Une nouvelle vie débutait pour Zéi. Fini la vie dans ce maudit trou qu’était Fang. Au moins, les nobles de ce cloaque puant allaient pouvoir souffler, maintenant que la terreur des beaux quartiers avait rejoint la surface. Désormais, il venait d’arriver dans la forêt troglodyte d’après ses informations. Même si sa famille venait de Cerah, il fallait dire qu’il était un peu paumé. Il n’y était pas né et ne savait pas vraiment quel travail il allait bien pouvoir faire dans ce nouveau cadre.

En tout cas, une chose positive, c’était le fait qu’il puisse se promener en pagne sans que les gens ne s’offusquent d’avantage à ce sujet. Et ce n’était pas pour lui déplaire. Même si c’était très loin d’être ce qui dominait ici, malgré le fait que Cerah soit réputé comme l’endroit le plus primitif d’Aranthia. Plus jeune, il lui arrivait de voir les membres de sa famille porter juste cette tenue quand ils étaient au domicile. Quand avait déjà un pelage, une tenue aussi légère convenait parfaitement.

Autre point à souligner en faveur de Cerah, c’était le fait que Zéi n’y était pas encore connu comme malfrat. Et de toutes manières, contrairement à Xing, il n’y avait pas toute une caste aussi indécemment riche par rapport aux autres. Puis pas besoin d’entrer dans la criminalité pour espérer vivre décemment. Aussi, les gens étaient assez ouverts et altruistes. Même si, avec ses habitudes de Xing Alda, Zéi avait du mal à encore aller vers les gens comme ça. Il avait appris à se méfier. Pourtant, il avait commencé à sympathiser avec un céleste avec du sang humain malaqii qui avait fui Arvandor et ses traitements indignes envers son peuple pour s’installer à Cerah. Il s’était mis à la poterie, une activité assez populaire dans la forêt afin d’avoir de la vaisselle quand une industrie ne pouvait la produire en masse.

En attendant de trouver son propre logement, Zéi était hébergé chez cet homme en échange de quelques services, notamment pour l’aider dans tout ce qui impliquait de savoir lire. Cela l’avait d’ailleurs étonné que les gens soient aussi solidaires et altruistes. Peut-être que le fait d’être né à Xing Alda, bien que ça soit de parents Cerans.
Ce matin, Zéi soupira en voyant le céleste étalé sur le ventre dans son hamac, les ailes traînant au sol. Celles-ci n’étaient pas en très bon état et nombreuses étaient les plumes qui manquaient à l’appel, donnant un aspect irrégulier à celles-ci. Inutile de dire que celui-ci ne pouvait plus voler correctement.

- Eh, debout ! Je vais faire un tour pour aller prendre quelques provisions !

L’autre ne répondit pas, se mettant à ronfler, visiblement dans un sommeil assez lourd.

- T’auras pas intérêt à te plaindre si je te ramène des trucs qui te plaisent pas !

Zéi comptait rester proche des habitations. Il n’avait envie de finir en apéritif pour les bestioles locales.

Dans la forêt troglodyte, les températures hivernales étaient un peu plus douce que dans d’autres endroits. Zéi n’avait pas jugé nécessaire de beaucoup se couvrir, surtout avec ses poils qui étaient parfaitement adaptés à des températures des hauts quartiers de Fang qui étaient assez proches de celles de la surface, donc froides la nuit.
Le beathach croisa d’avantage d’individus qui avaient cette part animale plus prononcée qu’à Xing. Il vit notamment un cobe à croissant pour ce qui était des antilopes. Au moins, il se ferait moins remarquer puisque les hommes-bêtes de son genre étaient plus nombreux et là où à Fang, les cluasans étaient bien plus représentatifs de cette race. Il croisa un beathach loup à la fourrure abondante qui lui donnait un air assez imposant, en plus d’une musculature puissante. Le pelage de Zéi faisait bien pâle figure et cela lui donna un frisson. M’enfin, cela ne suffit pas à le dissuader de continuer son tour. Il devait tout de mêle faire attention à ne pas se perdre. Il comptait rejoindre les commerçants afin de se procurer des denrées alimentaires pour le foyer.

- En tout cas, ça fait du bien de pas avoir constamment à regarder par-dessus l’épaule…

Enfin, celui qui disait cela, était encore à surveiller autour de lui par instinct. Les vieilles habitudes avaient la vie dure…

Des célestes, Zéi en avait vu pour la première fois avec des Valkyries qui accompagnaient l’armée d’Arvandor venue à la rescousse du groupe pris entre les griffes de l’affreuse bestiole qui sentait bon. C’était des combattantes gracieuses et redoutables. Dommage que Zéi ne soit intéressé que par les hommes. Puis il y avait Ziyad. Ce type à l’air un peu ahuri avait un charisme proche du néant. Comme quoi être béni ne transformait pas forcément en canon de beauté. Mais au fond, il avait juste été cabossé par la vie. Puis il était gentil au moins. Le beathach avait malgré tout une certaine sympathie pour ce type, surtout quand on savait les discriminations envers les célestes à Arvandor. En tout cas, ceux qui ne vivaient pas la cité des nuages.

