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Tu te couches sur le dos, et ferme les yeux. Si l'extase quitte doucement ton corps, elle est remplacée par la tranquile béatitude qui fait toujours suite à vos retrouvailles. Tu glisses ton bras sous le corps de Mihaela, et l'attire contre toi. Son corps n'est plus aussi froid que plus tôt dans la nuit, mais pas tout à fait chaud non plus. Elle reste morte, après tout... Mais tu t'en moques. Avec un sourire, tu viens déposer un baiser sur sa joue, avant de replier ton bras libre derrière ta tête et l'y poser. Oh, tu adores tout ce qui a eu lieu jusque là... Mais c'est cette partie, ta préférée. Mihaela, tendre et apaisée, heureuse, comme elle ne l'est jamais, pour un instant fugace...

De tous les miracles que ton orgueil t'accordait, c'était en celui-ci que tu voulais le plus croire.

La jeune femme -Jeune ? Tu ne savais pas trop, en réalité- méritait des moments d'apaisement, et tu te pensais capable de les lui apporter. Avec le temps, vous aviez commencé à vous laisser profondément aller, dans les bras l'un de l'autre. Parfois, tu te demandais si le sexe n'était pas une manière de vous dire bonjour, et de prétendre que vous étiez tous deux intéressés uniquement par cela, pour mieux pouvoir se révéler, dans l'intimité. Aviez-vous peur de vous montrer vulnérable devant l'autre, si vous n'étiez pas, pendant ce court moment, ce couple flamboyant, les amants les plus passionnés d'Arathia ? C'était bien possible...

Tu rouvris les yeux, et tournas la tête pour la regarder. La pâleur de son visage légèrement rougi, ses cheveux décoiffés, toutes les marques de votre étreinte, et pourtant, tu ne voyais qu'une jeune femme vulnérable et tendre. Une jeune femme que tu aurais peut être pu aimer, si elle n'avait pas haï, ou craint, l'amour, et si tu n'étais pas fou amoureux de Shelan. Ainsi allait la vie... Dans un murmure, tu reprends la parole, la voix légèrement rauque, mais amusée.

"Tu vas t'endormir avant même que l'on parle ? Pourquoi ne me raconterais-tu pas, plutôt ? Qui tu as rencontré, ces derniers temps, à quoi tu penses... Je veux tout savoir. Ca fait longtemps qu'on ne s'est pas vus, après tout..."

Et la voilà déjà repartie...

Elle parlait de ses rencontres, essayait de te distraire avec de la jalousie... Mais comment pouvait elle te rendre jalouse, alors même que tu venais de la posséder plus entièrement qu'aucun autre amant ne le ferait jamais ? Tu ne la prenais pas pour acquise, et ne le ferait jamais. Tu savais que si tu ne faisais pas attention à elle, que tu ne prenais pas soin de toi, ou que si tu commettait un impair, elle partirait, et ne reviendrait peut être jamais... Et, pour être sincère, tu détestais cette idée. Elle ne vieillissait pas, sa beauté était gravée dans la trame même du temps. Toi, d'ici quelques décennies, ne serais plus qu'un dandy au charme vénéneux, mais déjà trop vieux pour ce genre de parades...

Et après ? Une fois que la mort t'aura emporté, que se passera t'il ? Tu ne crains pas qu'elle te remplace, alors, tu le souhaites... Mais le pourra t'elle ?

Alors qu'elle se redressait, capricieuse et faussement naïve, tu repousses ces pensées. Le nihilisme n'a pas sa place, ce soir... Tu te redresses à ton tour, dans un mouvement trop rapide pour un corps qui ne demande qu'à se reposer. Tu viens la prendre dans tes bras, la portant en princesse, avant de l'amener dans la petite pièce attenante à ta cabine, où un bac recouvert de cuir et un seau vous attendent.

"J'espère que tu t'attendais pas à un bain ! La vie sur un bateau est moins glamour qu'à quai, je le crains... Et réjouis-toi, au moins, j'ai ma propre bassine."

Tu n'as jamais eu besoin de beaucoup de luxe. Lorsque tu étais capitaine, malgré ton mode de vie, ce genre de choses n'existait pas, à bord de ton navire... L'eau salée était bien assez bonne pour les ablutions d'un équipage en mer. Meteo avait voulu instaurer de l'eau douce, et même si tu avais d'abord trouvé cela idiot, tu n'en étais finalement pas malheureux... Elle était plus douce, sur ta peau, rendait tes cheveux plus doux... Mais l'heure n'était pas à l'ergotage hygiénique. Tu la déposes devant toi, avant de t'adosser à la cabine, la détaillant à nouveau.

