Il y a toute sorte de clients, chez Pendragon. Des gens curieux, des impatients, des collectionneurs, des amoureux. Après toutes ces années, Pendragon peut presque tout supporter. Mais ce qu'il ne peut pas supporter, c'est qu'on le dérange dans son travail.

Heureusement, la dame en face de lui n'est pas comme ça. Elle pose des questions, écoute les réponses, ne monopolise pas la conversation. Du coin de l'oeil, Pendragon voit quelqu'un d'autre rentrer, qu'il gratifie d'un salut de tête, pendant qu'il termine de répondre aux questions jardinage de la personne âgée.

Il n'a jamais vu le nouvel arrivant. Première fois ici. Clairement pas un humain, vu son visage. Une sirène, hein ? Il ne pensait pas en voir ici. Qu'ils étaient trop occupés à se corrompre les uns les autres avec cette maudite tour Galate. Il demande congé quelques instants à sa cliente puis se dirige vers le nouveau.

"Bonjour, bienvenue chez Pendragon. Est-ce que je peux vous aider ? Vous cherchez quelque chose en particulier ?"

"Vous êtes bien loin de l'eau, ici", voilà la remarque qu'il s'était retenu de faire. Pas bon pour les affaires.

De toutes les choses qu'Alphard savait présentes sur la surface d'Arathia, il n'y avait rien qui l'intéressait moins que l'œuvre fleurie de Dame Nature. Il les savait "belles" pour beaucoup, utiles pour certains, quand lui ne discernait ni ne retenait rien. Une fleur était une fleur, plus encore lorsqu'elle ne servait qu'à décorer l'habitat de celui qui l'achetait. Ainsi pouvait-il se considérer parfaitement importun - si ce n'est gênant - en se rendant dans une fleuristerie lors même qu'il ne comptait rien y acheter. A quoi bon ? Elles faneraient à peine leurs racines léchées par les vagues salées.

Las d'avoir trop longtemps traîné ses écailles dans les rues d'Arvandor, le Requin avait flâné parmi les fleurs, la queue retenue à deux bras pour s'assurer de ne pas retourner l'entièreté de la boutique en un simple volte-face. Le vendeur, quant à lui, parlait avec une femme - trop bavarde, avait jugé le mercenaire qui n'en pensait pas moins de Pendragon -, avant de finalement lui accorder son attention d'un mouvement de tête qui lui fit incliner la sienne. Dans l'imaginaire du siren, cet homme n'avait pas vraiment une allure de fleuriste. Intrigué, ce fut sans véritable gêne qu'il se permit de jeter un coup d'oeil sur ce qui habitait son esprit, les yeux rivés sur lui comme s'il avait voulu l'interpeler. Ce qu'il y découvrit le laissa un instant perplexe... Peut-être même aurait-il pu se prétendre inquiet.

En effet.

Cet homme n'était pas un fleuriste. Pas tout à fait.

A l'approche de ce dernier, Alphard fit un pas de côté, baissant son regard doré sur les plantes, avant de le lever. Non, il n'avait besoin de rien. « Cela ne sera pas la peine, je ne fais que regarder... et, de toute manière, je n'y connais trop rien. » Et même moins que rien. Le néant total. « Ceci dit... » Un soupir le quitta, et son visage se tourna lentement vers son interlocuteur, alors qu'il s'essayait à un court instant de sociabilité avec la race méprisée :

« ... Je n'imaginais pas trouver un soldat parmi les bouquets de fleurs et les plantes en pot. Au risque de me montrer indiscret, dans quelle branche étiez-vous, humain ? »

Peut être aurait il dû se permettre une remarque cinglante, cette fois. Il soupire, lui fait signe d'attendre d'un mouvement de main, puis va encaisser la dernière cliente en lui tendant le bouquet. Il lui fait un signe de tête lorsqu'elle quitte la boutique puis se tourne à nouveau vers l'inconnu trop curieux.

"Je ne sais pas qui vous êtes."

Il pointe la porte de la main.

"Mais je vous invite à sortir immédiatement de ma boutique."

Ah, dans un autre univers, il aurait pu répondre qu'il faisait parti de la branche qui exterminait les sous-races d'Arathia, oui. Mais le type n'était peut être qu'un fanfaron qui avait reconnu la démarche militaire de l'homme.

"Je ne plaisante pas."

Le sourcil du siren s'éleva à l'instant où un soupir échappé aux lèvres humaines fut entendu. Qu'avait-il dit de mal, encore ? Alphard roula des yeux, les braquant ensuite dans le dos de Pendragon qui s'en allait encaisser l'argent de son autre cliente. Ces humains, fragiles de l'intérieur comme de l'extérieur, pourquoi avait-il seulement tenté de sympathiser avec cette race ?...  A son retour vers lui, ce fut avec un sourire se voulant amical - bien que foncièrement forcé - que le mercenaire l'accueillit, peu avant d'arborer une grimace vexée. Voilà qu'on lui désignait la porte, maintenant.

