Ah le printemps ... Les fleurs bourgeonnent, certaines plantes n'en sont qu'à leur semis, et ce ne sont là, en théorie, des choses auxquelles l'agriculture nocturne elle-même n'échappe pas. Le paysage campagnard est si étendu contrairement à celui de la ville, ainsi peut-être qu'il paraitrait surprenant que les habitants de cette contrée eux-mêmes n'aient pas connaissance de la vaste beauté s'étendant sur ce territoire. Et pourtant ... pour ceux qui ont grandit dans les ruelles fumeuses et obscures d'Iter Caedis, cela peut-être une réalité. Oh mais, rien de gravissime. Pour ce cher Ézéchiel, il n'avait vu ces distances que de loin ou bien à travers les tableaux, les images ou les descriptions que les livres lui avaient offertes. Il ne ressentait pas l'immense nécessité de s'aventurer dans ces contrées, sa vie était ici, en ville.

Toutefois, il est des choses qui se dérobent et que l'imprévu emporte. Travaillant d'arrache-pied à la fixation d'un éclairage, il en oublia d'en dormir ce qui le fit s'évanouir dans son atelier de la CII. Retrouvé par l'un de ses supérieurs, il le congédia à prendre quelques jours de repos et cela bien que le temps était une ressource précieuse pour ces ingénieurs. A vrai dire, il pouvait aussi choisir d'aller se reposer quelques jours, quand il le souhaitait [dans la mesure du raisonnable], cependant il n'y avait jamais vraiment songé, n'ayant jamais été habitué à la chose il ne pouvait n'y avoir prit goût. Il râla mais son alter ego Domna l'en conjura et l'incita à sortir d'Iter Caedis rien qu'un bref instant. Elle était bien là seule chose qu'il écoutait à l'égal de sa conscience, ainsi fit-il. Il en profiterait pour aller découvrir du pays à l'occasion, découvrir les choses que d'autres lui ont évoqué, peut-être, qui sait, retrouver des connaissances auxquelles il avait rendu service ici et là ?

Bref. Ayant quitté la ville par l'intermédiaire d'une charrette en bois destinée au transport et conduite par un villageois se rendant alors aux Champs d'Argents, il contempla les étendues vallonées s'offrant à lui. Etrange, non ? Il se présentait comme un poisson hors de l'eau, déjà avait-il avancé de quelques kilomètres seulement que sa tenue pouvait paraître désuet. Sous le ciel nocturne, le temps s'éclipsa et après environ quatre heures de trotte, la charrette finit par arriver aux Champs d'Argents. Remerciant le dit villageois, il descendit de la voiture de bois et manqua déjà de glisser de peu lorsque sa botte frotta les sédiments. Misère, dans quoi s'était-il seulement embarqué ? A vrai dire non, il ne se disait pas ça ; il était comme à son habitude curieux, il avait lu des livres d'agronomie et voir le milieu en œuvre l'inspirait, un milieu dans lequel le manuel prédominait à la machine.

En tout cas, il était là. Il songeait dès lors à quoi faire, peut-être prendre des notes sur le mode de vie de ce lieu, une pléthore de possibilités s'offrait à lui. Et quoi qu'il en soit, l'arrivée d'un individu à l'accoutrement peu ordinaire et aux habitudes semble-t-il citadines auraient peut-être pu véhiculer quelques ragots dans l'immédiat ... Finalement, il alla se balader à travers les lieux, il se souvint alors des récits et autres choses que ceux qu'il avait rencontré par le passé lui avaient raconté sur l'endroit. Il se rendit d'abord auprès d'une maison qui appartenait à un fermier qu'il avait rencontré lors de l'un des anniversaires de la Grande Purge il y a quelques étés de cela, lequel il avait aidé. Frappant à la porte de la dite maison qui ressemblait trait pour trait à ce à quoi il imaginait, il n'y eut point de réponse. Dommage, il passa son chemin.

