Chaque geste est doux et calculé pour ne pas le brusquer. Tu sais que le moindre mot plus haut qu’un autre le fera partir dans une nouvelle crise de larmes ; alors tu fais attention, en le laissant venir à toi à son rythme pour qu’il puisse dicter votre contact et le laisser te faire comprendre ses limites. « Tu te souviens de son prénom ? C’est un client régulier ? » S’il te faut hausser le ton auprès des nobles pour leur faire comprendre le respect qu’ils doivent avoir pour vous, tu prendras ton courage à deux mains. Si tu sais que Lune est vu comme une bête de foire, tu ne l’acceptes pas pour autant en essayant, en retour, de chasser tout le négatif et les atrocités qu’il peut subir.

« Reste bien immobile et surtout ne fais aucun mouvement brusque d’accord ? Garde ta patte levée sinon je vais avoir du mal à y accéder. »

Tu te contentes d’un petit soupir en le sentant repartir en sanglots mais tu ne dis rien et ton agacement est rapidement chassé par votre contact. Lui offrant ton cou avec tendresse, tu viens même déposer tes lèvres contre le sien pour lui offrir un petit peu de réconfort. S’il n’y a rien de concret entre vous, ces attentions étaient devenues habituelles dans cette vie, une tendresse qui vous soulage tous les deux alors que tu échappes un petit rire comme pour détendre l’atmosphère.

« Lune, tu sais bien que ça ne fait pas mal. On dirait que je vais te torturer. »

Calant ta tête contre la sienne, tu glisses tes doigts contre sa patte en essayant de trouver la bonne position pour pouvoir laisser tes soins agir. Les yeux clos, tu respires lentement, concentré sur chaque mouvement en attendant que les tissus ne se raccrochent d’eux-même, doucement mais sûrement au moignon encore frais. Parfois tes lèvres se perdent sur sa peau pour une nouvelle attention, avant que tu ne finisses par te reculer pour l’observer et lui sourire.

« Tu sais que tu peux prendre plus de jours de repos. Je peux subvenir à nos besoins, et si je dois travailler plus longtemps je le ferai. Ne t’épuise pas pour des personnes qui ne méritent pas ta gentillesse, d’accord ? »

D’une main, tu viens caresser son visage avant que l’autre ne vienne aussi se poser sur sa joue pour venir essuyer ses larmes de tes joues. Le rapprochant de toi tu embrasses son front avant de le lâcher pour aller t’occuper de sortir la nourriture de son emballage.

« Ta patte c’est bon ? Tu veux peut-être qu’on fasse chauffer la nourriture si tu as faim ? J’ai eu une dure journée, j’ai besoin de reprendre quelques forces. »

Incapable de calmer tes émotions, tu restes là à attendre que les chairs se rassemblent une fois de plus pour pouvoir remuer doucement la patte. Oui, ça ne fait pas mal, tu le sais mais tu as toujours peur que cette fois-là, quelque chose se déclenche et te pousse à crier. Alors tu as besoin d'être près de lui, possessif l'espace d'un instant en le considérant comme la proie que tu as su capturer pour pouvoir en faire ce que tu veux tant que tu lui fais les yeux doux. Ça te gonfle d'un orgueil qui te pousse presque à avoir des pensées parasites qui ne devraient jamais t'effleurer et qui peuvent se voir dans chaque bille qui regarde l'elfe aldani.

« Ils sont tous mauvais avec moi, je ne me souviens pas de son prénom. »

Tu n'as aucune envie qu'il s'attire des problèmes pour des choses que tu devrais encaisser ; c'est toi qui as voulu ça, tu aurais pu rester à Ananda et subir les conséquences de tes actes mais te voilà ici, à la merci de qui veut bien te donner un peu d'argent en échange de quelques insultes qui ne devraient même pas t'affecter.

« Tu ne comprends pas Lixian. » Tu te fais un petit moment, tu as l'impression d'avoir été sec. Tu ravales tout, remuant petit à petit la patte récemment atrophiée pour t'assurer que tout soit revenu à la normale. « Je ne veux pas que tu travailles plus dur pour moi. Tu ne mérites pas de te faire autant de mal. »

Même si lui ne doit clairement pas avoir le même traitement, tu t'en voudrais qu'il passe plus de temps loin de toi pour quelques liges de plus. Tu es presque jaloux, jappant lentement en fermant tous tes yeux qui habitent ton front pour ne pas être brusqué par le baiser. Tu ne cherches pas à le ravoir près de toi, attendant de te remettre de tes émotions pour être plus stable et arrêter de faire n'importe quoi.