La forêt troglodyte était un vrai labyrinthe et Zéi devait se fier aux informations des habitants afin de trouver ce qu’il cherchait. Il avait pris des notes sur ce qu’il fallait acheter. Enfin, ici, l’argent n’avait pas cours, les habitants juraient sur le troc ou la reconnaissance de dettes. Le celeste lui avait bien expliqué que les gens pouvaient compter sur le fait qu’ils auraient sans doutes besoin d’un service particulier le lendemain. Ziyad fournissait des poteries qui étaient bien utiles aux habitants. Enfin c’était apparemment comme ça que les choses fonctionnaient. Et dire que Zéi avait l’habitude de l’argent, forcément, c’était plus compliqué à concevoir. En tout cas, ils avaient pas peur de se faire rouler.

Jusqu’à maintenant, Zéi avait juste réussi à prendre quelques fruits et il n’avait plus ses babioles trouvées dans les ordures des nobles. Ici, les gens n’étaient pas du genre à jeter tout et n’importe quoi. Ziyad lui avait expliqué qu’ici, on se devait de respecter les autres et la nature. Et jeter un objet en bon état ou manquer de soins envers celui-ci était une insulte pour l’artisan qui l’avait fabriqué, et c’était la porte ouverte au fait de puiser sur les ressources plus que nécessaire. Une philosophie respectable aux yeux de Zéi. Décidément, malgré l’écart culturel, Zéi avait un certain respect pour la culture de Cerah.

Ici, même les lieux souterrains ne manquaient pas de charme, les maisons taillées à même dans la pierre rappelaient son ancienne planque mais en plus sympathique. Et au moins, pas d’incendies. La bioluminescence donnait un côté féerique à l’ensemble. Les champignons, végétaux et mousses, compensaient la luminosité plus faible par cela. A Fang, on avait beau être sous terre, c’était sinistre. Si Zéi devait faire un classement de trous, celui-ci l’emportait haut la main par rapport à celui d’où il venait.
Tandis qu’il continuait ses courses tranquillement, Zéi sentit quelqu’un lui rentrer dedans.

- Eh, attention !

Puis il se retourna et vit une être à la peau verdâtre. Elle semblait très nerveuse. A croire qu’elle fuyait quelque chose ou quelqu’un, mais qui donc ?! Cette personne semblait avoir visiblement peur de quelque chose. La curiosité poussa Zéi à se lancer à sa poursuite, la vitesse du Beathach lui permit de la rattraper sans trop de difficultés. Il ne chercha tout de même pas à la bloquer.

- C’est quoi ton problème ?

Rien de naturel ?! La réponse de la jeune femme interloquait Zéi. Ayant vécu toute sa vie à Xing où les Beathachs étaient des phénomènes inhabituels pour les habitants, le jeune homme était un habitué des regards de travers et de passer pour une anomalie.

- Rien de naturel ? Bah tu sais, jusqu’à maintenant, je vivais à Xing et en tant que beathach, je passais pour une anomalie !

Et si elle craignait qu’il la dénonce, c’était mal barré. Si Zéi prenait du plaisir à voir des nobles avec des affaires douteuses aux fesses dans la mouise, des pauvres gens, c’était non. Cette jeune femme ne semblait pas avoir fait de mal à personne.

Zéi avait rapidement vu le visage de la fugitive. Elle avait la peau verte, ainsi que des grandes oreilles faisant penser à celle d’un lapin, pas celles d’un âne. Canon ou pas, Zéi ne s’intéressait pas vraiment aux femmes. Même si ces dernières pouvaient compter parmi ses camarades ou amis. Et mieux valait qu’elles soient sympas.

- Boarf, je pense pas que ton apparence soit un crime. J’imagine que tu n’as pas choisi. Pourquoi on te punirait pour ça ?!

Une chose que Zéi ne pouvait reprocher à Xing, c’était sa tolérance envers les différentes races, et le beathach avait grandit dans cette mentalité de ne pas juger les individus selon ce critère.

- Tu sais, je suis pas du genre à vouloir balancer à la milice quelqu’un qui tente juste de s’en sortir. Tu m’as pas l’air d’être une riche avec des casseroles aux fesses.

Puis de toutes manières, ils étaient du genre à chercher à corrompre les juges, qui étaient en général bien plus complaisants avec eux, étant donné qu’ils étaient du même milieu la plupart du temps. Mais quand on était pauvre, pas de souci pour s’en prendre plein la face. Certes, Zéi avait régulièrement dégradé les murs de la demeure d’un noble. Mais concernant ce dernier, à cause de ses négligences, de nombreux ouvriers avaient perdu la vie. Cependant, aucune conséquence. Tandis que Zéi avait lui été envoyé à une mort certaine en devant aller affronter des créatures corrompues avec aucune expérience.
Si vraiment la personne ne voulait parler, Zéi n’allait peut-être pas insister d’avantage.

