Encore peu vêtue, malgré le bain qui t’a refroidi la peau, tu va et viens pour réchauffer les lieux. Le feu est relancé, doucement, sous la gamelle, plus fort dans la cheminée. Tu es en train de touiller, après avoir mis la table rapidement, lorsque sa voix résonne et te fige. Tu connais cette sensation, celle où tout ton corps tombe vers le bas sans que tu ne bouges pour autant.

Ca ne doit pas être trop mauvais signe, s’ils n’ont pas directement envoyé des hommes pour vous éliminer. Mais ça ne peut pas être bon signe ; rien n’est jamais bon venant d’Arvandor, après tout - sauf Evane, bien sûr - et tu attends, crispée. En réalité, tu attends mais tu es déjà décidée ; Arvandor met la vie de ton compagnon en péril, tu ne le laisseras pas mourir seul. Tu te battras pour vous ouvrir un chemin jusqu’à Vollheim s’il le faut, ailleurs si ce n’est pas possible, mais tu ne le laisseras pas.

“Que veulent-ils ?”, ton ton est sec, tes mains crispées contre l’ustensile en bois qui pourrait tuer le premier ennemi passant cette porte.

Si tu as pu, très vaguement, t’apaiser envers les citoyens arvandiens, la couronne, l’armée, tout cela représente tout ce contre quoi tu t’es toujours battue. Tu ne bouges pas, tu n’en es pas capable. Tu entends Evane se déplacer, tu baisse encore le feu pour pouvoir te tourner vers lui, observant son profil découpé dans les flammes. Usuellement, tu l’aurais trouvé beau. Tu n’arrives plus à regarder autre chose que ce papier dont tu ignores le contenu. Les bras croisés sur ton torse, tu réalises qu’il ne pourrait rien dire, il serait dans son droit. Il ne lit d’ailleurs pas la lettre à haute voix, même si tu as l’impression qu’il prend le temps de la lire plusieurs fois - ou le temps passe trop lentement, justement ?

Tes lèvres se pincent.

Tes sourcils se froncent lorsque vos regards se croisent. Tu observes son expression, imaginant tout, sauf ce qu’il t’annonce. Lui pardonner sa désertion ? C’est stupide ; Evane est toujours un déserteur. Il ne veut plus faire partie de tout ça - n’est-ce pas ? Alors pourquoi a-t-il cette expression ?

Ton estomac se noue. Pendant quelques secondes, tu le fixes, comme tu fixerais un étranger, et tu serais capable de t’écrouler, alors qu’il parle. Tu voudrais même en être capable ; t’asseoir par terre en pleurant, le supplier de refuser tout ça. Mais tu restes immobile plutôt, le regard fixé sur lui alors qu’il explique vaguement plus.

“C’est vraiment des Níðingr”, grognes-tu, te décollant du comptoir de la cuisine pour marcher. “Ils n’étaient pas là, ils n’ont rien fait, ni pour leurs ouvriers, ni pour vous. Ils ont juste cherché à ramasser le plus de miettes une fois que les autres se sont mis en danger, pour essayer d’avoir le beau rôle. Et en te reconnaissant à nouveau, ils tirent la couverture à eux.”

Le mépris que tu as pour Arvandor est d’autant plus vif ; tes pas se font plus rapides, alors que tu ne réalises même pas que tu trembles. La colère ; tu n’as pas froid. Evane voit-il cette machination grotesque ?

Ou peut-être… Ton estomac se fait un peu plus lourd. Peut-être qu’il en a envie ; si tu avais le droit après un exil de revenir à Vollheim, tu serais ravie. Mais jamais tu ne quitterais ton royaume volontairement. Peut-être qu’il va vouloir repartir, estimer que son combat pour Solaria est terminé - c’est vrai, la situation s’est résolue sans éclat ni lutte - et que sa vie est avec les siens. Peut-être que tu t’es voilé la face ; en te répétant qu’il n’était plus vraiment arvandien, que son passé n’était que ça : un passé lointain. Peut-être que toute cette proximité que tu ressens pour lui, cette affection, cette confiance, vont devoir être mises au passé. S’il le choisit, peut-être demain serez-vous à nouveau ennemi. L'idée de ne pouvoir agir sur cette conclusion te terrifie.