"Eh bien ? Qu'attends-tu pour te laver ? Oh, et d'ailleurs, si tu sens le Corsaire, va falloir m'expliquer, parce que c'est un Pirate, que tu baises, ma belle... Encore heureux qu'on se connaisse si bien, ou je t'aurais jetée par dessus bord."

Elle continuait à jouer, mais tu ne pouvais lui en vouloir.

On ne pouvait reprocher à un oiseau de voler, et de même, on ne pouvait reprocher à Mihaela d'être ce qu'elle savait le mieux être : Une séductrice invétérée, doublée d'une emmerdeuse patentée. Pour autant, tu te rembrunis légèrement. Tu connaissais le terrain sur lequel vous vous rendiez, et tu ne l'aimais pas. Négocier n'avait jamais été ton fort. Tu prenais, et ce que tu laissais derrière toi appartenait aux loups... Mais tu ne pouvais pas faire ça, avec celle qui était de fait ta meilleure amie. Tu ne pouvais qu'espérer un jour qu'elle s'ouvre d'elle même... Autant courir après la lune.

Mais à la voir ainsi, poser son regard séducteur sur toi... non, pas tout à fait séducteur... Ce regard là, c'était un regard travaillé pour toi, que tu n'aurais su décrire. Mais il marchait. Tu la laissas baratiner, insultant ta noble profession, car elle se rattrapa en évoquant ton nom, et la possession que tu avais sur elle... Pourquoi fallait il que tu sois aussi facile à convaincre ? Non, une fois de plus, ce n'était pas tout à fait vrai... Pourquoi fallait il qu'elle sache aussi bien jouer de tes instincts ? Alors qu'elle se prélasse sous tes yeux, se nettoyant, et réussissant l'exploit de rendre cela séduisant, tes pensées vagabondent. Et soudain, elle reprend la parole.

Une moquerie de plus, et l'exposition malhabile de sa vulnérabilité. Elle n'avait rien à dire, non parce qu'elle ne voulait pas se confier, mais simplement parce qu'elle n'avait rien à raconter... Elle le pensait, du moins. Mais sa vie n'était pas que débauche et égoïsme. Tu savais que, loin derrière tout cela, une femme se cachait. Une femme complexe, riche, au caractère écharpé par des souffrances dont tu ignorais tout... Tu ne pouvais lui en vouloir, pour cela non plus... Elle était abimée par la vie, encore bien plus que toi... Et alors qu'elle vient flâner auprès de toi, jouant avec ton torse, et, bientôt, ton cou, tu l'attires à toi pour déposer un baiser sur le côté de sa tête, presque amoureux, si cela n'avait été, à la place, le signe de votre profonde amitié.

"Tu sais que je suis prêt à tout t'offrir, sauf Shelan et les enfants... Mais pour être plus spécifique... Je t'offre mon silence, mes nuits, et tout ce que moi, Dreyarch Margrave, suis... Je t'offre même mes proies, si ça peut te plaire... Mais, plus important que cela, je t'offre toutes nos années d'amitié, et toute la confiance que nous plaçons l'un en l'autre. Tu peux te défausser, tu peux même repartir maintenant, si cela t'effraie... Mais ce que je t'offre, c'est une oreille, Mihaela. A toi de prendre ta décision, maintenant, ma belle..."

Tu t'attendais à une réaction, mais pas à celle là.

Elle cracha son venin, un venin que tu méritais très certainement, et quitta la pièce en furie, emportant la porte avec elle, t'enfermant dans la salle de bain. Tu la rouvris, silencieusement, et te laissa aller contre son chambranle, lui donnant l'espace dont elle avait besoin. Tu ignorais pourquoi, mais tu avais visiblement touché un point sensible. Et pourtant, alors qu'elle était aussi suavage qu'agressive, dans ce genre de situation, elle restait là. Et... tu étais bien ignorant sur la conduite à tenir. Tu étais doué pour séduire les femmes, tu étais doué pour tout ce qui concernait Shelan... Mais elle n'avait pas tort. Il y'avait une raison pour laquelle il ne disait jamais au revoir.

Elle reprit la parole. Elle détestait visiblement avoir à parler ainsi... et pouvais tu lui en vouloir ? Mais c'est toi qui avais provoqué cela, alors tu devais l'écouter en silence. Pourtant, il aurait été facile de se faire assomer par le poids du désespoir qui perçait dans ses paroles. C'est ce que tu avais demandé, mais tu regrettais d'avoir ouvert cette porte. Mihaela méritait qu'on l'écoute, qu'on essaie de la comprendre, mais de quel droit pouvais tu t'arroger le droit de la faire parler ? Pourtant, à la voir ainsi, tu pouvais sentir qu'elle avait envie de parler, et surtout d'être écoutée. Et qu'elle aurait tout donné pour pouvoir pleurer.