Mal élevé, ce fleuriste.

« ... Curieuse approche commerciale. » ne se retint-il pas de commenter, les doigts posés sur le poignet de son interlocuteur afin de lentement lui faire baisser la main.

Cette agressivité soudaine le décontenançait, presque autant qu'elle l'irritait. Par mesure de prudence, Alphard relâcha sa queue, qui claqua le sol dans un bruit sourd, puis entreprit de retirer un à un les piercings ornant son torse - au cas où lui viendrait-il l'idée de le traîner dehors par les mailles de sa chaîne. Lui ne s'en serait pas privé. Les bijoux glissés dans la bourse reposant sur sa hanche, il reprit parole :

« Je réponds aux ordres de bien peu de monde aujourd'hui, encore moins lorsqu'ils ne proviennent pas des miens. »

Son œil dévia avant de laisser courir son regard sur leur environnement. Non, le terrain n'était pas adapté pour lui ; mis à part le contenu d'un arrosoir ou le fond d'un pot de fleurs, il n'y avait pas grand-chose qu'il pouvait lui envoyer dessus si cette conversation se soldait par une bagarre parfaitement gratuite.

« Mon nom est Alphard, ancien soldat de l'armée d'Al'Malaq. Lorsque vous parliez à cette brave dame, j'ai simplement constaté que votre esprit était encore coincé sur le champ de bataille, loin des fleurs que vous décriviez. Cela a donc piqué ma curiosité. »

Vous l'avez dit vous même, vous n'êtes pas intéressé par ma boutique et je ne suis pas un animal de foire."

Il plisse les yeux devant l'excuse de l'inconnu bruyant qui se prépare clairement à se battre en rangeant tout ce qui pourrait être source de blessures. Pendragon, lui, n'a pas besoin de regarder autour de lui. Il connaît sa boutique et elle est toujours parfaitement rangée.

"C'est donc un pur hasard que vous me considériez comme un soldat ? Je ne suis qu'un fleuriste. Je n'aime pas ce genre d'accusations de la part d'une race inferieure."

Dans le fond, il n'a rien contre les sirènes. Il est juste particulièrement énervé.

"Révélez donc vos vraies intentions, avant que je sois obligé de vous sortir d'ici par la force."

Inférieure. Le mot résonna dans le crâne du siren, dont la persistante impression de vivre un rêve éveillé ne fit que s'amplifier. Lui, inférieur à un humain ? Avait-il bu, ou s'était-il drogué pour se permettre de telles paroles face à Lui ?

Ses pupilles s'affinèrent comme pour prévenir d'une attaque, et le grand Requin blanc attira en un repli de la main l'eau qui se trouvait dans l'un des arrosoirs. Dès lors, Alphard envoya sèchement le récipient buter contre la tête du fleuriste, avant de regarder l'objet s'échouer sur le sol avec grâce et panache. Voilà quelques grammes qui allaient lui remettre le cerveau en place.

« Je ne tolérerai pas le mépris de ceux qui peinent à combattre nos frères d'écailles sans se fourrer dans les jupons des elfes. Surveillez votre langue, humain. »

Les humains et les elfes : tous balancés dans le même ravin. Au moins pourraient-ils combler leurs faiblesses derrière un brin de mécanique. Estimant avoir été clair dans sa pensée, Alphard fixa brièvement son interlocuteur, prêt à brandir son trident s'il lui fallait se battre contre un... "fleuriste". Vraiment, sa retraite de soldat ne se faisait pas sous le joug de la gloire.

« Mes intentions étaient aussi bonnes que votre réaction est déroutante. Je n'ai fait que lire vos pensées et m'essayer à la sympathie pour votre race. Vraisemblablement, j'ai eu tort. »

Il mentait - en partie. Cela n'aurait rien changé, mais Pendragon n'avait pas besoin de le savoir.

« Mais disons que vous n'êtes qu'un fleuriste avec une imagination fleurie. Allez-vous me tabasser à coups de bouquet comme une jeune épouse cocue ? Puisque vous êtes si décidé à me chasser pour une simple question... »

"Ne me comparez pas avec ces déchets suffisants et leur maudit pays."

Se faire comparer aux elfes, en plus ? Mais est-ce que cet imbécile a la moindre idée de ce qu'il raconte, ou est-ce que son cerveau atrophié de saumon ne connecte pas ses trois neurones lorsqu'il est hors de l'eau ?

"Vous êtes bien loin de la mer et si vous agressez un pauvre fleuriste ainsi, la garde n'aura aucune pitié pour vous."

Doit-il être encore plus menaçant ? La situation ne l'enchante guère.

"Je pourrais écraser votre crâne de jeune imbécile avec une seule main."

Hm, c'est probablement pas totalement vrai. Quand il était encore sous l'effet du sang de dragon, peut être, mais depuis ? Les années l'ont probablement un peu amoché.