Ta gorge se noue mais tes yeux restent secs.

“Tu vas faire quoi ?”

Lorsqu’Evane s’approche, tu restes immobile. Il ne fera pas l’erreur de te toucher, mais, brièvement, tu as envie qu’il te serre contre lui. Tu as envie que vous reveniez à votre complicité pendant le bain, avant, même, tes abdominaux tirent encore d’avoir été utilisés d’une nouvelle manière et brièvement, tu te demandes si c’est une punition ; pour avoir voulu faire passer ton bonheur avant ton devoir envers les morts. Tu es le Foudre de Guerre après tout, pas une simple femme qui pourrait aimer qui elle veut. Le quatorze devaient bien te le rappeler à un moment ou un autre.

Tu attrapes la lettre, sans toucher ses doigts, silencieuse. Tu sais que tu vas lire ce qu’il t’a dit, avec des termes un peu plus alambiqués que ce qu’il a dit, mais c’est bien ça. Tu acquiesces, toujours silencieuse, toujours tendue. Même s’il déchire la lettre, il est bouleversé. Tu comprends, et tu t’inquiètes pour la suite. Et si tu sens le poids qui t’écrasait devenir un peu plus léger, tu sens que ce n’est pas aussi simple. Ca aussi, tu peux parfaitement comprendre. Tu laisses échapper un “d’accord”, faible, en attendant la suite.

Au fond, Evane reste un arvandien ; il est heureux, sans réfléchir plus loin, de voir que son pays n’est pas aussi terrible qu’il a pu l’être avant. Et bien sûr, c’est rassurant pour le futur, même si ça ne calme pas les tensions entre vos deux royaumes. Après tout, ils ne se sont même pas officiellement excusés. Pour Rodmar, pour Selkryssingr. Qu’ils ne fassent preuve d’aucun remords montre bien pour toi que rien ne change réellement.

“Ils sont simplement plus malins que leurs prédécesseurs. Et pour Cerah, c’est une bonne chose pour l’instant ; c’est effectivement une concession qu’ils n’étaient pas obligés de faire, personne ne peut leur retirer ça. Mais ils continuent à s’armer. Ils n’ont pas changé leur projet, ils sont en train de mettre la main sur l’arme la plus dangereuse d’Arathia. Ils s’assurent juste qu’il n’y aura pas de seconde Ciara.”

En parler ainsi, au passé, te blesse. Elle était ton amie, ta soeur d’armes, une colère partagée qui aurait pu vous mener loin. Un nom de plus que tu n’as pas envie de mettre sur le tableau des morts qui alourdissent tes pas et nourrissent ta Colère.

Vos regards se croisent à nouveau mais tu sens qu’il n’est pas encore remis. Tu n’arrives que très difficilement à décroiser tes bras, posant cette main à laquelle il a tranché deux doigts sur son avant bras ; un contact léger, pour l’enjoindre à continuer. Elle ne se retire pas lorsqu’il évoque ses origines. Tu sais. Tu étais en paix avec, tant que tu étais sûre que vous voyiez en Arvandor un ennemi commun… Et ta main se retire, comme s’il t’avait brûlée, alors qu’un instant ton regard menace de prendre l’eau. Ton esprit bien trop négatif en général a vite fait de faire les associations. Vêtue d’une de ses chemises uniquement, comme si tout ce bonheur était acquis, tu essaies de raisonner. Ce n’est pas contre toi. La guerre l’a brisé, les Perce-écailles ont abîmé son corps, l’ont privé d’une partie de ses rêves ; tout ça en quoi, trois, quatre ans ? Quelques années d’écart qui auraient pu tout changer pour lui, quelques années d’écart et vous n’auriez jamais été dans la vie l’un de l’autre. A côté de tout ce qui le hante, tu ne fais pas le poids, tout simplement. Et c’est normal, tu es faite pour la guerre uniquement, pas ce qui vient après, tu sais détruire, pas réparer ou construire quoi que ce soit.

