Le palais de l’Elue de l’Avarice s’élevait tel un joyau dans le ciel de la cité d’Avalon, capitale côtière du Royaume-Uni d’Arvandor. Véritable joyeux d’architecture implanté sur les hauteurs de la cité, le palais de l’Elue témoignait de son statut et de la nature du Vice qu’elle représentait. Constitué d’une série de bâtiments implantés le long d’immenses emmarchements menant au palais principal, le complexe de l’Elue se subdivisait en autant de folies et de jardins suspendus entretenus par des serviteurs en livrée veillant à ce que les biens accumulés par leur propriétaire soient constamment surveillés.

Entre les colonnes, les belvédères et les jardins de marbre accueillant une diversité impressionnante d’espèces, Eurydice Sil Solun, Grande Bâtisseuse d’Al’Malaq, ne pouvait qu’être impressionnée par le savoir-faire architectural de la personne qui avait créé cet écrin pour l’Elue de l’Avarice. Arrivée par navire dans la matinée, la demoiselle à la peau sombre avait été accueillie sur le port par des serviteurs silencieux conduisant une diligence aux dorures splendides. Ce n’était qu’après deux heures de route qu’elle avait enfin pu apercevoir, à l’écart des terres d’Avalon, les premiers portiques d’entrée du domaine de l’Avarice.

Contrairement à ce qu’elle imaginait, le palais de l’Avarice était bien loin d’un lieu de terreur où flottaient des nuages menaçants sur fond de musique inquiétante. Elle avait beau représenter le vice de la cupidité, dame Onyxa Manfra avait énormément de goût en matière d’architecture, et bien que le palais soit un assemblage démesuré de bâtiments connectés par des jardins suspendus aux plantations exotiques, il régnait dans les allées une splendide quiétude, interrompue seulement par le chant d’oiseaux eux-aussi exotiques. Eurydice en reconnut certains, des oiseaux que l’on ne trouvait qu’au sud de l’archipel malaqii.

A mesure que la jeune architecte franchissait les portes du palais extérieur les unes après les autres, elle ne pouvait s’empêcher de repenser à la convocation faite par l’Elue de l’Avarice. Lorsqu’elle avait repris le poste de son prédécesseur suite à l’ascension de Ioannes Sil Silebor, Eurydice avait procédé à une fouille méticuleuse des bureaux de l’ancienne Grande Bâtisseuse et exigé un état des lieux de toutes les affaires en cours, à créer, et terminées. Les résultats avaient été désespérants : la fonction de Grand Bâtisseur avait été profondément entamée par des décennies de gabegie, de corruption et de laisser-faire. Les édifices malaqiis, bien que splendides vue de l’extérieur, croulaient sous le poids des années. Les fortifications n’étaient plus ce qu’elles étaient et les coffres des Bâtisseurs étaient régulièrement vidés par une pratique odieuse de pot-de-vin siphonnant les fonds publics. Les chantiers importants ne se faisaient pas … et les notables s’accaparaient la main-d’œuvre disponible et les forces intellectuelles de l’empire pour faire bâtir leurs propres demeures.

L’état de la fonction de Grand Bâtisseur était déplorable et les fissures avaient fini par se voir. Eurydice avait fort à faire pour redonner à la fonction un statut respectable, mais il était clair que sa nomination était purement symbolique. L’Empire n’attendait pas grand-chose d’elle, à part de faire bonne figure tandis que les fondations s’enfonçaient dans les sables. Mais comment trouver de l’argent, tandis que la bureaucratie malaqii la plus corrompue s’évertuait à percer des trous dans les coffres ?

La venue d’Eurydice sur les terres de l’Elue de l’Avarice n’était pas anodine. L’Elue avait formulé il y a quelques mois le désir de recevoir le Grand Bâtisseur d’Al’Malaq pour superviser le renforcement de la sécurité de ses coffres. Malheureusement, cette demande était tombée dans l’oubli et il appartenait désormais à Eurydice Sil Solun d’apporter ses compétences à l’entreprise de l’Elue afin de montrer qu’Al’Malaq était une nation honorable.

Eurydice fut emmenée jusqu’au hall d’entrée du palais principal. Vêtue d’une robe blanche et noire à motifs malaqii, elle portait la tenue officielle des Grands Bâtisseurs, afin de témoigner de son rang et du caractère officiel de sa mission. Elle était cependant venue seule : l’administration malaqii était en train d’être « purgée » de ses éléments les plus incompétents et elle ne disposait pas des fonds nécessaires pour venir avec des serviteurs. Dans toutes choses, dès que l’Empire était concerné, elle préférait l’austérité et la frugalité. Montrer l’exemple en ces temps troublés était nécessaire, si l’on voulait redresser la barre.

Sa sacoche de voyage contenant ses outils était à ses côtés. Sitôt introduite à l’intérieur du palais, elle fut annoncée par l’un des serviteurs.

« Son Excellence, mademoiselle Eurydice Sil Solun, Grande Bâtisseuse de l’Empire d’Al’Malaq. »

Eurydice resta de marbre, attendant que l’Elue de l’Avarice apparaisse. Elle avait fort à faire pour s’assurer de ne pas être la cinquième roue du carrosse impérial. Tout restait à faire. Tout restait à prouver. Une route aux milles embranchements se tenait devant elle … et elle devait s’orienter sans trébucher.