Il se rappela par la suite avoir rencontré il y a un peu plus de dix étés de cela, dans des circonstances similaires, une jeune paysanne prénommée Mélusine qui habitait alors ces lieux. Affamé, celle-ci l'avait aidée. Ils avaient discuté et elle n'avait omis aucuns détails sur son lieu d'origine. Néanmoins, bien que ses capacités mnémoniques soient surprenantes, cela faisait un certain temps. Il se souvenait quand même du "repaire" qu'elle lui avait décrit, dans les grandes lignes. Cet hameau de sûreté dans lequel elle venait se terrer. Curieux de la chose qui revint surgir dans son esprit, il s'y dirigea. Et si cela prit un certain temps avant qu'il ne réussisse à s'orienter, faute de connaissance des lieux, il y parvint finalement.

Arrivant au devant de la cachette pour le moins singulière, il était déjà légèrement surpris que le dit lieu était toujours debout. Qui plus est, il n'avait aucune idée de s'il allait y trouver quelqu'un ou non, pour ce faire et ne pouvant trouver ce qui s'apparentait à une entrée, il s'avança près d'une extrémité quelconque de la sorte de cabane et mima un tocage.

« Knock knock ? »

Il était difficile de dire s'il espérait ou non rencontrer quelqu'un ici. S'il avait implicitement demander, ce n'était qu'à titre d'assurance, aussi fut-il légèrement surpris lorsqu'il tout d'abord entendit un léger mouvement puis vit une jeune elfe surgir de derrière un rideau. En l'occurence, l'étonnement était davantage de son côté, et c'était normal. Il comprit bien rapidement avec ses mots qu'elle ne l'avait point reconnu, pour lui c'était autre chose car non seulement ça corrélait avec les dires qu'elle avait partagé il y a longtemps de cela mais également, elle ne semblait avoir grandement changé physiquement. A peine essaya-t-il de répondre en entrouvrant ses lèvres « Je-   » qu'elle l'interrompit, l'invitant à entrer de par ses paroles et sa gesture.

N'ayant une nouvelle fois guère le temps de répondre, il se permit de rester devant la rideau. Car effectivement, ce n'était que de la bienveillance qui émanait de lui, d'ordinaire respectueux, il jugeait peu déférent de rentrer à l'intérieur de la cabane avant même les présentations. Ces choses fusèrent tel un éclair dans sa pensée, à peine l'avait-elle en réalité invité à rentrer qu'il s'était accroupi sur place pour se mettre à peu près à sa hauteur, penchant également la tête pour regarder à travers l'ouverture, la voyant reculer jusque sur les coussins. Il s'exprima alors.

« Mmmh ... Bonjour, Mélusine c'est bien cela ? » Il jeta un bref regard autour de lui avant de venir reposer son regard sur elle. « Je m'appelle Ézéchiel. »

Il se suspendit là, volontairement, toujours accroupi, afin de voir d'ores et déjà si la simple mention du prénom pouvait lui rappeler quelque chose. A charge d'indice supplémentaire, son accoutrement pouvait clairement indiquer qu'il ne venait pas d'ici. 

Il venait tout juste de se positionner en tailleur, lui aussi, qu'il fut une nouvelle fois prit de court par l'initiative de la jeune elfe. Dans cette circonstance, il est tout à fait vrai qu'il n'eut pas le temps d'envisager la moindre réaction lorsqu'il la vue débouler sur lui afin de l'enlacer, il en tomba presque à la renverse mais parvint à se maintenir en venant poser l'une de ses mains en arrière, l'autre sur l'épaule de Mélusine afin de trouver momentanément comme un point d'appui. Désormais redressé et alors qu'elle se blottit contre lui, il vint tapoter son dos avec délicatesse, un mouvement semblable à de petites caresses.

Arriva donc l'avalanche de questions, ce qui était tout à fait légitimes à ses yeux. Elle était curieuse mais il l'était tout autant et, si la curiosité était une caractéristique divine, alors nul doute qu'Ézéchiel aurait pu concourir au titre d'élu. Et c'est aussi la raison pour laquelle il se posait également des questions, faisant un lien direct avec ce qui avait été dit il y a des années de cela et la situation actuelle. De vrai, les quelques secondes écoulées l'avaient aidé à se remémorer de détails à son sujet qu'il avait oublié sa vie durant. Il est vrai que Mélusine, bien plus jeune, était déjà émotionnelle, et à ce titre elle ne semblait pas vraiment avoir changé pour l'instant. Toutefois, il se demandait déjà, alors qu'elle n'avait pas encore reculée, comment se sentait-elle réellement car d'évidence elle semblait effectivement avoir été submergée par ses émotions.

