L'heure n'était plus à arpenter les confins d'Arathia dans le but d'éteindre la flamme d'un Élu, le Nid les appelle.
S'était mis en route dès que possible, Ariel, ravi d'avoir pu quitter les forêts pour retrouver la côte familière d'Arvandor et observer le large, la population en contrebas, bien accoudé à la fenêtre de la chambre louée.
C'est ainsi qu'il la retrouve.
Albirrhoé.
A manqué de se défenestrer par accident, en se penchant pour attirer son attention dans la précipitation. La hèle plutôt, son sourire est large, creuse ses joues, et juste comme ça, les mois qui les avaient séparés fondent comme neige au Soleil, à croire qu'il l'avait vue la veille.
Les escaliers avaient été dévalés, rue traversée et passants bousculés -excuses lancées par-dessus son épaule-, s'était ensuite pratiquement jeté sur elle pour la serrer dans ses bras, c'est seulement parce qu'il sait qu'elle était assez solide pour l'attraper.
Il lui avait évidemment proposé de partager la pièce occupée à l'auberge, puis s'était enquérit de sa situation, ordre d'interrogation inversé, papillonne d'un sujet à l'autre — ramené à l'ordre gentiment.
Lèvres toujours étirées, il avait accueillit la remontrance qui n'en était pas réellement une d'un rire léger.
L'habitude est rassurante.

S'étaient éloignés du brouhaha animé d'Avalon et de son port, optant pour l'une des plages adjacentes.
Pas entièrement seuls, mais suffisamment éloignés pour parler à coeurs ouverts.
En a toujours eu beaucoup à dire, Ariel, habitué d'être l'élément (trop) social de l'Ordre, Maître de sa Meute, mais aujourd'hui, il ne se considère pas protagoniste de leur conversation.
Ne souhaite pas l'être.
Il a bien vite remarqué qu'elle n'est plus aussi vive, orage perpétuel l'entourant.
La mort de l'Orque projette toujours une ombre, difficile de s'extirper de cette dernière.
S'il n'avait jamais été bien près de lui, la perte reste grande, ne peut qu'imaginer celle qui pèse sur ses épaules.

— Ça m'avait manqué.

Ton tranquille, serein.
Il s'était suffisamment plains de la verdure de Cerah, que les lacs et les rivières traversant le royaume de l'Arbre ne valaient pas la mer de Sylve.
Ses bottes sont abandonnées un peu plus haut, avec son sac, pantalons retroussés pour ne pas ramener trop de sable avec lui -combat perdu d'avance-, ne s'est pas encore hasardé à mettre un pied dans l'eau.
Incline la tête de côté, paupières mi-closes, l'observe du coin de l'oeil.

— Comment s'est passé le bal ?

Il aurait largement préféré profiter de ce dernier, plutôt que de crapahuter dans les bois, évitant de se faire aplatir par les bestioles du coin par un bon samaritain déterminé à dépoussiérer ses connaissances de la faune ceranne.
Mais son envie n'est pas trahie par ses mots, sincère dans sa question.
Espère qu'elle a pu se distraire, l'espace d'un instant.

Une séparation, promesse de se revoir bientôt. Dur de savoir comment gérer tout ça, c’est nouveau, peu habituel, et j’ai toujours le sentiment que je vais tout gâcher. Des questionnements aussi, si ce mode de vie peut être compatible avec ma mission. Si un jour, j’aurai à choisir entre ce qu’il y a de plus sacré et ma petite-amie, en sachant très bien qu’elle ne fera pas le poids face aux Chevaliers Saints.

L’heure de bientôt quitter Arvandor approche, retourner au Nid et trouver une manière plus efficace d’agir. L’information à porter est importante : on peut faire perdre sa marque à un élu, par nos actions, notre impact sur eux. Si certainement l’Orgueil est le plus simple à détruire, il faudrait se réunir, entre Armures, pour savoir si c’est une bonne manière ou non de faire disparaître ce système absurde et fallacieux…

Perdue dans mes pensées, je manque de mourir d’une crise cardiaque lorsqu’on m’appelle ; un sourire étire mes lèvres, dévoilant mes dents pointues même s’il n’atteint pas mon oeil, alors que je salue Ariel du haut de sa fenêtre. Brièvement, je me demande s’il va me sauter dessus, bande les muscles pour être sûre de pouvoir le rattraper. Mais non, sa tête rouquine disparaît et je compte, mentalement, le peu de temps qu’il lui faut pour certainement dévaler les escaliers, débouler dans la rue et me sauter dessus. Sans problème - préparée - je l’attrape, le serrant brièvement avant de le relâcher, comme trop souvent, craignant de l’indisposer si je transpire. Avec lui, c’est toujours comme ça, une habitude confortable qui revient comme si nous n’étions jamais séparés, un confort qu’il sait faire naître. Avec lui, paradoxalement, je n’ai pas l’impression d’être indigne de mon Armure.

