Tu chantes, ta magie envoûte les cœurs. Pour le bien, apaiser les esprits, offrir un court répit au milieu de cette journée animée à Arvandor. Tu es de repos, comme souvent, sous couvert de chercher l'inspiration. Le trajet vers Avalon semblait si facile, tu n'as pas cédé. Et si c'était un excès que de laisser court à tes envies ? Tu es restée dans la ville dans laquelle tu t'éveilles chaque matin. Comme toujours, tu finis par chanter.

Cette fois-ci, tu chantes pour un petit public, une improvisation, un impromptu bienvenu, qui use uniquement de ta voix. Enfin, tu ne t'es pas arrêtée pour un enfant perdu, ou rassurer quelqu'un. Tu t'es rendue à une bonne adresse, une taverne pas trop ringarde, tu prends garde, on t'as prévenu que tu ne devrais pas te rendre trop ailleurs, tu écoutes, quelle froussarde. Ce n'est pas non plus un quartier huppé, tu peux apercevoir quelques voyageurs. Bref, l'histoire en court, le propriétaire, enfin sa femme, qui te fait la causette, à toi, quelqu'un qui ne refuse jamais de lui causer. Elle t'a demandé, gentiment, exigé, poussé, pour que tu offres une petite chanson à leurs clients, en échange de quoi elle continuera de faire passer de bonnes rumeurs sur toi, et gardera ta table gratuite.

Naïve, naïve, tu acceptes forcément, c'est un bon marché pas vrai ? En échange donc, une boisson chaude t'attend à la table que tu récupères souvent, celle du coin. Pas de chance, le public t'écoute, les clients, mais une nouvelle cliente semble convoiter ta place. Tu ne lui en veux pas, elle est peut-être fatiguée. C'est une cornue, comme c'est rare. Une draconide. En bonne ceranne d'origine, tu t'en moques. Mais tu t'inquiètes, et tes craintes se révèlent vraies, voilà qu'on vient l'embêter. "Une ennemie ici ?". Tu couvres le désordre qu'on tente d'instaurer avec ton chant jovial inspiré d'Avalon dont tu te languis. Rien n'y fait, le lascar n'en démentit pas, il soupçonne la laerte !

L'agitation de leur côté vient changer ta musique, le solo devient dissonant. Le chant se stoppe, on t'applaudit. Tu rougis un peu de recevoir encore des compliments. Ça ne se voit pas puisqu'en même temps tu te déplaces discrètement vers le coin, ton coin. La paresseuse, qu'est-ce que tu aimerais t'asseoir... Il reste une chaise mais l'armoire à glace vivante bloque le passage. Ta voix fluette l'interrompt pour stopper le début de dispute, ton débit de parole trahit ton appréhension.

❝ Vous ne devriez pas... enfin... Faites honneur à Arvandor, c'est parce que c'est un royaume-uni que nous pouvons en être fiers... ❞

Peut-être naïve, mais pas idiote. Elle suit les conseils des mieux intentionnées de ses rencontres. À un grand lascar à l'air athlétique, on sert du patriotisme. Il semble s'en satisfaire, tu te sens un peu salie d'avoir un peu manipulé ses idées pour éviter que la situation ne s'envenime. Ce n'est pas bien, tu n'es pas fière de la façon dont Arvandor a créé son royaume uni. Et tu as peur que la même histoire n'arrive à Solaria.

Ton regard se porte à la laerte, tu retiens une moue, elle tient toujours ta place. Bien incapable de faire bouger qui que ce soit, surtout pas elle qui a un petit air féroce, tu cèdes aisément pour t'installer en face. Pire, tu la fuirais presque du regard, elle est si impressionnante, un petit côté martial peut-être. Tes yeux qui basculent du rose d'été vers le jaune d'automne rencontrent les siens, qu'ils sont beaux. Tu te dis souvent ça en rencontrant des gens, cette fois c'est son air en général qui te captive.

Aujourd'hui, ta chevelure est blanche, légèrement rose encore, le bout de tes mèches est jaune. Tes bois d'automne ont aussi commencé à grandir, les fleurs roses d'été sont restées en revanche. Évidemment ton expression curieuse et émerveillée de tout, cachée derrière ta timidité, est restée elle aussi.