Jusqu’à maintenant, Zéi avait toujours eu une opinion plutôt positive de Cerah, les gens étaient plus sympathiques, il n’avait pas vu de véritables parasites comme les nobles de Xing-Alda et cette immense idiotie qu’était la loi du plus fort ne semblait pas vraiment être le genre principal de la maison. Et ce, malgré un environnement hostile grouillant de bestioles potentiellement dangereuses. Mais comme le disait Ziyad, si on apprenait à connaître et à respecter la forêt, celle-ci était un véritable paradis d’une grande générosité.

- Bon je crois que je peux te trouver un endroit de tranquillité temporaire…

Mais désormais, son interlocutrice lui dépeignait une ombre au tableau. On la chassait parce que son physique signifiait quelque chose. Mais s’il y avait d’éventuels poursuivants, autant s’en aller au plus vite. Heureusement pour la demoiselle, le Beathach en face était un pro de l’évasion et l’art de semer les poursuivants. Ainsi, il invita la jeune femme à le suivre et il disparu dans une ruelle afin de gagner du temps et surtout compliquer la tâche d’éventuels poursuivants.

C’était le moment ou jamais pour elle de trouver une éventuelle porte de sortie. Peut-être que la demoiselle avait su toucher le cœur du roublard avec son histoire. Zéi détestait les injustices et il trouvait cela injuste qu’elle doive payer juste pour son apparence, en plus d’être parfaitement absurde. Même s’il pouvait juger sur le rang social. Mais cette fille avait pas l’air d’une noble. La question était de savoir si elle lui ferait confiance. Elle semblait assez désespérée, mais aussi méfiante. Au pire, Zéi n’insisterait pas. Il n’avait pas envie non plus de se mettre trop dans la mouise. Il avait quitté Xing et tous ses problèmes, il ne comptait pas s’en attirer d’avantage à Cerah, mais bon, c’était visiblement un peu trop tard. Décidément, Zéi pouvait parfois être trop gentil.

Bien-sûr quand Zéi rentra, ce feignant de Ziyad dormait à poings fermés. La demeure était assez modeste, avec un confort des plus sommaires. Mais par rapport à ce que Zéi avait connu à Xing, c’était le grand luxe. Le Céleste était toujours avachi dans son hamac, sur le ventre, les ailes à moitié déplumées pendant de part et d’autre. Le Beathach avait même cru voir un filet de bave pendre depuis la bouche de l’être assoupi. Mais bon, Zéi avait bien eu le temps d’analyser les habitudes de l’être ailé et selon ses calculs, il n’allait pas trop tarder à se lever.
La jeune fille à la peau verte remercia Zéi de son aide.

- Oh c’est normal, tu étais dans la merde et tu n’avais pas l’air d’être une mauvaise personne…

Puis elle indiqua vouloir se cacher quelques temps ici, pour le coup, ça serait à Ziyad de décider, même si ce dernier ne semblait pas du genre à chasser les étranger comme ça.

- Ah ça, c’est le propriétaire des lieux qui va devoir décider. Je sais qu’il est assez cool, mais bon, je vais pas répondre à sa place, même si je pense pas qu’il va te chasser comme un chien.

En parlant du loup, voilà que celui-ci se leva. Il en profita pour s’étirer de ses six membres, vu que les ailes étaient des membres à part entière. Puis il remarqua Zéi, ainsi que la nouvelle venue. En voyant Zéi un peu anxieux, il rassura tout de suite tout le monde.

- T’en fais pas, je vais pas aboyer avec la meute…
- Et ouais, il vient d’Arvandor et il m’a raconté ce que ça faisait d’être Céleste là-bas et c’est pas la joie…
- Ouais, j’en perds encore mes plumes… C’est bien pour ça que je cautionne pas vraiment ce qu’on inflige aux maudits…
- C’est clair !

Comme pour changer de sujet, Zéi parla de la demande de la rescapée.

- Elle souhaiterait rester ici, le temps de trouver un nouvel endroit où s’établir par la suite. Mais bon, c’est toi qui décide.

Le céleste se gratta la barbe d’un air songeur.

- Mouais, ça pourrait-être jouable, mais bon, en échange, j’aurais besoin d’un peu d’aide. Bon tu seras pas de corvée courses pour des raisons évidentes, bah tu pourras me filer un coup de main pour le ménage ou la cuisine.

Il se tourna vers Zéi.

- Et toi ça donne quoi les courses ?

Le Beathach passa sa main derrière son crâne d’un air embarrassé.

- Disons, qu’avec la demoiselle, ça a été un peu compromis…

Le Céleste soupira.

- Bon, je vais m’en charger… Faites pas de bêtises en attendant !

Après avoir mangé un casse-croûte et s’être lavé le visage, Ziyad laissa ses deux pensionnaires seuls chez lui.