Et sans m’en rendre compte, je me laisse entraîner. Nous nous éloignons de la ville, profitant de cette période où le temps est plus que clément pour laisser parler notre nature profonde. Si lui a été plutôt gâté par la génétique, nous restons des sirens, irrémédiablement attirés par les étendues d’eau et les fonds marins…

Bientôt, le sable crisse sous nos pieds dénudés, ce bruit si typique du sel cristallisé dans les grains microscopiques. Je pourrais rester là, à simplement l’écouter, me laisser bercer par la voix du quotidien et du bien-être. Mais sa question me tire de ma bulle, et je sens un vague rougissement sur mes joues, brièvement, avant de détourner l’oeil vers l’océan.

“Bien ! Mise à part les cloques aux pieds le lendemain, j’avais vraiment des chaussures de merdes !”, la sincérité transparait brièvement, avant que mon regard ne se perde dans le vide. “On y est allé avec Ben… Fin, lui il était déguisé, j’crois qu’il veut aussi participer à l’Ordalie. Et j’y ai revu une vieille amie…”

Une hésitation, peut-être perceptible, mais je change de sujet. Oh, il faudra absolument parler d’Aurelia ; mais pas tout de suite.

“Et toi ? Tu as l’air plutôt en forme… Même si moins bavard que d’habitude, tout va bien ?”

Entre pique et sollicitude.

Son attention s'était détournée de la Mer, s'orientant plutôt vers elle, lorsque sa question s'extirpe d'entre ses lèvres.
Expression examinée avec une curiosité bienveillante, intéressé par ce qu'elle avait à dire concernant son expérience à Arvandor.
Ça le fait sourire, de l'imaginer hors de son armure habituelle, drapée d'habits terriblement ostentatoires qui lui aurait probablement plus fait plaisir à lui qu'à elle.
Vision saugrenue, doute que la réalité ait été aussi extravagante que l'image qu'il s'en fait, ne doute pourtant pas une seule seconde qu'elle dût, malgré tout, être très jolie.
Il ne peut s'empêcher de pester intérieurement d'avoir raté l'événement.

— Ah, les joies des atours de bal ! Si tu en as encore besoin, je dois avoir un baume, à l'auberge, qui pourrait aider.

N'est pas étonné d'apprendre que le Faucon souhaite participer à l'Ordalie des Cendres, se fait une note mentale de le féliciter si la victoire lui sourit.
Ou de lui offrir un verre, en cas de défaite.
Mais c'est la mention d'une vieille amie qui allume une étincelle de malice dans ses yeux rubis, n'ayant pas oublié ses joues colorées, quelques secondes plus tôt.
Pensait la connaître sous toutes ses coutures, voit sa perception légèrement muée.
Toutefois devancé, à peine la bouche ouverte pour lui tirer les vers du nez, qu'elle le trouve moins bavard qu'à l'accoutumée.
Le rire qui lui échappe est amusé.

— Très bien.

S'avance, Ariel, quitte le sable sec pour celui, mouillé et lapé par les vagues.
L'eau est encore fraîche -revigorante à son avis fort biaisé-, froide pour l'arvandien moyen, ne l'empêche pas de profiter de cette dernière.

— Une vieille amie...

Il se retourne vers elle, mains sur les hanches, mine goguenarde placardée sur le visage.
Elle est agrémentée d'un sourcil haussé en prime.

— Rassure-moi, Albirrhoé, tu n'as pas seulement dansé quand même ?

J’ai un regard vers Ariel, comme pour l’encourager à en dire plus, mais non. Plutôt, il revient sur la soirée. C’est peut-être une manière de la vivre par procuration cette soirée qu’il a manqué. Il serait mieux avec Ben pour ça, les deux étant des papillons sociaux alors que je suis l’amie grognon qui accompagne parce qu’elle a pas eu le choix.

“Non bien sûr ! J’ai mangé, j’ai bu…”

Petit pincement, haussement d’épaules. Ca serait sûrement plus simple de ne pas en parler, de tout garder, tout au fond, et de faire comme si de rien n’était. Posant mes fesses sur le sable, je commence à défaire mes bottes. Essayer d’être plus ouverte, de parler plutôt que de me laisser bouffer de l’intérieur. Pas sûre que ça fonctionne.