Tu fis quelques pas dans sa direction, mais resta à bonne distance.

"Il n'y a rien qui m'amuse, dans cette situation. Certainement pas le fait d'apprendre que cela te touche autant... Tu dis avoir cent vingt quatre ans... Alors cela doit faire un siècle que tu mènes cette vie. Et nous, quelques années à peine que nous nous connaissons... Mais penses-tu vraiment que je ne me doutais de rien ? Que je ne me rends pas compte de ta solitude ? Tu peux tromper autant de personnes que tu veux, comme moi, mais ne t'attends pas à ce que je détourne le regard.

Je suis un salaud. Mais je ne mens ni à toi, ni à Shelan. Elle sait ce que je fais, elle sait même qui tu es. Et quand bien même... Ce n'est que justice. Laisse moi partager ce fardeau avec toi. Parce que je ne mérite pas d'être épargné, et parce que toi, tu mérites bien de respirer un peu. Et... Qui sait ? Peut être que je pourrai trouver un moyen de te libérer, si tu ne veux plus de cette vie. Je ne te promets rien... rien d'autre que de t'écouter, et de fermer ma gueule. Un autre jour, même, si tu veux... Je veux juste te protéger."

Malgré ta conviction profonde que tu étais prêt à tout pour Mihaela, et le fait que tu saches, aussi profondément que possible, que tu ne trahirais jamais Mihaela consciemment, tu eus un instant de recul.

Elle ne le ferait jamais, tu le savais... Elle n'était pas du tout de celles qui exercaient ainsi leur vengeance contre des innocents... Mais ce n'était pas vraiment cela, le plus important. C'était un serment que tu passais. Ta vie avait été passée à faire des promesses aux uns et aux autres, parfois tenues, parfois non... Dreyarch ne tenait pratiquement jamais parole, mais le Bourreau tenait à sa réputation, et ses mots avaient valeur de contrat. Pourtant, tu n'avais aucune envie de répondre comme Dreyarch le séducteur l'aurait fait... Ou comme le Bourreau. Ce qu'elle te demandait était la parole de ce qui était le plus profondément toi-même. Trahir cette parole revenait à trahir Shelan et ses enfants. Et c'est ce qu'elle voulait.

Tu vins faire quelques pas légèrement hésitants, avant de reprendre en assurance, et de venir se glisser sous les draps, glissant un bras sous elle, et l'attirant contre toi de l'autre. Tu vins déposer un baiser dans son cou, tout en fermant les yeux, en t'imprégnant de son odeur, essayant d'apaiser vos deux coeurs. Et tu repris la parole, d'une voix basse et douce, qui n'était plus celle d'un amoureux en puissance, ni celle du Second flamboyant. Dans le silence de ta cabine, dans le confort de votre étreinte, mais aussi dans la solitude de vos coeurs douloureux, tu te confias en premier.

"Je ne suis pas amoureux de toi, Mihaela... Shelan est la seule femme que j'aimerais jamais, et je ne la mérite probablement pas. Pas plus que je ne mérite Menahem, Clara, et Yacha. Mais elle m'aime en retour, et ce n'est pas parce que je ne comprends pas pourquoi que ça me donne le droit de la bafouer... Ils sont toute ma vie, et plus encore. Si elle me demandait d'arrêter mes conneries, je le ferais. J'aurais du mal, je détesterais ça... Parce que j'en ai besoin. De voir mon reflet dans leurs yeux... De voir l'homme qu'elles pensent que je suis dans leurs yeux. Je suis... vain, et un beau crétin. Mais...

Shelan et mes gosses sont plus importants que tout, ils sont ma famille. Celle qu'on m'a enlevée, et que j'ai reconquis. Meteo est ma petite soeur... Et toi... Tu es ma meilleure amie. Jamais je ne pourrais tomber amoureux, ça aussi, je te le promets... Mais tu es de ma famille. Jamais je ne te trahirai. Je peux te le jurer, sur Meteo, sur Shelan, sur Menahem, sur Clara, et sur Yacha. Et tu sais maintenant que je ne fais pas cette promesse à la légère..."

Lorsqu'elle se retira de ses bras, tu eus un moment de surprise.



Tu refermas les bras autour d'elle, ne répondant rien sur l'instant. Tu ne trouvais rien à répondre, peut être parce qu'il n'y avait rien à répondre. Alors tu lui caressais doucement les cheveux et le dos, à l'abri sous ta couette, dans un instant hors du temps. C'était étrange, mais tu appréciais cela, d'une certaine façon. La tranquilité après la tempête... La deuxième tempête, ce soir...

"Est-ce que... Tu voudrais rencontrer Shelan, un jour ?"