Quant à lui comment se sentait-il ? Et bien globalement, il était surpris de sa réaction. Mais bien évidemment il était content de voir autant d'amicalité s'offrir à lui, il n'en attendait pas tant il y a quelques minutes de ça. Il était également satisfait de voir que, malgré les années qui s'étaient écoulées, la sommaire évocation de son prénom l'avait fait se rappeler d'évènements passés. D'apparence, il manifestait cela avec une décontraction totale symbolisant sa confiance ainsi qu'un léger sourire en coin quant à lui rassurant.

Alors qu'elle prit du recul, il vint poser ses mains sur ses propres cuisses, toujours assis en tailleur. Il profita de ce bref instant qui semblait se profiler afin de lui répondre. « Eh bien, tu n'as pas changé ! » Dit-il sans espérer la vexer, car d'une part il exagérait forcément ses propos, d'autre, il s'agissait là davantage au contraire d'un compliment. « Tu as aussi bien poussé. » Il s'en passe des choses en une journée, la preuve en est tangible à cette simple scène, alors en une dizaine d'années ? Oh, oui, effectivement ils pourraient en avoir des choses à se raconter. Il leva les yeux en coin afin de fixer le plafond un bref instant, comme un tic de réflexion, avant de venir la regarder dans les yeux pour lui répondre. « Je réalise ma ... première excursion hors de la ville, et me voici-ici. C'est aussi simple que cela, je crois ? » Il accompagna ces dernières paroles d'un léger frottement de l'arrière de sa tête à l'aide de l'une de ses mains. Contrairement à elle, il n'était donc pas débordé par les émotions, mais cela relevait davantage d'un contrôle, car il était en réalité tout à fait ravi de la voir.

« J'imagine que certaines choses ont changé mais ce lieu ressemble réellement à ce que tu avais décrit. » Dit-il tout en scrutant l'intérieur de la petite cabane, toujours en venant reposer son regard sur elle à la fin de ces égards. Mais trêve de bavardage à ce propos. « Et toi, comment vas-tu ? »

Il ne peut s'empêcher de remarquer ses contenances qu'elle semble s'imposer à répétition. C'est pourquoi il ne se gêna à aucun moment de le lui signaler. « N'hésite pas à exprimer la plénitude de ta pensée, cela ne m'embarrassera pas. » En voilà une chose peu habituelle qu'il réalisait d'ailleurs au moment donné, il avait du temps de libre, et il se devait de l'occuper. D'ailleurs, le léger aparté qui vint par la suite vint briser son sourire en coin pour faire se rebâtir un plein sourire, il n'était pas venu là dans l'intention de se faire offrir quoi que ce soit. « M'offr-mais ... C'est vrai que la dernière fois tu m'avais aidé à remplir mon estomac, mais aujourd'hui je ne me suis pas égaré dans ce but. » Ajouta-t-il alors que paradoxalement son ventre se mit à gronder légèrement, comme en guise de réponse. « Ta bonne humeur sera amplement suffisante ! »

Alors qu'elle s'allongea, il préféra quant à lui rester assis, la position dans laquelle il était lui convenait le mieux, le privant à la fois d'une paresse qui rôde, tout en stimulant son attention ainsi que sa créativité. «  Me voilà navré de venir troubler ce silence. » Il écoutait attentivement ce qu'elle avait à dire. Encore une fois, il se retrouvait face à un redoutable tsunami de questions. Il acquiesça à la suite des premiers dires car le constat était évident. Il plissa négligemment ses yeux quant aux paroles suivante.

