La demeure de l'Émissaire dont on entendait tant les louages ressemble à des milliers d’autres maisons des couches les plus basses de la société malaqii, en terre et aux bords irréguliers et sa pièce unique minuscule, mais il n’y a pas besoin de plus. Une simple porte en bois, une minuscule lucarne creusée dans un mur qui ne laisserait même pas passer un enfant, mais un oiseau si.

L’intérieur offre un décorum pour le moins inexistant, le sol en simple terre battue inégal, et à peine recouvert de plusieurs tapis, de quelques coussins et couvertures dépareillés, il n’y a pas de meuble sur lesquels se heurter. En fait, il s’agit là véritablement d’un nid d’aigle : un confort minimal parce que l’on ne prévoit pas d’y passer ses journées, un simple point de chute. Cette petite bicoque ressemble bien à son propriétaire, elle est humble tout comme l’oiseau qui loge en son sein. Elle n’a jamais fait ça pour l’argent, elle se fait même payer une misère des courses parfois dangereuses et dernièrement l’on murmure qu’elle a subi quelques déconvenues entre refus de la payer et maltraitances ordinaires.

La nuit est tombée depuis bien des heures et l’aube est encore loin, et la jeune femme-oiseau dort paisiblement, l’une de ses ailes entièrement étendue sur le sol, prenant presque toute la longueur de la pièce, presque à l’étroit dans une cage trop petite pour elle. Son autre aile recouvre son corps minuscule en comparaison à la manière d’une couverture. Son dos gracieusement offert à qui lui voudrait du mal.

De quoi rêve un oiseau si ce n’est de voler ? Bonne question, elle rentre souvent bien tard chez elle et tombe d’un sommeil lourd - celui du brave - trop souvent sans rêve. Ou bien pour se protéger de la chaleur de l’après-midi.

Toujours est-il que le visiteur nocturne devra prendre garde à ne pas effrayer l’oiseau qui aurait tôt fait de se sauver ou bien d’être plus rapide que lui.

La nuit n’était jamais entièrement silencieuse, surtout dans ces quartiers crasseux qu’il aurait été stupide de regarder de haut, lorsque l’on savait quel genre de perle pouvait se trouver sous les toits de ces cahutes aux apparences pauvres. C’était même ce qui permettait à Zill, silhouette masquée qui avançait dans les rues en toute discrétion, de ne pas réellement s’inquiéter de ce qui allait se passer sous les éclats lunaires. Personne ne s’inquièterait d’un potentiel bruit, personne ne viendrait voir.

La maison ne fut pas dure à trouver, puisqu’il était bien renseigné, et s’il songea à bloquer la seule entrée de lumière, il abandonna rapidement l’idée. Ne rien y voir n’était pas confortable, et s’il était plutôt habitué à la pénombre, il ne serait capable de pas grand chose dans les ténèbres complètes. A la place, un homme à lui était posté non loin, ayant pour ordre de mettre à terre ce qui sortirait de cette petite fenêtre.

Silence, pourtant, lorsque la porte s’ouvrit et qu’il repéra la silhouette de la dame-oiselle endormie. Inconsciente de ce qui allait lui tomber dessus… Silence encore, alors qu’il s’approchait en usant de toutes ses compétences pour ne pas faire de bruit. La nature l’avait bien doté, à ce niveau là.

Et sa main se tend, se plaque sur la nuque de la jeune femme, serre pour l’immobiliser, alors qu’il pose un genou proche de la base de l’aile, pour écraser les plumes, menacer l’os et faire comprendre de ne pas bouger.

“Coopérez et il ne vous arrivera rien.”, sa voix à travers son casque offrait des accents inquiétants, malgré la douceur calme de celle-ci. “Quels sont vos liens avec les Ozey ?”

