Calignis n’a jamais été un grand pratiquant. Il est déjà venu plusieurs fois pourtant, généralement en suivant le cortège royal. Et la première fois… Il se souvient, très vaguement ; il devait avoir une dizaine d’années, une autre vie, un autre nom accroché à son prénom. Ensuite, c’était sans intérêt. Un bâtard d’Iter Caedis, un ingénieur sans autre renom que celui de son maître…

La réalité, c’est que progressivement, lorsqu’il priait la Lune pourtant déesse protectrice de Clara Nocte, c’était vers celui qui la représentait sur terre qu’il se tournait. Progressivement, Alter était devenu celui vers qui il tournait ses prières, ses rêves d’avenir, sa carrière… Sa vie entière tournait autour de son Roi.

Mais ce soir, alors qu’il lève la tête vers l’Astre éternel, c’est pour un au-revoir.

Dans la chambre où il a pu être accueilli grâce à son travail au Palais, la vue est imprenable sur la Sainte ; et il la fixe, cherchant à ne plus remplacer son éclat par les yeux d’Alter. Ce n’est que ça, après tout ; une déesse lointaine, une protectrice qui ne le regarde pas, qui ne s’intéresse pas à lui. Elle au moins ne se détournera pas de leurs projets, de leurs rêves. Elle ne peut le décevoir, puisqu’il n’a jamais rien attendu d’Elle, puisqu’Elle ne l’a jamais exalté comme le roi a pu le faire.

“Je vous en veux de ne pas être venu, lorsque j’étais blessé.”, avoue-t-il à haute voix.

Mais l’entendre rend la chose ridicule, et l’ingénieur soupire. Il ne peut adresser les reproches qu’il réserve à son - ancien ? - amant à la Sainte Lune. Car celle-ci ne l’écoute pas plus que le Roi absent.

Alors il se tait ; certainement tout a déjà été dit. Il se contente de regarder la Sainte Lune, jusqu’à réussir à décrocher son image des reflets lunaires. Ce ne sont pas les yeux d’Alter, mais juste la Lune. Inaccessible, silencieuse, froide. Là, il sourit. Il voudrait dire qu’il est libéré, mais ce n’est pas le cas. Il est simplement un peu plus résigné, prêt à accepter que son amant l’a délaissé. Que ses rêves, tout ce qu’il a pu abandonner pour les suivre, n’étaient que des chimères illusoires. Ses doigts cherchent la gemme de lien qu’il partage avec Lise, courent sur la surface qu’il connait par coeur.

S’il appelait, répondrait-elle ? Lui donnerait-elle des explications, l’aiderait-elle à les trouver ? Ou réaliserait-il qu’avant tout, elle demeure le maître espion, obligée d’obéir à la couronne noctem, envers et contre tout…

Alors sa main retombe, délaisse la gemme délicate. Et son regard se perd dans les reflets changeants de la Sainte, persuadé qu’il n’y trouvera aucune réponse.