Le sujet va être sérieux, tu le sens facilement. Sans hésiter, tu lui offres ton regard, montrant qu’il a ta plus totale attention pour le rassurer. Dès qu’il parle de deuil, tu vas chercher sa main pour la serrer. Tu ne sais pas encore de quoi il s’agit mais tu veux lui faire comprendre que tu le soutiens, qu’importe ce que c’est.

Ton regard se durcit cependant, à l’évocation des Perce-écailles et de leurs pratiques barbares. Tu les hais ; tu sais la fracture que ça fait dans ton esprit, à voir Evane comme l’homme qu’il est aujourd’hui et l’ennemi qu’il était. Mais tu ne détournes pas le regard, tu ne fuis pas ce qu’il a à te dire. Ta main tenant la sienne ne flanche pas un instant.

“Tu savais que c’était un risque, quand tu les as rejoint ?”, demandes-tu doucement.

Au fond, ça ne change pas grand chose. Il était jeune, tu aurais aussi fait ce genre de choix si on te l’avait proposé en entrant dans l’armée. Tu aurais sacrifié ta santé pour Vollheim et tu ne peux lui reprocher d’avoir fait de même pour Arvandor. Mais s’il ignorait… Si son choix était biaisé par un manque d’informations volontaire, tu ne pourrais qu’avoir envie de bousiller un peu plus l’armée ennemie.

Puis tu réalises, lentement, qu’il a bien dû s’en rendre compte d’une manière ou d’une autre. Qu’il y a eu quelqu’un avec qui il a certainement voulu tenter le coup, sans succès. Tu peux imaginer sa douleur, tu sais ce que c’est, de loin, pour avoir vu des espoirs d’enfant périr dans l’oeuf. Est-ce que tu devrais être jalouse ? Tu n’y arrives pas. Est-ce que cela devrait t’inquiéter pour votre futur ? Tu n’arrives pas encore à t’y projeter, tu n’oses peut-être pas. Tu sais que tu veux qu’Evane en fasse partie, comme tu sais que tu repartiras l’hiver fini. Peut-être n’êtes vous qu’un instant passager, le temps d’une saison. C’est sans importance au fond. A l’instant, ton compagnon a besoin de ton soutien, tout simplement.

De ton autre main, tu encadres sa joue avec toute la douceur dont tu es capable.

“Je suis… Vraiment désolée pour toi, Evane. Ca a dû être dur, quand tu l’as appris. Tu as dû te sentir seul… ”, ton pouce caresse sa peau, geste régulier mais que tu veux rassurant. “Est-ce que tu veux parler des autres effets ?”

Tu laisses volontairement de côté l’herboriste, les détails sur votre vie sexuelle qui ne sont pas le plus important pour l’instant. Tu pourrais lui dire que ça ne change rien pour toi, mais ça aussi, tu préfères le laisser pour plus tard. Juste, à cet instant, lui montrer qu’il a le droit d’être le centre de la conversation, que tu lui laisses de l’espace pour ça. En espérant que tu sois assez douée pour qu’il le comprenne.

Ce n’est pas évident de comprendre réellement ce que penses Evane, ce qu’il ressent. Tu le voix réfléchir, tu regrettes presque de n’avoir une main de plus pour venir le toucher - déjà qu’il t’a volé deux doigts qui manquent, autour de sa joue - alors tu enroules ta queue autour de sa jambe. Tu lui laisses le temps de se décider, mais tu es là, tout simplement.

Sous ses paroles, tu te demandes comment lui gère cette fracture. Tu as éliminé nombre de ses alliés, ses camarades. S’il ne semble pas vivre avec le poids de ses morts comme toi tu traînes les tiens, envers et contre tout, pour te maintenir debout, tu sais qu’ils sont là. C’est peut-être eux qui se mettent en travers de sa parole, ou peut-être a-t-il honte… Tu te laisses porter par le mouvement, tu te blottis, tout contre lui, avec la sensation d’être pourtant bien loin. Peux-tu réellement l’aider à surmonter ce dont il ne veut pas parler ?

Tu fermes pourtant les yeux, te répétant comme une litanie que c’est du passé. Tout ce que le Sang de Dragon - de tes ancêtres - a pu lui faire est loin à présent. Il va bien. Et qu’il soit stérile… Si tu devais penser égoïstement, tu trouverais ça sacrément pratique.

Quelques semaines plus tôt, tu l’aurais secoué, tu aurais vociféré pour qu’il parle. Tu ne sais pas réellement ce qui pousse ton changement, quand tu es avec lui. Mais toute ton inquiétude s’exprime autrement, certainement pour le mieux. Elle est pourtant là, que tu la hurles ou non.

“C’est parfois plus facile quand on en parle… Pas sur le moment, mais après.”, tu soupires à ton tour. Tu veux savoir ; s’il y a des choses qui se mettront entre vous, tu veux pouvoir les anticiper, l’aider. S’il est encore rongé par le souvenir des effets, tu veux aussi savoir… “Sur le moment, ça peut vraiment être atroce, alors… Je n’insisterai pas.”

Un peu plus tard. Tu espères. Tu n’as pas envie de le culpabiliser s’il ne parle pas, mais tu ne veux pas qu’il pense que tu t’en fous. Par les quatorze, l’époque où tu voulais juste l’éliminer semble brièvement beaucoup plus simple. Mais tu ne peux peut-être que détruire, et construire quelque chose est bien plus dur, bien moins couronnable de succès.

Son baiser chasse la pensée sombre, brièvement imposée dans ton esprit. Tu acquiesces, avant d’avoir un rire bas.

“Il y a une coutume à Vollheim qui consiste à prendre un bain très chaud et ensuite se plonger dans la neige glacée… Disons qu’on fait l’inverse, cette fois ?”

Tu t’écartes un peu plus, pour lui laisser la place en te savonnant rapidement ; c’est un réflexe de t’assurer que tout est en ordre, peut-être un peu gênant, mais vous vous habituerez à ça.

C’est après un baiser que tu sors de l’eau, lui tendant une serviette pour laisser de ton côté quelques traces mouillées jusqu’à l’armoire devenue commune par la force des choses. Tu sors deux tuniques à lui, une pour toi que tu enfiles immédiatement, l’autre que tu veux lui tendre. Dans la pénombre de la nuit tombée, seul le feu mourant lèche l’anthracite de ta peau.

“Tu as eu une idée fantastique en préparant déjà à manger, tu sais ? J’ai un faim de Voldrak !”

Pourtant ton regard est attiré par la missive qui a été glissée sous la porte. Le rectangle est clair sur le plancher sombre, et tu soupires, te penchant pour récupérer la missive et la poser sur le vêtement propre. Il y a une part de curiosité, mais cette fois encore tu respecteras ses limites. Après tout, tu n'aimerais pas qu'il fourre son nez dans ton courrier, si ton Roi devait t'écrire...

“Tiens, c’est peut-être pressé.”, parce qu'urgent, c'est déjà un peu tard.

Tu te détournes, décidée à lui laisser son intimité. La table ne va pas se mettre toute seule après tout ; le feu doit être entretenu pour que ton amant n'attrape pas froid. Tous ces petits gestes du quotidien, que tu chéris presque autant que l'homme avec qui tu les partage.