Son cœur rate un battement, lorsqu'elle se fait saisir. Il y a des réveils plus difficiles que d'autres, et celui-là est sans commune mesure, un mauvais rêve cela se chasse rapidement d'un battement d'ailes sans mauvais jeu de mots, une intrusion c'est plus délicat. Mais ça ne l'empêche pas de s'agiter, simplement guidée par son instinct qui lui dit de préférer la fuite à la mort, la démarche est honorable, mais l'échec cuisant, la douleur sur son aile bloquée et la pression sur sa nuque lui indiquant que l'échec est consommé. Et c'est la douleur ainsi que la terreur qui la font coopérer plus que les mots, les battements de son cœur affolé presque audibles.

Et Farah se retrouve bien penaude à vouloir échapper à la douleur sans réellement comprendre ce qu'on lui reproche, sa main droite cherchant à écarter timidement la pression sur sa nuque, puisqu'elle ne peut pas atteindre son aile. Le spectacle est certainement pitoyable, vu de l'extérieur, surtout lorsqu'on observe la panique s'opposer à un cruel sang froid. Elle implore qu'on la laisse, avant de s'appaiser son esprit reprenant l'avantage sur l'instinct animal. « Je ne suis qu'une messagère. » Mais elle se doute qu'une réponse aussi laconique ne satisfera sans doute pas son interlocuteur. « Une nuit ils m'ont demandé d'attraper tous les oiseaux que je croiserais et de récupérer les messages. » Simples pigeons messagers contre un aigle le combat à la défaveur du plus petit, qu'importe la naïveté du seigneur des cieux.

La jeune malaqi est tombée sans doute dans un piège aussi vieux que les arts de la conjuration, si l'on ne veut pas se fatiguer ou que l'on ne parvient pas à acheter un messager, autant se servir d'une petite main bien naïve pour faire le sale travail à sa place, qui sera prête à tout pour un repas chaud et une considération de façade. Tout en ayant l'avantage d'être corvéable à merci et un pion facile à remplacer.

La peur était un sentiment bien compréhensible, dans cette situation très précise. L’inverse l’aurait presque déçu, bien que rien ne fusse lisible sous l’éternel masque que Zill portrait. Au fond, sans lui, l’espion n’existait pas.

Sa main resta parfaitement fixe, alors que celle, plus petite, de l’hybride cherchait à l’écarter. La position était désagréable, douloureuse. Parfait. C’était fait pour. Lui-même n’avait rien contre la jeune femme, personnellement, et l’éxécution de ses mouvements était un déroulement mécanique, presque froid. Attendre qu’elle se débatte, qu’elle réalise son incapacité à s’enfuir. Attendre que la panique lui brouille l’esprit et lui dévore ses réflexes.

Ensuite, frapper.

Pas physiquement, non, il n’était pas de ce genre là, tant qu’il pouvait l’éviter.

Claquement de langue quand elle essaya de se dédouaner. “Qu’une messagère”, qu’un coursier, qu’un petit grain de sable, et les rouages entiers de l’empire étaient en péril. Et la main se serra un peu plus, sur la nuque fragile, trop fine.

“Sais-tu quels messages tu as attrapés ? Quelles lignes de transmissions tu as mis à mal ? Dis moi, si je te brise une aile, tiendras-tu l’empereur responsable ou ma propre personne ?”

Comme pour donner à sa menace plus de poids, il appuya un peu plus sur l’aile délicate. Le bruit des os qui craquent ne l’aurait pas dérangé, mais il prit bien garde de ne pas aller jusque là. S’il comptait lui laisser une chance, autant ne pas l’abîmer. Si au terme de cet entretien, il estimait qu’elle ne le méritait pas, il ne comptait pas la torturer pour autant.

“Tu dois avoir conscience, et moi également, que personne ne réaliserait ta disparition. Tu n’es personne, et c’est pour ça qu’ils t’ont utilisée. Et tu veux qu’ils paient, et non toi, n’est-ce pas ? Je veux des noms. Des dates exactes, tout sur cette affaire. Et peut-être, alors, pourrais-je me montrer complaisant…”

Au nom de l’empire.