Une rencontre, un exemple ? C'était vague, toutefois, il pouvait s'y identifier car tel est l'adage des ambitieux. La perfection n'est pas réelle, aussi il existera toujours des choses supérieures à soi et face auxquelles il conviendra de s'en inspirer, en bien ou en mal. « Je comprends, oui. Si tu savais le nombre de personnes dont j'ai tiré mes inspirations pour en arriver là où je suis ... Certains sont de plus grands modèles que d'autres, c'est sûr, en revanche, je pense que tu empruntes inconsciemment un chemin qui ne te sied pas. » La phrase pouvait porter à confusion, c'est pourquoi il la détailla d'emblée après une courte pause. « Cette personne, tu peux t'en inspirer, mais n'oublie pas d'être toi-même avant tout, cela ne t'empêchera en rien de suivre son exemple en dépit de cela. Et il n'y a pas de "mais je", "moi" ou autres choses qui tiennent à ce sujet. » Il était convaincu de ses paroles. S'il ne la connaissait pas grandement, il parlait effectivement avec sa propre expérience ; se dénaturer, il considérait cela comme un aveu d'échec inexplicable car ses pensées optimistes l'ont bercé dans les lieux où il a grandit. Il est persuadé que certains des êtres les moins "purs" puissent tirer parti de leur(s) particularité(s) afin de devenirs meilleurs. A l'instar de cette idée, comment est-ce qu'un être supposément aussi pur que Mélusine ne pourrait pas en bénéficier ? Cela avait tout du moins un sens dans son esprit. C'est de telles idées qui l'inspirent au quotidien à Iter Caedis, prouver aux autres qu'ils ont tort, et les dieux seuls savent, en plus de Domna, à quel point ce petit hybride peut être infiniment têtu. Il avait, depuis la fin de sa phrase, reprit son léger sourire en coin. Par ailleurs, il n'en demandait pas plus sur cette extraordinaire personne dont-il était question, il n'aime point s'insérer dans les récits des gens et préfère que ceux-ci racontent de leur plein gré, il restait de fait entièrement ouvert à davantage de détails si telle était la volonté de l'elfette.

« Eh bien je ... » Il procéda à une introspection intensive afin d'être sûr de formuler correctement ce qu'il allait dire. « Je commencerai par dire qu'il faudrait savoir quelle est ta destination ? Et je te mentirai en disant que ce séjour n'est pas un imprévu dans lequel je n'aurais jamais soupçonné le plongeon en son sein il y a encore deux ou trois jours de cela. La vie est faite d'imprévus, mais pourtant me voilà. Toi, tu as l'immense chance de pouvoir prévoir, planifier. Quelque part, j'en aurais aussi eu l'occasion mais j'y suis allé tête baissée. » Pouvait-en témoigner son ventre il y a quelques minutes de cela qui, pour rappel, avait émit un léger grondement. Il était parti sans prendre ne serait-ce qu'une miette de pemmican [ou équivalent] ... « Tu restes une elfe, une vie considérable s'offre à toi, ne craint ainsi pas de rester dans l'inaction éternellement. Je suis convaincu que même si la stupeur s'emparerait de toi, quelque chose ou quelqu'un finirait bien par te faire sortir de ton chez toi. Cependant ... » Il hésitait un peu à profiler les mots qui lui venaient à l'esprit, toutefois, il se voulait d'être honnête, ainsi fit-il. « Je pense que tu es actuellement mu par une certaine ardeur. Ainsi, tu ferais bien d'aller de l'avant pour t'assurer que "voyager", comme tu le dis, te conviendrais. J'ai lu un livre d'origine humaine l'autrefois, que l'Inquisition m'en pardonne- » avait-il chuchoté « -et il y avait la récurrente mention de l'inexorable regret de n'avoir point pu découvrir davantage de ce monde. Ainsi, bien que ceux au sang elfique bénéficient de davantage de temps, je te conseillerais de te mouvoir dès lors afin d'en avoir le cœur net. Il est préférable d'avoir des remords que des regrets et chaque grain de sable s'écoulant dans le sablier peut représenter une possibilité. »

Il n'était même pas tout à fait sûr d'avoir répondu à ses questions et à ses attentes. Ce domaine n'était pas mécanique ... il était  hors des sentiers battus. Il avait abordé certains de ces sujets qu'avec des pincettes car il ne connaissait que nullement la position de Mélusine quant à l'orgueil elfique et la fierté inhérente à cette race quant au sang qui coule dans ces veines. Une chose à laquelle il n'avait pu, pour des raisons évidentes, jamais s'identifier. Enfin, si les pensées d'Ézéchiel devaient être représentées sur une toile, pourrions-nous imaginer une toile toute bleue symbolisant son optimisme et sa bienveillance. Une toile qui fut toutefois empreinte de fins traits d'une autre couleur, symbolisant son inquiétude s'étant matérialisée sur ses dernières paroles. Il avait beau avoir été honnête, il n'avait exprimé qu'une partie du fond de sa pensée. Mélusine était une pierre précieuse encore brute, et il espérait quelque part qu'elle tomberait entre les mains du bonne orfèvre afin qu'elle puisse accomplir son potentiel de joyau étincelant. Son inquiétude survenait au bon milieu de cette pensée, craignant que le monde ne soit un lapidaire bien trop cruel et maladroit pour elle.