❝ Je suis enchantée, vous pouvez m'appeler Miaerhia. ❞

Te voilà entourée d’ennemis potentiels. Tu cherches avant tout la discrétion, même si ce n’est pas dans ton habitude. Tu es petite, c’est bien ton seul avantage pour ne pas être trop visible. Même avec une cape, tu as dû finir par la retirer en t’installant dans une taverne, pour ne pas attirer encore plus l’attention. Des voyageurs sont présents, tu espères - ô douce espérance ! - que personne ne te reconnaîtra. Calée dans un coin, tu écoutes la chanteuse en essayant de te détendre, une chope de bière devant toi. Une qui ne devra pas descendre trop vite, malgré ton envie. Tu ne peux pas être ivre ici. Tu ne peux pas commander de l’eau de peur d’être montrée du doigt.

Tu n’as pas vraiment fait attention à la boisson abandonnée sur la table, puisqu’il n’y avait personne. Tu espères juste que tes vêtements cerans sont assez convaincants comme ça, que tu ne respires pas trop la vollhyr. Mais ce n’est pas suffisant, et bien rapidement quelqu’un est là, face à toi, à t’invectiver. Tu restes calme, tu sais que ton accent n’est pas aussi chantant que ceux de Cerah. Tu sais que quand tu regardes cet humain, tu vois un potentiel soldat, un ennemi, et que tu as envie de le tuer. Tu n’es presque pas armée et tu ne dois pas sortir de ton rôle. Vulnérable, tu n’es qu’une femme au milieu d’une taverne qui se fait emmerder par plus ivre que toi.

“Je pensais que tout le monde pouvait profiter d’une bonne bière…”, ta voix rauque fait son possible pour être petite, sans succès. Tu es trop habituée aux champs de bataille, aux cris de guerres et aux chants martiaux.

Tu ne veux pas te disputer, mais tu as envie de le remettre à sa place. Tu n’en fais rien, tu subis et ton coeur déjà s’accélère. Il suffit qu’il prévienne une quelconque garde pour que tu sois dans la merde, et ta mission aura rapidement tourné court.

Mais une petite voix - la chanteuse s’interpose et tu te crispes. Qu’importe les arvandiens, mais c’est une civile de toute évidence, et elle n’a certainement jamais dû mettre l’orteil sur un champ de bataille. Elle sert d’ailleurs un discours mielleux sur l’expansionnisme arvandien qui a l’air de fonctionner. Alors tu te tasses, refusant de dire merci à une ennemie qui semble satisfaite de cette politique répugnante.

Mais tu dois avoir l’air avenante, moins martiale, tu dois éviter de faire peur. Alors tu lui souris avec cet air crispé, forcé, d’un loup qui veut apprivoiser une brebis. Echec critique. Quoi qu’elle s’installe en face de toi, récupère le truc qui trainait là et tu songes qu’elle est bien en confiance. N’importe qui aurait pu mettre n’importe quoi dans cette chope, après tout.

“Oh, enchantée Miaerhia. Moi c’est Lilas.”, ta voix, à côté de la sienne si délicate et fluette, est un coup de hache asséné avec précision. Rauque, grave, bousillée.

Mais c’est pour la suite que le bât blesse : tu es mauvaise à la sociabilisation. Tu as toujours l’impression que ce sont des choses futiles, sans intérêt, et tu ne t’es jamais réellement penchée dessus. En général, tu es trop intense pour ne pas être malaisante dans ce genre de discussions. Mais le roi t’a confié une tâche, et soit il te veut morte en la réalisant, soit il te fait confiance. Tu mises sur le second.

“Merci, il faut croire que votre compatriote n’a jamais vu de laerte cérane.”, tes vêtements d’hiver dissimulent tes cicatrices, mais tes mains sont nues autour de ta tasse. “Votre chant était particulièrement plaisant.”

Hmm. Une laerte ceranne...?

Tu n'es pas toujours futée, d'ailleurs tu te refuses à croire à ton intuition. Mais... Il y a cet air si dur avec cette laerte en face de toi... Pas d'une habitante de la forêt. Mais d'une... tu ne saurais dire. Une bûcheronne très forte et adroite peut-être. Ou une guerrière, peut-être du champ de bataille de Solaria ? Bref, tu te connais très bien. Tes idées s'emballent toujours pour rien ! La dernière fois, tu as cru qu'on voulait ta peau alors qu'on t'encourageait à chanter !

Elle a sûrement déjà surpris tes yeux curieux, pleins de doute. Ce sont des fenêtres grandes ouvertes vers tes pensées. Son sourire forcé te perturbe un peu. Elle te fait de la peine, et si des raisons tragiques l'empêchaient de sourire honnêtement ? Ce serait terrible.