« Ça a l'air bon. Prépare tout, j'arrive… »

Tu restes étalé, les pattes finalement bien étendues en soupirant. Tu regardes le plafond, tu revois encore tous ces gens qui passent à côté de toi en ricanant, en te pointant du doigt. Même s'ils ne sont pas très tendres avec toi, tu espères que ta faiblesse attire leur pitié pour recevoir un plus gros pactole. Peut-être qu'un jour, on te donnera assez pour que tu n'ais plus à t'inquiéter du lendemain pendant un certain moment.

« Dis-moi que tu ne repars pas tout de suite, s'il te plaît… J'ai envie qu'on passe du temps ensemble. »

Finalement tu te redresses, le bruit des pattes claquant sèchement contre le sol. Ça te fait même peur un petit temps alors que tu devrais être habitué à ne plus marcher sur deux pieds ; tu fais attention à ne rien déranger, redressant l'abdomen en retenant ton souffle pour l'aider à tout réchauffer en picorant dans certains plats sous l'impatience.

« Tu voudras jouer plus tard ? Ça fait longtemps qu'on n'a pas sorti le plateau. »

Ça t'occupera l'esprit, tu en es sûr. Dès que tout est réchauffé, tu emmènes tout là où vous mangez habituellement, te posant maladroitement en essayant de t'ajuster à la bonne hauteur. Ce n'est jamais pratique, ça fait même un peu mal, mais rien n'est adapté pour les maudits de ton gabarit. Tu commences même à manger sans attendre, nerveux à l'idée que la nourriture disparaisse sans que tu ne puisses être rassasié.

« Qu'est-ce qu'ils t'ont fait, aujourd'hui ? »

Le ton sec de sa voix t’a surpris mais tu ne l’as pas relevé ; tu sais qu’il ne pense pas à mal et que sa maladresse a probablement pris le dessus. Tu te contentes d’un petit soupir sans oser lui répondre de peur d’envenimer la situation. Lui non plus ne comprend pas et surtout il ne se rend pas compte de tout ce que tu serais capable de faire pour l’empêcher de souffrir davantage dans l’espoir qu’il ne prenne pas peur un jour. S’il venait à fuir, tu serais à nouveau seul, sans attache à laquelle te raccrocher.

Te levant, tu laisses le temps à Lune de se remettre de tes émotions en sortant chaque plat de son sac, dans ta petite cuisine ouverte. Tu vérifies les portions, puis tu allumes le petit réchaud en veillant bien à ce qu’aucun plat ne crame avant de les déposer dans des bols. Les entrées, les légumes, les nouilles et le riz. Lui tapant doucement la main en le voyant si impatient, tu mimes un soupir dans ton sourire en prenant le reste pour l’aider à tout poser à table.

« Je ne travaille ni ce soir, ni demain. J’ai pris un petit jour de repos, on peut passer tout le temps que tu veux ensemble. »

Vous servant un verre d’eau chacun, tu termines de ramener quelques entrées en venant t’installer en face de lui, en tailleur à même le sol. Tu n’attends pas plus longtemps pour commencer à manger, piochant dans chaque bol en prenant ton temps pour déguster chaque bouchée. Il n’y a pas à dire, ce petit restaurateur sait comment satisfaire tes papilles à chaque repas.

« On peut jouer un peu, ça nous occupera une partie de la soirée. Après on pourra se mettre au lit et on pourra lire un peu ? J’ai emprunté un livre, tu aimerais que je te fasse la lecture ? »

Peu importe l’activité que vous trouverez, passer du temps avec Lune te suffit ; tu n’as pas besoin de lui et tu lui fais comprendre d’un sourire toujours aussi tendre.

« J’ai beaucoup conversé et chanté aujourd’hui. Il y avait des petits noms, mes meilleurs clients n’étaient pas là. Ils ont tendance à venir en fin de semaine, en fin de soirée pour profiter des … autres services. » Tu ne veux pas en dire plus, Lune sait très bien de quoi tu veux parler et tu n’as aucune envie de t’étaler sur le sujet ; pas maintenant. Pas alors que vous pouvez passer du temps ensemble, loin de vos tracas et de vos ennuis.

« Demain je dois aller faire un nouveau stock de thé, tu me feras une petite liste de ce que tu aimerais ? J’en profiterai pour faire quelques courses au passage donc s’il te manque quelque chose tu me feras une petite note pour ne pas que j’oublie. »

Te stoppant dans ton repas, tu le laisses continuer seul pour aller faire chauffer de l’eau et vous préparer deux tasses que tu ramènes vides avec une boîte contenant plusieurs sachets de thé aux saveurs différentes pour préparer la digestion.