Effectivement, il essayait de la mettre en garde avec la maigre expérience qu'il détenait à ce sujet, plutôt que de ne l'en empêcher. Tu ne peux retarder éternellement l'oiseau de sauter du nid et ça il le savait, n'en avait-il lui-même pas été la preuve quelque part ? Peut-être, mais dans une moindre mesure estimait-il. De toute évidence elle avait besoin de changement.

Voilà une amitié qui n'était pas sans fondement car lui aussi avait un adage similaire, à la différence qu'à défaut de ne pas pouvoir comprendre d'emblée les crapules, il essayait. Nonobstant, il se montrait moins naïf et plus réfléchit dans ces choses là. Mais il savait que même dans les abysses les plus profondes se trouvaient des lumières errantes. C'est là la parfaite raison de la vertu qui le caractérise, sa chasteté forte et inflexible le vouant à respecter ou tout du moins à ne pas mépriser la plus cruelle des personnes qui pourrait être. En parlant de vertu, ou plutôt de vice ... voici donc "l'extraordinaire personnage" : l'élu de l'Orgueil ?

Meh, les élus ce n'est pas sa tasse de thé. Il ne s'était jamais penché sur le sujet davantage, mais rien qu'à y penser cela soulevait en lui des milliers des questions et il n'y avait là aucune exagération. Il avait davantage foi en la Sainte Lune ou encore ses confrères mécaniques qu'en eux, mais ceci ne représente en rien un étonnement pour un être les ayant côtoyer pratiquement toute sa petite vie durant. Si les élus sont vraiment les incarnations divines qu'ils sont censés représentés, n'étaient-ils finalement pas des échecs avérés de l'imperfection de ce monde ? Peut-être que pour beaucoup c'était criant, ou pour d'autres tout le contraire. En réalité, si comme nous l'avons vu jusque-là c'est une soif inextricable de connaissance qui anime Ézéchiel, en l'occurrence sa curiosité ne se porterait pas sur ce sujet davantage. Voici l'héritage de son cynisme poussé à son paroxysme, et pour une première, cela semblait l'exaspérer.

L'élu de l'Orgueil disais-je, à défaut de ne pas être né sous le signe de la chasteté, c'est peut-être bien l'humilité qui l'aurait caractérisé lui. Non pas vide de fierté, jamais il ne la ferait s'écraser sur d'autres. Aussi faut-il ajouter que cela représentait à ses yeux un immense paradoxe flagrant mais qu'il ne finit par comprendre qu'en réfléchissant deux secondes de plus ; et si Mélusine, un être perpétuellement attiré par les choses extérieures, n'appréciait en réalité l'élu de l'Orgueil que par l'immense capacité pourtant immanente a beaucoup en Arathia, de s'aimer soi-même ? Une chose qui semblait être un vide et un tout en elle.

« Tu ne peux savoir comment je suis d'accord, l'existence de la satisfaction est ultimement subjective, mais chaque être devrait avoir le droit d'y goûter ne serait-ce qu'une fois. Voir, chaque jour, en ne faisant peut-être qu'une dizaine de pas de là où je passe mes journées, des gens plongés dans la fange et condamnés peut-être à une souffrance perpétuelle, la souffrance de ne point connaître la satisfaction réelle outre celle qu'ils pourraient estimer mais qui à mes yeux est illusoire. Des gens qui pourraient avoir un potentiel supérieur à ceux ... ceux en haut. » Ceux en haut qui par ailleurs les ruinent eux. Et juste comme ça, tel un comble de l'absurdité, on pouvait déceler une pointe d'arrogance et de mépris dans ses paroles. Une pointe d'arrogance car il était persuadé d'avoir raison, oh que la vie lui enseignera des leçons à l'avenir ... Pour le mépris, point davantage de détails, la raison est évidente. « J'espère que mes propos ne t'importunent pas. » Il ne connaissait pas sa position quant aux inégalités de Clara Nocte.