“Pourquoi…”, allez, reprends-toi. Tu n’arrives pas à le regard, mais ta voix est assez stable. “Pourquoi tu ne m’accompagnerais pas ? Ma mission à Cerah se termine avant même d’avoir réellement commencé, mais pas l’autre. Je retournerai à Arvandor, je n’ai pas terminé.”

Tu lui as demandé, à votre première rencontre, et il a refusé de te filer la moindre carte. Mais s’il s’en souvient, il sait que tu ne feras rien de directement dangereux pour le royaume de l’épée ; tu es juste là pour les informations.

“Tu pourrais voir comment les choses ont évoluées. Comment tu te sens là-bas, et… Ca te ferait peut-être du bien.”

De toute façon, tu y iras, avec ou sans lui, et courage à celui qui cherchera à t’en empêcher.

Un bref soupir accompagne son refus, mais tu n’insistes pas. C’est plus simple, si les choses tournent mal, tu n’auras qu’à te défendre toi. Et tu pourras bien utiliser ce qui s’est passé à Solaria pour t’en sortir, aussi, si on te questionne. Pourtant, tu apprécierais de voyager avec lui. De parler de ce que tu découvres avec quelqu’un, de… De danser avec lui, puisqu’il en parle. Qu’il te rapproche te rassure, et tu t’accroches enfin à lui, peut-être un peu plus fort que prévu, maladroite tant la danse n’est pas ton point fort. Le laisser-aller qui pêche, certainement. Tu grommelles pour de faux, accrochant tes doigts à sa chemise pour lui montrer que tu ne veux pas le lâcher.

“Il faudra que tu le découvres à l’occasion, alors…”

Progressivement, tu tentes d’endormir tes inquiétudes pour l’avenir. Vous êtes ici, ensemble, et rêver à ce qui aurait pu être différent ne vous mènera nulle part. La réalité de toute façon, c’est qu’actuellement, tu n’as pas imaginé ne pas revenir à Cerah, entre tes voyages à Arvandor. Pour pouvoir souffler, à la base aussi, pour construire quelque chose avec les cérans. Tu réalises que tu n’as plus cette obligation, et Evane lui s’en est rendu compte avant toi. Ta permission ne touche pas encore à sa fin, mais les semaines sont comptées, après tout. Et pourtant… Tu n’as pas envie de quitter ses bras, tu n’as pas envie de te lever à nouveau seule le matin, dans une maison vide. Ton coeur se serre, tes mains autour de son corps également.

“Quand tu dis ça comme ça, on dirait des adieux… ” tu étouffes ces quelques mots contre son torse, y plantant sans le vouloir la pointe de tes cornes.

Mais c’est mieux ainsi. Ne pas lui donner ce sentiment d’être en équilibre précaire entre sa patrie qui l’accueille à nouveau et toi. Pour être ainsi avec lui, à savoir qu’il faudrait prendre sa vie pour compenser le sang verser et désirer plutôt partager son quotidien, tu ne lui souhaites pas. Tu te demandes même s’il ne cherche pas à s’éloigner, pour lutter contre l’envie de te suivre malgré tout.

Tu le laisses pourtant aller, immobile encore, en l’observant alors qu’il attrape une petite boite.

“Je n’avais jamais quitté Vollheim… Xing Alda paraît loin, mais au fond… Tu feras surtout attention, avec ta peau, je n’ai pas envie de te retrouver tout pelant à cause du soleil.”, en parlant, tu attrapes la boite.