“Et comme je sais que c’est absolument pas ce que tu voulais savoir et que je suis d’humeur magnanime… Avec Treag non plus, on a pas fait que danser. On a piqué de la bouffe et de l’alcool, on s’est enfuies dans les jardins… Il se peut que je l’aie accompagnée dans sa chambre…”

Des détails ? Non, ça, c’est privé. Rien qu’entre nous, même si ça ne se reproduira plus. Je vais pouvoir retomber dans la certitude de la solitude. Les gens s’éloignent, disparaissent, meurent. Et quand ils seraient d’accord pour rester, c’est moi qui doit les chasser.

“On a aussi beaucoup parlé. C’est… Vraiment une fille bien, tu sais ? Sincère, honnête, drôle… Et une ancienne Ouroboros. A partir de là, j’ai rétropédalé… On se reverra plus.”

Le Faiseur d’Or m’a laissé un assez mauvais souvenir, m’arrachant mon oeil et les jambes de mon mentor, mais ce n’était même pas ça. Devoir se cacher, savoir qu’elle ne serait jamais de mon avis, qu’on risquerait de s’opposer… Mes sentiments naissants ne valaient pas ça.

Je me redresse, époussetant mon fessier avant de courir ; le dépasser, jusqu’à avoir de l’eau jusqu’aux genoux, bondir. Il suffit de voir combien l’eau s’assombrit pour savoir que le fond plonge soudainement, ici. Quand je ressors la tête de l’eau, j’ai un large sourire pour Ariel.

“Tu viens ? Elle est bonne !”

Il l'observe, laisse les vagues laper ses chevilles, mains toujours posées sur les hanches.
Mais son sourire se fait moins lumineux, disparaît doucement.
Sait pertinemment qu'aucun Chevalier n'est destiné à trouver une autre moitié, la Mission passe avant tout, mais ça ne l'avait pas empêché d'espérer, un peu, pour elle. Puis, mauvais coup du sort, s'avère que l'objet de son affection faisait parti du seul groupe qui se met ouvertement en opposition au but qui les anime.
Son expression est contrite et le malaise palpable.
Il n'aurait pas dû aborder le sujet, s'en veut maintenant de l'avoir fait, bien qu'il sait aussi qu'il ne peut pas s'auto-flageller à ce point : il n'était pas au courant de leur histoire.

Ouvre la bouche, Ariel, pour dire qu'il est et serait là pour elle malgré sa bévue, sauf qu'elle prend son élan, le dépasse rapidement et l'éclabousse au passage. Porte une paume à son visage quand il se retourne, masque le Soleil qui l'aveugle de celle-ci pour la regarder plonger et disparaître.
Suffit de quelques instants pour la voir fendre les flots, lui certifier que l'eau est bonne.
Ça lui tire un rire, alors qu'il hoche la tête, s'avance à son tour, la rejoint en quelques mouvements pratiqués, perd pied plus rapidement qu'elle, mais ça ne le gêne pas.
C'est sa demeure, après tout, y évolue avec aisance, même avec seulement deux jambes à défaut de la longue queue de poisson.

— Albirrhoé ?

Soufflé entre deux clapotis de vagues s'échouant contre son corps.

— Je suis désolé.

Toujours aussi terriblement sincère dans ses excuses.

Mon camarade a toujours cette sincérité assourdissante, poignante. Il s’excuse comme s’il était coupable de la situation, alors qu’il n’y peut rien. C’est pour ça que c’est lui, notre lien entre tous, sûrement… Ca me donne envie de le protéger, de l’empêcher de se heurter aux réalités les plus laides de ce monde.

Ce serait oublier que c’est un Chevalier Saint, lui aussi. Une Armure, un des plus déterminés d’entre nous.

“Oh, t’inquiète pas, j’ai l’habitude.”

Le regard perdu dans le ciel, je soupire profondément. Les vêtements collent à ma peau, je bloque ma respiration brièvement pour gonfler mes vessies natatoires et m’assurer une bonne flottaison. Je sens bien qu’Ariel est plus dépité que moi par la situation…

“Enfin, d’habitude c’est plutôt juste à sens unique. Et ça finit par passer… ”

Kyrie ; Logan ; Treag ; d’autres avant, certainement après. Peut-être est-ce aussi ce que nous devons sacrifier, un bonheur qui nous est - qui m’est - hors de portée. J’aurais voulu pourtant, avoir ce petit espace rien qu’à moi, ce morceau de bonheur d’un commun à couper le souffle.

La sensation d’être belle, aimée, désirée.

C’est normal que ça ait pas duré.

“Te prends pas la tête pour ça, d’accord ? On a plus important à faire, à réfléchir… ”

Je cherche brièvement comment - paradoxe - lui remonter le moral.

“J’ai croisé l’ancienne élue de l’Orgueil. J’ai eu confirmation… Qu’elle avait perdu sa marque. Suite à notre affrontement.”

C’est pas classe, ça ?