Il ne connaissait pas cette Aurelia dont-il est question, impossible pour lui de la juger et par respect et pragmatisme, il ne le ferait pas. Toutefois, il ne peut s'empêcher d'exprimer un désaccord quant à la fin de sa phrase. Un peu d'Aurelia en soi ? Elle sous-entendait certainement l'orgueil ? Si oui, il n'afficherait pas son opposition car c'est ce qu'il pense et cela n'importe que peu dans le contexte actuel.

Elle s'exprimait avec certitude, c'était bien. Il faut avoir confiance en soi, on ne peut bâtir sans fondations, c'est pourquoi il ne tenterait pas de les fragiliser, le pouvait-il réellement de toute manière. Quelqu'un de sensé aurait d'ailleurs évoqué la question familiale à un moment donné, toutefois, pour Ézéchiel c'était ... compliqué, ainsi ne le fit-il pas, le comique serait cinglant s'il se permettait lui de parler de cela.

« J'espère que cette personne te considère un minimum. » Cela donnait suite à son incitation à aller de l'avant pour ne pas avoir davantage de regrets donc, elle devrait s'en assurer, ce à quoi l'avenir donnera heureusement raison. L'oiseau devait déployer ses ailes pour découvrir son envergure. Ces pensées optimistes habituelles revinrent l'habiter, chassant les songes et le mépris qu'il avait brièvement ressenti. Elle "l'invita" par la suite à manger.

« Manger ? Je peux me débrouiller tu sais ! » Nulle humilité, il le pensait. « Considérant ce qui m'a été imposé, je jugerais que j'ai le temps mais ... je ne vais pas non plus m'attarder ici, ta famille doit t'attendre, non ? » Il abaissa par la suite le ton mais restait parfaitement audible, il pensait à voix haute. « Et moi aussi j'ai quelqu'un qui m'attend, tient. » Cette phrase le fit vraiment sourire alors qu'il baissa légèrement la tête dans un coutumier signe de réflexion avant devenir la redresser, réajustement son sourire. « Manger à ma faim ? Je ne sais pas si je le fais mais en tout cas je le peux. Et je ne suis pas si bien portant que ça voyons ! » Il rigolait sur ses dernières intonations, sous-entendant qu'il avait davantage la peau sur les os qu'autre chose.

Et vint donc cette fameuse montre qu'il ... avait oublié. Oui, il arqua un sourcil car en dépit de sa remarquable mémoire, il mit du temps à faire le lien. Oh, mais cela avait été tellement anodin pour lui de lui offrir, et pour elle, qui l'avait aidé dans un monde où, en tant que mi-céleste pour certains, mi-elfe pour d'autres, il se prenait des coups de pieds à droite à gauche. Aussitôt le lien fait, il ne put s'empêcher de constater le remarquable état dans lequel elle avait conservé son présent. Elle n'avait jamais dû l'utiliser. D'ailleurs il ne put s'empêcher de s'auto-critiquer, la gravure au nom de Mélusine n'était pas millimétrée, il manquait certaines indications à son fonctionnement et pourtant elle était embellie d'inscriptions, enfin, les rouages étaient fonctionnels mais chaotiquement rangés. Mais que peut-il y faire, depuis ceci, son expérience s'est accrue considérablement, en voilà un euphémisme. « En voilà une relique du passé, tu n'as pas du beaucoup l'utiliser tant elle est ... bien conservée. » Peut-être que c'était pour ça qu'elle suggérait de l'emmener avec elle par la suite, pour enfin rentabiliser son usage ? Il ne pouvait malheureusement répondre à cet acte car, les présents qu'elle lui avait offert étaient eux digérés depuis longtemps. « Si c'est que tu souhaites, ça serait une belle symbolique ! Cela me fait quelque part regretter qu'elle ne serait pas d'une grande aide dans ton voyage. » Il songeait, mais il était si loin de son atelier et ne pourrait ici rien confectionner d'utile ...  Il avait d'ailleurs encore dit peu de choses sur lui, l'aventure de Mélusine pourtant jusque là cantonnée à ces champs natals était pourtant bien plus dense qu'elle ne l'estimait.

