Huan ne s'était pas reposé sur ses lauriers, encore secoué par sa dernière rencontre avec son ancien ami. Il était resté dans sa tête, ses paroles résonnaient et il s'était laissé bercé par l'envie de le revoir pour en finir avec leurs différends une bonne fois pour toute. Mais la dissociation a eu raison de lui, la démence l'a empêché de forcer les retrouvailles à un moment qu'il aurait apprécié planifier ; mais voilà que le temps a passé, et que l'anarkhia a dû redoubler d'efforts pour retrouver le draconide qui préférait fuir le pays.

Pendant un moment, il n'a pas eu de nouvelles de lui. Puis, par un heureux hasard, il a appris qu'il était retourné à Vollheim. Le royaume ne lui rappelait rien de spécial, il resta de marbre ; ce qui l'avait étonné, cependant, c'était qu'il accompagne le souverain vollhyr. S'il n'était pas refroidi, il craignait de finir écrasé sous les mains du géant s'il tentait d'approcher son obsession depuis leurs retrouvailles.

Mais le voilà à Evren, à l'abri des regards. Il ne comprenait pas pourquoi Leif se déplaçait autant, et ça le mettait en rogne. Huan n'aimait pas se retrouver dans le faubourg, mais il attendait simplement qu'il daigne passer devant son piège pour lui imposer une retrouvaille très certainement mouvementée.

Huan s'était préparé en conséquence. Il connaissait son adversaire, et il était prêt à tout pour lui donner une bonne leçon. Il l'avait repéré près des étals, et il profita des quelques secondes avant son attaque pour bien réajuster le masque et les lunettes qui protégeaient tout ce qui était à portée de jet d'eau. Il était tellement préoccupé par son envie de ne pas échouer qu'il n'avait même pas remarqué qu'il avait repris son apparence d'il y a bien des années ; un masque qu'il pensait avoir oublié jusqu'à maintenant.

Et quand il put attraper le directeur, il sauta sur l'occasion.

« Doucement, Leif. Je ne veux pas être obligé de te frapper. »

Il le tira avec lui, à l'abri des regards. Sa voix était étouffée sous l'épais matériau qui empêchait potentiellement toute tentative de le perturber ; une de ses mains s'était saisie de la queue du draconide pour ne pas tomber. Il était persuadé que son plan serait parfait.

« Je ne pouvais plus attendre qu'on se retrouve, toi et moi. On doit tenir notre promesse. »

Ses muscles se tendaient sous les efforts. Huan, inconsciemment, tremblait. D'impatience ou d'appréhension, ça, il n'en savait rien. Mais il suait également, la faute à son équipement et à la chaleur.

À le tenir comme tu tiendrais un crocodile, tu sens que tu vas vite agacer ta cible. Cible que tu connais de mieux en mieux à mesure que tu te rappelles de toutes vos aventures avant qu'il ne décide de t'abandonner à ton triste sort, lentement dévoré par la démence. Tu souffles sous l'effort de maintenir l'homme dans une telle position, le front trempé de sueur que tu ne pourras pas essuyer tout de suite.

« Oui, cette promesse-là. Ça m'a tellement bouffé que je t'ai retrouvé et je t'ai suivi. Tu n'es pas simple à traquer, tu sais ? »

L'impatience se sent dans ta prise. Tes doigts serrent de plus en plus fort, marquant la peau jusqu'à encaisser les coups qui te déstabilisent. Décidément, tu n'es pas si bien informé sur sa personne, car quand bien même tu parviens à ignorer le coup de plumeau, la douleur qui irradie dans tes jambes ne te calme pas. Tu résistes tant bien que mal, habitué à la douleur mais contraint de lâcher prise un moment.

« Mais quel chien, t'en as pas marre de te débattre ? »

Plus Leif se débat, plus tu t'agaces. Tu le repousses violemment, prenant appui sur ton pied qui ne te fait pas aussi mal pour donner des coups avec l'autre. Tu n'as aucune envie de t'en sortir uniquement en lui parlant, lui faisant probablement comprendre ton hostilité d'un sifflement agressif.

« Tu m'as abandonné, je m'en souviens. C'est à cause de toi si je suis dans cet état. Pas de chance, j'ai eu tout le temps qu'il faut pour me remémorer ta trahison. »

Ta voix se casse un instant. Sous l'épais manteau, tu trembles davantage. Tu ne veux plus paraître faible, mais quelque chose se brise encore alors que tu te mets sur la défensive. Prêt à riposter malgré la douleur.

Qu'il t'agace à toujours avoir une avance sur toi. Pourtant, l'envie d'aller jusqu'au bout de tes pulsions et de le tuer n'y est pas, quand bien même tu es plus qu'agacé par son comportement. L'amocher, te venger de t'avoir abandonné, c'est une chose. Lui arracher la vie, ce serait lui offrir trop de clémence. Tu ne l'écoutes que d'une oreille, préférant rester dans ton brouillon de mémoire en serrant les dents jusqu'à les faire grincer à force de tirer la gueule.

« Quel orgueil. Incapable d'admettre tes torts ! »

Toute la rage s'entend, quand bien même tu finis coupé dans ton élan par l'irritation dans tes yeux. C'est horrible, et encore plus agaçant avec les petits grains de sable qui s'engouffrent et qui te font un mal de chien. Tu n'en peux plus qu'il ait toujours quelque chose à dire ou faire pour te rendre fou. Tu te recules mais tu restes entre lui et la liberté, retirant tes lunettes pour frotter avec force tes yeux irrités.

« Toi et ton hydromancie de merde… En fait, c'était pas si mal, la prison à Ananda. »

Mais c'est avec les poings que tu veux parler. Une fois de plus. Votre amitié passée est devenue une haine que tu nourris depuis un moment, que tu as du mal à calmer. Et cette démence dont tu n'as aucunement conscience qui te bouffe petit à petit n'arrange en rien les choses, se moque peut-être même un peu de tout ça.

« Je veux tellement te faire du mal. Comme tu l'as fait quand on était plus jeunes. »

À ses yeux, tu es probablement un fantôme qui n'aurait jamais dû revenir dans sa vie. Tu te jettes sur lui sans plus de cérémonie, comme pour le plaquer à même le sol. Tu es désespéré et tu n'as aucune idée de quoi faire, mis à part en voulant simplement lui faire du mal. C'est un mode de vie simple, mais tu ne réalises pas à quel point tu tournes en rond et que tu es prévisible.

« J'ai tué pour toi, pour te revoir, Leif. »