Ton corps entier tremble d'impatience, tu piétines même légèrement pour faire savoir ton mécontentement. Tu n'as pas aimé la petite tape et immédiatement, tes yeux s'illuminent sous l'humidité. Tu as beau faire ce que tu peux pour te rendre utile, tu te sens dépassé, reniflant en retenant une énième crise de larmes pour ne pas l'alerter une fois de plus. Pour l'instant, tu vas lui laisser un peu de répit.

« Seulement un jour ?! J'aimerais que nos clients nous paient plus grassement, on se décarcasse pour eux et ils n'ont rien à perdre. »

Au contraire, ils ont tout à gagner. Plus de liges signifie une vie plus confortable pour tous les deux et l'occasion de prendre plus de temps pour rester ensemble. Tu finis par t'installer, te posant aussi à même le sol en cherchant une position confortable pour ne pas abîmer l'abdomen arachnéen. Puis tu commences à te servir, hésitant au début avant de rapidement te prendre au jeu en piochant à ton tour dans tous les plats.

« J'ai besoin d'entraîner mon cerveau, de réfléchir… De penser à tout sauf à ces nobles. En plus, la dernière fois… J'ai perdu ! »

Et tu n'aimes pas ça. Tu pourrais lui en vouloir encore un moment, mais tu te contentes de ravaler cette fierté qui n'a rien à faire là. Tu le regardes simplement de tous tes yeux de temps en temps, la bouche pleine de nourriture.

« Tu liras pour moi, oui… Ça me fera plaisir. »

Ça suffira à vous détendre, ne serait-ce que pour quelques heures. Tu as simplement hâte d'aller au lit pour pouvoir t'oublier un moment avant de te réveiller et de réaliser que tu es toujours la même personne, dans ce même monde… L'idée fait une fois de plus monter les larmes aux yeux.

« Ta tête te joue encore des tours ? Ça commence à m'inquiéter, Lixian. Je ne veux pas que tu partes et que tu m'abandonnes. »

Parce qu'il est ta possession. Tu es heureux d'avoir rencontré quelqu'un qui ne te juge pas pour ce que tu es, quand bien même tu te fais des idées tout seul de temps en temps. L'idée même d'être un poids lourd pour Lixian est inconcevable pour toi. Et pourtant… Tu y penses très souvent.

« Ne les laisse plus profiter de tes autres services aussi aisément Lixian ! Il faut qu'ils te désirent davantage… Ça en fera plus pour nous. »

Après avoir fini de manger, tu te redresses et tu viens nettoyer les plats vides comme tu peux. Vite, il faut faire très vite même, pour espérer faire une ou deux parties de weiqi ; ou d'autre chose, si ça lui chante.

Tu ne veux pas avouer que tu as encore oublié certaines choses, et surtout tu ne veux pas l’assumer. Tu esquives son regard, tout de suite plus nerveux en choisissant un sachet de thé que tu viens noyer dans l’eau chaude. « Je vais bien Lune je te le promets, j’ai juste tellement de choses en tête, entre les répétitions, les représentations et les rendez-vous je ne veux juste pas oublier bêtement. » Tu ne veux pas qu’il s’inquiète pour toi ; tu détestes ça. « Je ne peux pas t’abandonner Lune, s’il te plaît arrête de croire ça. Il y a une différence entre oublier d’acheter du riz et chasser ton existence de mon cerveau. » Pourtant ta mère, elle, a bien fini par t’oublier.

Le laissant débarrasser, tu décale les tasses et l’eau pour passer une main sous la table et sortir le plateau de jeu et les jetons que tu tries méticuleusement dans deux petits bols utilisés spécialement pour vos parties. « Tu vas encore bouder si je gagne ? » Tu attends qu’il revienne pour le regarder, les yeux pétillants de malice pour accompagner ton petit sourire tendre, empli d’une taquinerie sincère. D’une main, tu viens réclamer la sienne en silence, en quête d’affection et de réconfort pour éviter qu’il se brusque. « Si tu gagnes tu auras le droit de faire un caprice. Et si je gagne … » Tu t’arrêtes dans ta phrase pour rire doucement, presque charmeur. « ... tu auras aussi le droit de faire un caprice, ça te semble correct ? »

Tu déposes tes lèvres sur le dos de sa main avant de l’abandonner, prêt à lancer la partie.

« Et pour ce qui est des clients, je fais en sorte d’être assez désiré avant d’accepter leurs vices, ne t’en fais pas. »

La vaisselle, c'est toujours chiant. Mais si tu peux aider ne serait-ce qu'un minimum pour en mettre moins sur les épaules de Lixian, tu le feras sans hésiter. Même si ça fait mal à ton dos, même si tu es à l'étroit à cause d'une décoration pas forcément adaptée à une morphologie de ton genre. Tu roules les yeux, tu n'as pas l'air convaincu par son discours.