Lorsque tu l’ouvres, ta perplexité se voit. Ce sont des… perles ouvragées. Elles sont jolies, il y en a deux, mais tu as du mal à comprendre où ces bijoux peuvent se mettre. Tu en sors une, délicatement, pour l’observer à la lumière du feu. Elle n’est pas très lourde, peut-être une boucle d’oreille, mais tu ne vois pas de clou pour accrocher à ton lobe. Ou un pendentif ? Ou alors… tu rougis, repoussant l’idée qu’il ait songé à t’offrir quelque chose d’intime dont tu ne verrais pas vraiment la possible utilité - manque d’imagination. Alors c’est un bijou. Certainement. Et par deux, des boucles d’oreilles. Tu as toujours l’air perplexe, absolument ignare technologiquement parlant.

“Elles sont jolies ! Ça me changera de mon style habituel, merci. mais heu…”, oui, voilà, tu comprendras quand il t’aura aidé à les mettre en place. “Je vais avoir du mal à les enfiler, tu peux m’aider s’il te plaît ?”

Une manière de dissimuler que tu n’as aucune foutue idée de ce que ça peut être.

Evane s’amuse et tu patauges à ne pas trop montrer que tu ne comprends rien à ce que c’est. L’aspect rustique de Vollheim ne t’a jamais dérangé ; tu ne connais que ça, tu es fière de l’artisanat de ton pays et, pour ce que tu as pu voir ailleurs, il n’y a rien qui te fasse regretter que vous ne soyez pas plus avancés. Tu lui laisses les .. choses, écoutant ses explications avec une expression de plus en plus confuse. C’est réellement…. Ce que tu penses ??? Tu n’es vraiment pas sûre d’avoir déjà envie d’utiliser ce genre de choses, pas alors que tu dois encore analyser et faire tien tout ce que vous avez partagé ; mais il continue à décrire d’autres configurations possibles et tu rougis. Discrètement, heureusement, mais toi, tu sens ton visage chaud.

“Hm…”

Tu pourrais affirmer que tu sais très bien ; mais non. Tes idées sont parties dans trop de sens et tu ne serais pas capable de parler de jouets de ce genre aussi librement que lui. La main refermée sur ce dont tu ignores toujours l’utilité exacte, confuse au dernier degré, tu te détends enfin quand il explique.

“Oh… J’en avais entendu parler mais je n’en avais jamais vu… ”

Lentement, tu baisses les yeux vers ta main refermée, analysant le sentiment qui t’étreint. Une certaine chaleur, le pincement de savoir que ce temps ensemble n’était qu’une petite parenthèse dans vos vies, le soulagement de savoir que même si vous partez chacun de votre côté, vous ne vous séparez pas vraiment. Ce n’est pas “toi” qu’il fuit. Tu fermes les yeux, te penche en avant, jusqu’à ce que ton front rencontre sa peau. Tu relâches la pression, appréciant cette odeur que vous partagez.

“Merci.”, un peu trop intense, un peu trop grave, mais avec toi, c’est usuel. “Que tu parles de partir juste après qu’on ait… Qu’on… Enfin. Ca, c’est rassurant.”

Parce que la réalité vous a déjà rattrapé de plein fouet ; tu n’as pas envie, mais vos chemins vont se séparer. Tu aurais préféré ne pas y penser maintenant, repousser encore un peu. Mais tant que vous vous retrouverez… Ca ira.

Tu t’écartes, observant encore la gemme de lien. S’il ne faut pas en abîmer la structures, tu repères déjà comment la monter dans un collier. Pour garder Evane au plus proche de toi, discrètement. Aussi certainement que les anneaux de tes frères ornent tes cornes, sa gemme de lien ne te quittera pas.

“Ca te va si on mange devant la cheminée ? J’ai envie d’être contre toi.”

Un baiser rapide sur ses lèvres, en te hissant sur la pointe des pieds, et tu pars déjà t’occuper de la finition du repas, pour que vous puissiez encore quelques instants profiter de cette béatitude stupide qui déjà disparaît. Égoïstement, tu aurais aimé qu'elle dure un peu plus...

“Je pourrai revenir par ici, même si tu es absent ? Je ne repartirai pas d’Arvandor directement après tout…”