Toujours avec un sourire en coin, il acquiesçait avec les dires des Mélusine. Sa nature compréhensive était vraiment une qualité rare à laquelle il n'était pas habitué, et même s'il était d'ordinaire serein cela l'apaisait davantage en particulier subconsciemment. Il était loin des complexités de la ville où n'importe qui pouvait risquer gros pour une simple parole de travers n'allant même pas de pair avec sa pensée.

Il constata que ses paroles avaient légèrement bouleversé Mélusine. Elle venait de l'inviter à manger afin de continuer à discuter et il avait quelque peu contourner le sujet. Il comprit bien qu'elle ne voulait pas se sentir seule, et surtout qu'elle avait besoin de ne pas se sentir seule surtout à l'aube de son départ. Ses paroles le confortèrent dans sa pensée, il venait d'ailleurs de lui recommander quelque chose qu'il n'allait vraisemblablement pas appliquer ; elle lui avoua clairement qu'elle ne serait plus la même si le destin leur accorde la chance de se revoir après son départ. C'était si évident qu'il l'avait considéré comme acquis et n'y avait pas songé plus que cela ... pourtant ces paroles vinrent sonner la cloche, lui faisant calculer l'entièreté de la chose. Il s'en voulait alors. Il allait lui proposer de rester ne serait-ce que pour grignoter et continuer à discuter, il avait le temps et ils ne s'étaient presque rien dit d'autant qu'il avait lui aussi des choses à raconter sur lui.

« Tu n'as pas besoin de ma permission pour m'écrire Mélusine, je serai ravi que tu le fasses. Je connais beaucoup de monde, mais bien peu de personnes me connaissent, ainsi je n'ai que peu d'amis et je serai là pour leurs moindres recours. » Il savait effectivement que l'inverse serait plus compliqué, mouvante, il ne pourrait pas s'assurer de lui délivrer des lettres ou tout du moins à une fréquence bien inférieure. « Et puis, comme tu le sais ... je suis curieux, donc si je peux voyager à travers tes écrits, tout le monde y gagne. »

S'étant déjà réhabitué à sa nature affectueuse, il répliqua à son invitation à la promesse en croisant son auriculaire avec le sien. « Nous nous reverrons, c'est une promesse. » Espérait il davantage dans la forme que pour la symbolique. Car la vie est longue, voir des anciennes connaissances est un évènement pouvant se produire à biens des occasions, mais il affirmait que s'ils se reverraient c'est car elle aurait réussie et c'était cela qu'il souhaitait davantage.

« Ecoute. J'ai le temps, je veux bien rester afin de continuer à discuter, j'en ai l'envie. Je ne t'ai encore dit que trop peu de choses sur ce qu'il m'est arrivé, je vais même avoir l'occasion de te parler de cette personne que j'admire et qui m'attend et qui à l'instar de ce que cette Aurelia semble être pour toi, m'inspire. » Il parlait avec passion, sa tonalité le retransmettait très clairement et ses sentiments envers la dite personne également. Mais avant cela ... un petit casse-croûte ne serait pas de refus. « J'accepte volontiers un petit encas, mais à ce titre il faut que je te montre quelque chose, tu me fais confiance ? » Une question des plus rhétoriques, il savait la réponse acquise. C'est pourquoi il courba son dos et s'arqua vers elle en venant poser une main sur son épaule. Se concentrant un bref instant, leur vision se distordit durant un millième de seconde et ils réapparurent à portée de vue de la maison de Mélusine, toujours cachés derrière la végétation. Content de ce qu'il venait de faire même si cela était devenu une facilité pour lui, il sourit de manière plus prononcée. Il retira sa main de son épaule pour venir la rabattre sur sa propre cuisse, toujours assis en tailleur puisque la position dans laquelle ils étaient initialement n'avait en rien été bougée. Il était là et attendait sa réaction à cette chose qu'il ne lui avait jamais montrée, s'expliquant aussi par le fait que la dernière fois qu'ils s'étaient vus, il n'avait en aucun cas conscience de cette capacité ...