Ce claquement de langue désapprobateur la glace, il est surprenant de savoir qu'un simple bruit peut faire battre un cœur encore plus fort. Et enfin cette main ferme sur sa nuque, les gestes de la demoiselle se font plus agités pour tenter de se dégager, pas plus précis, même encore davantage brouillon. Elle ne peut pas toujours s'en sortir en disant qu'elle n'est pas responsable, qu'elle ne sait pas, et que ce n'est pas de sa faute. Et à vrai dire, elle croit mériter largement ce sort. Comment pouvait-elle savoir toutes les ficelles des grands ? Elle appartenait au tout petit peuple, loin des intrigues des grands de ce monde. Puis vint la question autour de la responsabilité, si son aile devait être brisée, c'est vrai, à qui reviendrait la faute ? « C'est moi la seule responsable. » Il y a des gens ainsi, qui dès qu'ils se sentent coupables de quelque chose ne pensent plus qu'à ça, sans réussir à s'autoriser à sortir de cette pensée obsessionnelle.

Il y a des émotions qui vont très mal à certaines personnes, la terreur et la douleur pour Farah, elle n'est de toute évidence pas habituée à la violence, bien qu'elle ait pu voir ou faire des choses qu'elle n'aurait jamais du. Cette simple pression supplémentaire sur son aile sensible aurait pu la faire s'enfuir, hurler ou supplier encore davantage. Son aile libre claque brièvement, se heurtant au sol, comme pour se donner cet élan, sans succès, perdant quelques plumes à la manière d'un oiseau entre les griffes de son prédateur, sans pour autant être en mesure de s'échapper, elle n'a pas l'espace et la liberté de mouvement pour se transformer, et elle ne sait pas utiliser sa magie sous sa forme bipède.

Les larmes s'écoulent, sans qu'elle ne puisse rien opposer à cet odieux personnage, qui se rendrait compte qu'elle disparaîtrait et encore plus à cause de cet évènement ? Sans doute personne et ça semblait bien la faire souffrir de l'apprendre. Peut-être quelques habitants de la ville, seraient tristes de ne plus voir l'émissaire voler paisiblement au-dessus des rues. « C'est un noble, un certain Dahman qui m'a demandé d'attraper tous les pigeons cette nuit-là. » Alors, elle lui donne tout ce qu'elle sait, les quelques prénoms qu'elle a entendus, lancés un peu accidentellement - personne n'irait donner son nom complet à un message -, elle donne aussi la date et les heures exactes, d'ordinaire, ce n'était pas le genre de travail qu'elle acceptait, mais elle n'avait pas nécessairement eu le choix. Et si un pigeon n'est pas si aisé à abattre pour un homme, pour un aigle ça ne représente aucune difficulté, surtout combiné à une intelligence plus humaine qu'animale.

Sous le masque, un froncement de nez. La manière de penser de la dame-oiselle le dépitait profondément. Il aurait préféré l’emmener où lui aurait pu avancer des idées telles que le report de la responsabilité d’une faute, mais il comprenait. La terreur qui suintait de cette pauvre victime d’un monde qui peinait encore à être juste, malgré les efforts de l’empereur, lui disait tout ce qu’il fallait savoir.

Elle serait facile à manipuler, et parfaitement disposable.

Pas de place pour la compassion. Zill savait où il allait mener la messagère, et elle semblait une bonne pâte, argile souple pour y parvenir.  Soigneusement, l’espion écouta les informations précieuses que lâchait la pauvre malaqii terrifiée. Et comme pour montrer sa satisfaction, après avoir obtenu tout ce qui lui ferait, à elle, risquer sa vie entre les griffes de ce Dahman, il relâcha la pression sur son aile. Il aurait pu l’éliminer, simplement, sans ressentir la moindre émotion à ce sujet. Depuis qu’il travaillait à ce poste, il avait appris à tuer tout ce qui aurait pu être un poids-mort. Ne restait que le zèle et la fidélité envers l’empereur.

“A présent, tu vas travailler pour l’empire.”