« Je suis aussi important que du riz. Fais attention de ne pas te laisser happer par la même maladie que les nobles. »

Ce serait terrible de le voir t'oublier petit à petit sans rien pouvoir faire. D'ailleurs, le jeu est un moyen ludique d'entraîner son cerveau pour qu'il lutte contre ses petits trous de mémoire, quand bien même ça ne fera pas de miracle. Tu fais tout de suite la moue, séchant tes mains en revenant t'installer avant de regarder le plateau avec des yeux pleins de curiosité. Tu lui offres ta main sans aucune hésitation, grimaçant simplement en dressant l'abdomen dans un geste d'agacement.

« Oui, ça me va. Mais je compte bien gagner cette fois. »

Tu serres fermement sa main, le regardant avec une envie de défi. Puis tu le lâches, n'attendant pas bien longtemps pour tout préparer avant d'entamer les hostilités. Tu n'auras aucun scrupule, et tu sais que Lixian non plus, alors tu es persuadé qu'être le premier à jouer augmente drastiquement les chances de gagner.

« Je ne te crois pas. Tu ne te payes pas à la hauteur de leurs… »

Tu déglutis. Tu ne veux même pas en parler. Les vices du quartier noble sont parfois pires que toutes les gangrènes réunies. Même la corruption est une délivrance par rapport à ce qui se trame au plus proche de la fosse.

« Concentre-toi Lixian. Je vais gagner… »

« Tu es bien plus important que du riz Lune, je t’en prie. »

Tu détestes l’entendre se dénigrer de la sorte ; il mérite mieux, quand bien même il pense perpétuellement le contraire. Tu te contentes d’un soupir, secouant la tête en le laissant entamer votre partie. Tu observes chaque coup, les sourcils froncés en répondant, tes pions posés avec attention sur le plateau. Tu viens boire une gorgée de thé, un sourire aux lèvres en venant capturer certains de ses pions que tu récupères pour les poser de ton côté, juste à côté du plateau.

« Je suis concentré Lune … »

Son nom claque contre ta langue, ta voix aussi tentatrice que provocatrice en lui souriant, amusé par la situation. Tu as l’habitude de jouer, nombreux sont les clients friands d’une simple partie de weiqi avec toi quand ils ne viennent tout simplement pas discuter de la pluie et du mauvais temps aldani.

« Toi non plus alors, tu ne te fais pas assez payer. » Si tu en avais les moyens, tu aurais fait cesser ces horreurs depuis bien longtemps. La mine affligée, tu essaies de te cacher derrière ta tasse et un nouveau tour de pions. « Ton honneur et ta dignité n’ont pas de prix Lune, tu ne devrais vraiment pas les laisser te traiter de la sorte. Tu pourrais venir travailler à la maison de thé de Dame Kahori ? Je suis sûr qu’avec du temps et des efforts elle ne serait pas contre t’embaucher. Ça ne paie pas forcément bien mais au moins … Tu serais respecté. »

Tu dois te battre avec tes pensées intrusives. Tu fais tout ce que tu peux, tirant même la langue à chaque coup porté pour espérer l'emporter haut la main. Mais Lixian est un adversaire particulièrement fort, alors… Dès que tu le vois tourner la tête, tu chipes un, deux pions. Il ne verra rien, tu en es presque sûr, et qu'est-ce qu'il peut te faire quand tu lui feras de grands yeux larmoyants ? Pas grand-chose.

« Vraiment concentré ? Regarde le plateau, tu es… En train de perdre. »

Et ça te fait plaisir, même si tu triches. Tu pourrais faire disparaître les preuves en avalant les pièces, mais tu te contentes de faire comme si de rien n'était, les lèvres pincées dans ton terrible mensonge. Tes oreilles semblent s'abaisser légèrement sous l'émotion, tu bois ton thé rapidement pour faire passer la pilule.

« Comment pourrait-elle vouloir de moi ? Je ferais tomber toutes les tasses avec mon gros corps. Non, rien n'est adapté pour les personnes comme moi Lixian. Je n'ai pas d'autres choix, je ne veux pas être un boulet pour quelqu'un… »

Encore moins un boulet pour la personne face à toi. Tu sais bien que tu es maladroit malgré les années à vivre avec un corps d'araignée. Le jour où les meubles laisseront assez de place pour te laisser passer, peut-être que tu pourras envisager de sortir de ta bulle.

Ah, tu as l'air d'avoir gagné.

« Tu es cuit, Lixian. Prépare-toi à devoir me border ce soir, je ne veux pas bouger de la nuit alors tu as intérêt à bien étudier l'agencement des draps. »

Tu renifles un peu, comptant chaque jeton dans tes mains griffues.