Faux croyants et amnésie

Depuis peu, perdu dans les denses forêts de Cerah, tu t'enfouis dans des réfléctions profondes. Au fur et à mesure que tes connaissances se construisent, les questions se forment. La principale source de celles-ci : les dieux et la corruption. Des pensées bien trop odieuses pour de fervants croyants, tu les développes pour meubler le chemin. Les anciens dieux ont changé, prenant pour domaine leurs péchés respectifs. De nouveaux les ont remplacé. Pourquoi ? Comment fonctionne cet ordre divin ? Ces questions provoquent une passion désintéressée chez toi. Tu n'en as rien à faire, mais le sujet tourne sans cesse pour dévoiler des facettes. Le monde - Arathia, tu dois t'habituer à ce nom - n'est qu'un lit de cendres après une ère sombre. Les péchés sont omniprésents. Et surtout les dieux de ceux-ci persistent. L'idée du déicide flotte, et si un de ces dieux mourrait, est-ce que son domaine disparaîtrait ? Est-ce que le concept de mort leur échappe au contraire...? Tu arrives doucement à destination. Ton regard s'élève effrontément face à l'objet de foi le plus chéri d'Arathia. L'Arbre Millénaire. Un frisson te parcoure devant son immensité. Sans plus. Aucune magie ne prend effet, pas de révélation quant à tes questions. Juste un nouvel élément qui te revient à l'esprit. Cette "divinité", l'arbre, n'est pas immortel, puisqu'il est mort une fois.

Te voilà sur le chemin qui mène au lieu de prière à son pied, quelques personnes le parcourent. Alors tu chasses ces lugubres idées, par respect. Comme si l'on pouvait entendre tes pensées. C'est caractéristique chez toi, cette intégrité, même quand elle te paraît peu maline avec du recul.

Enfin. Tu scrutes. Il y a une personne qui offre une prière. Il a quelque chose d'étrange. Tu ne sais pas mettre le doigt dessus, alors tu dévisages. Pas moyen de trouver. Ton corps se résigne à aller s'installer pour offrir, ou au moins méditer si tu ne vois aucun effet.  

Alors le temps passe. Tu as essayé plusieurs positions, faisant bruisser le tissu ample de tes vêtements aldani. Du coup, tu te redresses pour regarder la personne d'à côté. Serait-ce impoli de lui parler ? Perturbant ? Alors peut-être par manque de culture, tu prononces.

❝ Pourquoi priez-vous ? ❞

Il est étrange pour toi de prier dès que tu oses poser le pied ici, en ces terres. Un goût d'amertume étrange qui t’étrangle, qui te secoue. Un sentiment d’égarement, qui te force à prier non pas pour toi mais pour les autres. Pour ceux qui n’ont pas eu cette chance, ta chance, si on peut le dire ainsi. Pour ta soeur, pour honorer sa mémoire et remercier cet Arbre pour lequel elle s’est battue.

Mais pour qui tu ne ressens rien.

Tu es ailleurs, perdu dans tes pensées. Tu en as oublié les quelques passants, adeptes priant l’espace d’un instant. Les yeux clos, tu as chassé le monde alentour pour te retrouver seul, avec tes angoisses et tes doutes, tes appréhensions et tes peurs te susurrant que l’Arbre, dans toute sa miséricorde, ne pourra t’accorder tes quelques souhaits.

Tes prières, mensongères, resteront à jamais silencieuses.

C’est le froissement d’un tissu qui t’a sorti de tes songes, et les quelques mouvements de l’homme s’étant installé à tes côtés. Tu n’as rien dit au début, te contentant de le détailler du coin de l’oeil avant de relever la tête vers la cime grimpant jusqu’au ciel. Tu n’oses pas engager la conversation, muet jusqu’à ce qu’il daigne enfin briser le silence entre vous.

« Vous me posez une bien étrange question. »

A laquelle tu n’as pas vraiment de réponse. D’abord gêné, tu finis par te redresser à ton tour en prenant le temps de nettoyer la terre et les herbes séchées de tes vêtements typiquement arvandiens. Aujourd’hui, tu t’es déplacé dans tes artifices habituels ; tu as laissé tes longs manteaux à la maison, ton armure et ton casque pour quelque chose de plus sociable pour dévoiler au monde cette apparence vollhyr que tu affectionnes tant.

« Pas pour moi en tout cas. Probablement pour feu ma soeur et mes proches. Pour Arathia, aussi. Mais je le fais par automatisme, je pense. » Beaucoup d’incertitude dans ta voix, alors que ton regard se veut fuyant. « Je suis en quête de réponses. Et vous, vous avez fait le chemin depuis Fang ? Vous devez avoir de bonnes raisons de prier. »

Faux croyants et amnésie

Tu le regardes réarranger ses vêtements, en se débarrassant des brins d'herbes, de la terre. Quelqu'un avec une mémoire. Toi avec une mémoire, tu aurais sû identifier ses origines à son apparence. Entre ses vêtements et son corps. Tes connaissances sont trop légères pour t'y aider. Les élémentaires, tu n'as pas de soucis, les damnés non plus... De même pour certains morts-vivants dont tu as pu sentir l'immonde putréfaction. Lui... Tu n'arrives pas à détailler son apparence. Tu as sûrement remarqué quelque chose si ton instinct t'as poussé à le penser. Mais ce n'est pas capital. Tu n'es pas sur tes gardes, il ne fait pas ramper un frisson le long de ta colonne vertébrale, comme certaines bêtes sinistres que tu as croisé en forêt. Alors tu l'observes simplement, satisfait de le voir se redresser aussi, pour parler entre égaux. Tu n'es pas un coincé, mais... Parler à un inconnu en le regardant de haut, ça ne sied pas ton sens moral.

Tu écoutes sa réponse, bien détaillée. Et la question réciproque vient se poser. Lui semble très bien deviner tes origines. Ils sont vendus par tout à ton propos. Ta tenue, les légères décorations sur ta lance, la broche qui tient ta queue de cheval en place, et tu n'es même pas sûr que ce soit tout.

Quant à ta raison de prier...

❝ Rien d'aussi altruiste. Je prie pour retrouver ma mémoire, si ça peut avoir un quelconque impact... ❞

Silence. Tu considères tes propos, ne voulant pas insulter la foi d'inconnus.

❝ Je ne sais pas ce que les dieux peuvent faire, ni ce que je peux faire pour eux. Je ne suis pas vraiment croyant... Peut-être que c'est pour cette raison que je me suis tourné vers la seule incarnation physique divine à Arathia. ❞

Tu prononces ces mots, et tes yeux scrutes l'arbre majestueux. Pour toi, il est "joli". Dans le sens qu'il ne tient aucune autre promesse que celle de ravir la vue.