Oh, mais nul ne dirait que l’empire d’Al’Malaq était un esclavagiste.

“En apparence, tu continueras tes services usuels. Tu iras également signifier à Dahman que tu es disponible pour d’autres missions de ce genre. Simplement, tu préviendras quelqu’un de ce qui va arriver. Et tu seras rémunérée, bien sûr. Un salaire mensuel, que tu aies des affaires à nous remonter ou non.”

Il était facile d’améliorer le quotidien de cette gamine perdue. Il faudrait qu’elle soit assez maline pour ne pas se faire repérer trop vite, mais paradoxalement, il lui faisait confiance pour ça : elle avait survécu jusqu’ici, après tout.

Le grand homme se releva, son expression impossible à imaginer derrière son masque de fer. La cabane miteuse semblait trop petite pour sa carrure, mais il ne montrait aucun signe d’inconfort. A Clara Nocte, on l’aurait certainement pris pour un de ces automates qui ne savaient que singer les humains sais jamais réellement s’en approcher.

“J’ai d’autres informations sur toi qui te vaudraient la prison. Voir pire. Un camp dans le désert, des morts… Alors tu as tout intérêt à coopérer.”

Une pause, brève, pour laisser le temps à la menace d’être entendue, comprise. Il était facile de créer de fausses informations sur quelqu’un ; plus facile encore d’utiliser celles que les gens laissaient trainer derrière eux, en croyant qu’ils étaient à l’abri, trop insignifiants pour attirer l’oeil des puissants.

Zill ne laissait rien échapper aux yeux de l’empire.

“Avons-nous un accord ?”

Naïve, elle l’est c’est inévitable pour une créature élevée loin des vices de ce monde et ni la misère de sa position, ni la méchanceté des Hommes ne parviendra à lui enlever ce qui peut être un défaut. Et si elle n’a pas la force de lutter face aux menaces à peine voilées, se taire et ronger son frein restent encore les solutions les plus viables pour sa survie. Un mal nécessaire, comme celui d’abuser des faibles.

Travailler pour l’empire, n’est-ce pas déjà là ce qu’elle fait en œuvrant pour le général et la grande bâtisseuse ? Non, c’est quelque chose de bien différent que l’on attend d’elle à présent, ce n’est pas colporter quelques missives de moindre importance, c’est espionner au service de quelque chose d’encore plus grand. Et si la petit cluasan n’est pas difficile à convaincre, qu’en pense l’émissaire ? Fier d’ordinaire, il semblait déterminé à se taire, il n’y a pas besoin de qualités animales dans cette situation, mais nul doute qu’il ne tardera pas à prendre les rênes pour les conduire hors de danger.

« Oui. » Elle ne trouve rien à objecter, les questions viendront plus tard, et nul doute que les informations dont elle disposera seront réclamées en temps en en heures.

Sentant que cette entrevue touche à sa fin maintenant qu’elle est libérée, elle s’écarte rapidement, oui, elle a eu peur, oui son aile est encore douloureuse, maintenant que l’accord est signé verbalement et que l’homme est prêt à partir, elle peut prendre la fuite. Pouvant reprendre la forme dans laquelle elle se sent davantage en sécurité, moins encombrante, sans doute plus ridicule aussi.

L’oiseau n’est pas cette jeune femme terrorisé, il aurait été aisé de le prendre pour un simple animal, en dehors de son apparence et des informations que l’on peut obtenir à son sujet. Ses réactions sont neutres, dépourvues de tout affect et considérations, et lorsqu’il se hisse dans les airs d’un battement d’ailes, son regard se pose sur le maître-espion. L’émissaire n’aime pas cet homme et ce n’est pas son dernier regard qui dira le contraire lorsqu’il traverse le plafond, la surface se tordant comme de l’eau pour se laisser pénétrer par l’animal, ils ne s’entendront pas et ce maître sera certainement l’un des pires qu’il connaîtra, mais ça n’importe pas en cet instant. Pour lui, son nid à été dérangé par un prédateur, il est temps d’en changer.