce à quoi vous avez échappé ? Dois-tu être heureuse de ne pas avoir dû éliminer les tiens - cette fois - alors qu’ils auraient été transformés en monstres sans âme, à la frontière entre la vie et la mort ? Cette idée est terrifiante, choquante, t’occupes les nuits à écouter la respiration de ton compagnon, à la recherche d’un cauchemar qui vous rapprocherait.

Tu sens bien a ussi qu’Evane est plus distant, plus renfermé. Alors que tu peines à dormir, que ta nervosité est plus palpable, tu réalises que peut-être ce que tu pensais exister n’est pas aussi solide, tangible que tu croyais. Tu sais qu’il est secoué de s’être battu, d’avoir vu Ciara disparaître… Et toi aussi, tu l’es. Tu es repartie plusieurs fois, cherchant la veilleuse sans lui dire pour ne pas faire naître d’espoir. Seule, tu as pu réfléchir, te décider… Sur tout ce qui est encore en suspens entre vous.

Et après une après-midi de recherches sans succès, tu te décides à rentrer chez vous, faisant un crochet à l’auberge pour échanger trois lièvres - qu’il est facile de chasser avec Moro ! - contre une bouteille d’alcool doux. Evane n’a peut-être pas encore réalisé à quel point tu ne tiens pas, mais ce n’est pas pour ça que tu n’aimes pas en boire. Lorsque tu passes la porte, tu sens ton coeur se serrer. Quand il est ainsi, tu pourrais oublier ce qu’il y a derrière vous, récent ou non, pour simplement te laisser porter par sa douceur et son charisme. En plus, ce qu’il prépare sent bigrement bon…

“Tu as l’air d’aller bien.”, ce n’est pas un reproche, au contraire. Tu l’observes, t’approchant pour poser la bouteille d’alcool sur la table. “J’ai échangé ça à l’auberge.”

Tu as un coup d’oeil vers le petit paquet, dur à manquer tant la nouveauté se voit, dans cette petite maison, mais tu ne dis rien, préférant te rapprocher. Dois-tu y aller directement ? Ce n’est pas ton genre d’hésiter, mais il a l’air plus calme, et tu n’as pas envie de lui arracher ça. Ah, c’est bien quelque chose que tu n’as pas appris, dont tu ne pensais même pas avoir besoin. Parler sentiments ; poser tes limites dans ce domaine-là.

“Ca sent bon, tu nous prépares quoi ?”, tu as même l’impression que tes paroles sonnent bizarrement.

Tu le contournes plutôt, laissant ta queue exprimer ce que tu ne dis pas en le frôlant au passage, pour attraper deux verres. Un que tu remplis plus généreusement que l’autre, pas question d’avoir l’esprit flou.

Son sourire te fait quelque chose, un petit pincement dans le torse que tu ignores. L’idée de manger de la viande te satisfait déjà, mais qu’il y ait du citron en plus… Tu aimes les saveurs tranchées, l’acidité, le piquant, et tu acquiesces avec un contentement évident.

“Rien qu’à l’odeur, je suis certaine que ce sera excellent !”

Vous pourrez discuter de ce que ça donne, comme souvent quand l’un de vous tente quelque chose. Une douceur quotidienne, des habitudes qui se mettent en place et qui deviennent précieuses. Non. Ca, tu ne veux vraiment pas le perdre. Des contacts à peine effleurés, vos regards qui s’accrochent, ton pouls qui accélère. Sa demande te fait reposer ton verre, doucement.

“J’en ai envie.”, c’est vrai, tu voudrais que ta sincérité transparaisse dans ton regard polaire. “Mais… je peux te poser juste une question, avant ?”

Tu n’as peut-être pas le bon sens du timing, tu as peut-être trop réfléchi, au lieu de dormir, ces dernières nuits. Tu l’as observé, sa silhouette se découpant dans les nuits claires de Cerah, tu as questionné tes frères, sans réponse comme toujours. Laissée seule face à ton choix, tu ne peux que lui déposer entre les mains. Lui offrir tes pensées, espérer qu'il les comprenne et soit du même avis que toi...

“J’ai envie que tu m’embrasses, que tu me tiennes, qu’on.. devienne plus intimes. J’aime être avec toi, dormir avec toi, j'aime notre quotidien. Mais de ton côté est-ce que c’est…”, le malaise total. Tu ne te tritures pas les doigts, tu ne bouges pas, te retranchant dans une rigueur militaire qui transparaît malgré tes vêtements locaux. “juste… Parce que tu as envie de…”

Tu peux parler guerre, stratégies, combat sans souci. Tu peux parler de choses crues si ça ne te concerne pas en riant, mais là, tu n’es clairement pas à l’aise.