Tu offres un léger rire, c'est ta manière de prendre les compliments, essayer de les accepter sans trop de manières.

❝ Merci beaucoup. C'est gentil... ❞

Ton regard descend lentement vers sa tasse pendant que tu parles. Et tu remarques fatalement l'espace là où il ne devrait pas y en avoir. Tu relèves les yeux, de peur d'être indiscrète à la scruter. Est-ce que tu as regardé avec trop d'insistance ? Il faut dire que vous étiez en train de parler, elle t'a forcément vu... Puis tes sourcils se sont abaissés un peu d'inquiétude. Est-ce que ça lui fait mal ? Ça n'a pas l'air d'être récent... Peut-être qu'elle a dû survivre à la faune impie..? Certaines parties de Cerah ne sont plus sûres.

Vu que tu n'étais pas venue avec un réel plan, hormis de siroter une boisson tranquillement, tu as tout temps si elle veut discuter. Enfin, toi tu veux ! Tu es très curieuse à propos de cette femme à la voix rauque et aux doigts manquants. Tes yeux brillent d'un éclat enfantin, qui ne demande qu'à découvrir.

❝ Vous venez de quel côté du pays de l'Arbre ? Je- j'en suis originaire... ❞

Il est si facile de le remarquer, avec tes bois, tes fleurs... Tu observe d'ailleurs leurs équivalents, chez l'inconnue. Des cornes noires, quelques écailles qui se détachent très légèrement de la teinte de sa peau. Elles ont l'air si solides, et la texture sur les cornes est fascinante, si fine... Tu es fascinée, tu adores observer des sculpteurs, et tu es certaine que plusieurs se casseraient les dents à l'oeuvre en tentant de la sculpter. Les cornes que tu trouves plutôt jolies t'inspirent dans ton propre domaine. Elles te rappellent d'autres cornes, d'un déserteur vollhyr qui t'as appris des chants guerriers. Tu ne peux t'en empêcher, même si elle te regarde, tu chantonnes un air qu'il t'as appris.

Assises face à face, les différences sont criantes. Toute la délicatesse de l’une, proche de la fragilité, face à une brutalité qui tente de se dissimuler. Sans pouvoir t’en empêcher, tu remarques son regard qui glisse, tombe sur tes doigts manquants, remonte comme si elle s’était brûlée. Ce n’est pas grave. Tu as perdu bien pire, ça ne t’handicape pas tant que ça. Une prise moins ferme sur une arme parfois, mais tu as appris à compenser.

“Ne vous inquiétez pas, la blessure date, je n’ai pas mal, ni honte.”

Tu ne peux pas te permettre de te mettre une arvandienne à dos dans tous les cas. Tu dois faire profil bas, mais tu t’inquiètes dès qu’elle pose plus de questions. Comme si elle doutait de ton histoire… Non, elle est juste curieuse. Parce que vous venez du même endroit, après tout. Tu supposes que les vollhyrs aussi peuvent aspirer à la paix et la passivité de Cerah.

“L’Orée d’Emeraude.”, l’endroit où il y a le plus de passage - de ton impression - donc où ça ne choquera pas. Et c’est là où habite Evane : si d’aventure quelqu’un le questionnait, il saurait quoi faire. “J’y suis depuis quelques années seulement… Assez pour me sentir chez moi.”

Tu penses être convaincante. Tu ne t’attends pas à ce qu’elle se mette à chantonner, un air que tu connais bien. Tu ignores pourquoi elle fait ça, mais c’est un signe pour toi. Tu as besoin de cet espoir, peut-être. Tu n’es pas sûre. Tu l’écoutes, tu hésites encore un peu, jusqu’à ce que ce soit trop fort, et que tu l’accompagnes sur la fin d’un refrain.

“L’âme des monts, jamais ne mourra…”, ta voix n’a rien à voir avec la sienne ; elle est grave, particulièrement grave vu ta corpulence, basse, elle fait vibrer. Ton chant est fait pour être porté par le vent des montagnes, pour porter l’espoir et la rage de combattre.

Personne ne vous a entendu, dans le brouhaha ambiant, mais tu termines ta boisson d’une traite avant de la fixer, intensément. Puis tu te lèves, avec une posture un peu trop martiale, à ta manière de plaquer tes mains sur la table sans douceur.

“Venez, ne restons pas là. Connaissez-vous un endroit plus tranquille pour parler ?”

Après tout, chanter des chants vollhyrs ici n’est pas sûr. Même pour elle, il est temps de partir, avant que quelqu’un ne fasse le lien.