“J’ai vécu sans sexe pendant des années, et… Même si là, j’ai vraiment envie de toi, ça peut passer. Si… si de ton côté, et c’est ton droit, c’est… juste une envie comme ça… Vu notre passif, je… Si je saute le pas, je voudrais que ce soit plus qu’un… acte charnel et beaucoup d’attente avant.”

Ce ne serait pas Evane, tu pourrais craindre qu’il te mente pour te manipuler. Pas lui.

Un autre t’aurait certainement interrompu avant, peut-être, mais tu es soulagée d’avoir pu aller jusqu’au bout, quoi qu’il se passe ensuite. Les yeux plantés dans les siens, tu cherches toutes les émotions qui peuvent les traverser, silencieusement. Pour lui laisser l’espace de parler, de s’éloigner s’il le voulait, peut-être de se rapprocher, aussi. Mais Evane parle et tu es suspendue à ces lèvres que tu as marquées comme tiennes.

Il te rassure d’une simple phrase, et ça se voit. Ton attitude se fait moins stricte, un sourire étire brièvement tes lèvres. Une chose est évidente, il a beau être plus jeune que toi, il exprime bien mieux tout ce qui peut t’inquiéter. Tout ce que tu sais, sens, et qui sera à jamais là. Tu peines encore à te projeter dans le futur, sinon tu serais terrifiée à l’idée de t’engager avec quelqu’un qui vit aussi peu de temps par rapport à toi. Tu sens l’instant présent, ton désir d’être avec lui, là, sans faux-semblants.

Et Evane, lui, a déjà réfléchi au reste ; tu lui laisses cette avance sans rien dire, intimidée alors qu’il énumère ce qui lui plait en toi. Tu pourrais aussi, mais tu mourrais de gêne avant. Tu voudrais qu’il te prenne dans les bras, qu’il t’embrasse plutôt que t’embarrasse en décrivant toutes ces trivialités qui lui plaisent. Tu sens ton coeur battre si fort que, sous la chemise pourtant épaisse que tu portes, tu as l’impression que ça se voit. Sans quitter ses yeux des tiens encore, tu saisis sa main. Un peu brusquement, un peu fort, mais tu lui transmets que tu ne le laisses pas ; tu partages cette hâte avec lui, cette envie commune. Il te fascine, éveille tes sens et apaise ton âme.

Ce n’est que quand tu es sûre qu’il a cessé de parler que tu t’approches, tu t’élances, presque, jusqu’à te hisser sur la pointe des pieds. Tu rapproches vos lèvres, enfin, tu songes vaguement que… non, il a demandé avant, ça va. De toute façon, tu ne pourrais pas répondre autrement. Le baiser au goût d’alcool a surtout un goût de trop peu, alors que tu réalises que tu veux sentir son torse se presser contre le tiens, comme si vos coeurs battant à l’unisson était la seule mélodie que tu acceptes.

“Oh et merde.”, grognes-tu contre ses lèvres.

L’une des deux chaises de la petite table se fait écarter de celle-ci un peu brutalement, pour l’y pousser et t’installer d’office sur ses genoux, face à lui. C’est comme s’il avait retiré un barrage, apaisé tes craintes. Tes bras enroulés autour de son cou, ta queue autour d’une de ses jambes, tu prends tout juste garde à ne pas lui enfoncer une corne dans la joue au passage. Comment te satisfaire de lui ainsi ? Tu réfléchis à peine lorsque tes lèvres dérivent sur sa mâchoire, sa gorge. Sa réaction, le soir où il t’a retrouvée, te vient comme un éclairn et pourtant tu n’oses mordre à nouveau. A la place, tu embrasses la chair, l’attire entre ses lèvres en aspirant brièvement pour y laisser une marque sombre. Dents ou autre, tu ressens le besoin de laisser sur sa peau un petit bout de toi.

A bout de souffle tu t’écartes, pour le fixer à nouveau dans les yeux.

“Corps et âme.”, répètes-tu, te demandant s’il peut voir à quel point tu es rouge. Toi, tu le sens à la chaleur de tes joues. “Et pour aussi longtemps que possible. Je.. Je veux tout ça, Evane. Je suis heureuse avec toi, et… j’ai envie que tu le sois aussi.”

Ton souffle est court ; tu sens ton corps se tendre vers le sien, avoir envie de plus, et tu hésites. Tu pourrais demander comme lui le fait si bien. Tu pourrais t’étonner que quelques mots aient suffi à t’enflammer autant. Tu as juste un regard vers la cuisine.

“Tu crois que ton plat se réchauffe facilement ?”

L’air de rien. Tu le veux, là. Sans attendre, sans manger ni finir vos verres. Maintenant.