La maison du professeur Hakkin n’était pas très grande, comparé aux immenses palais élyséens dont Caliban avait l’habitude. Là bas, on pouvait voler librement sous les hautes charpentes. Ici, il n’était même pas sûr de pouvoir déplier entièrement ses ailes sans prendre le risque de renverser une pile de parchemins ou de vaisselle ébréchée. Il régnait dans la pièce une odeur sèche de vieux livres et de lavande à laquelle se mêlaient les vapeurs parfumées d’une infusion d’herbes du jardin, que Caliban respira profondément. Le vieux chien du vieil homme s’approcha de lui et vint poser sa tête sur ses genoux, remuant mollement la queue, réclamant une caresse.

Il aimait tant venir ici.

Les occasions se faisaient de plus en plus rares. Échapper quelques heures à ses devoirs pour venir rendre visite à Hakkin était devenu particulièrement difficile, depuis…
Non, il ne fallait pas y penser. Caliban était là aujourd’hui, et c’était ce qui comptait. « Ce n’est pas trop chaud ? » demanda la voix enjouée du professeur.  « Pas du tout. » répondit Caliban, en portant sa tasse à ses lèvres. « Et comment ça se passe, là-haut ? »
Caliban ne répondit pas immédiatement. Du bout du doigt, il suivi le tracé d’une des nervures du bois de la table.  « C’est… ça va, je crois. » murmura-t-il avec un sourire. Hakkin savait qu’il n’aimait pas en parler. Il savait beaucoup de choses, que ce soit sur lui ou sur le monde. Un véritable savant, l’ancien Grand Archiviste d’Arvandor, Gardien de l’Histoire, et, plus sobrement, précepteur de Caliban. Et pourtant, un homme humble et bon, qui n’avait pas hésité à ouvrir sa porte au jeune céleste meurtri qu’on avait arraché à sa demeure.

Il aurait pu terminer sa vie dans le luxe et les honneurs des plus grands. Et pourtant, quand Caliban n’avait plus eu besoin de lui, il avait choisi de se retirer discrètement pour prendre sa retraite loin de la ville, dans ce village perdu où il avait grandi, dans la bicoque surchargée de bibelots et de souvenirs de son enfance.

Humble. Et bon.

Alors que le vieil homme écartait une pile de livres pour déposer sur la table une assiette de biscuits aux miel, la porte de la maisonnette s’ouvrit brusquement, laissant passer un homme chargé de filets à provisions. Un voisin ? Un ami ? Caliban observa l’homme. Il le trouva beau, pour un humain, malgré la cicatrice qui lui couvrait le visage. Et des manières franches, agréables, malgré son air un peu ahuri.

Hakkin s’était levé.  « Déranger ? Bien au contraire ! Venez, entrez donc. » dit-il, en débarrassant une troisième chaise pour venir la tirer prêt de la table. « Vous resterez bien prendre une tasse de thé ? » Le vieil homme s’affaira sans attendre de réponse, déposant déjà une tasse supplémentaire sur la table. Caliban, lui, n’avait pas dit un mot.

Pourquoi cet homme le fixait-il ainsi ?

Il n’avait pas pu voir en lui le roi des célestes, c’était impossible. Lorsqu’il venait rendre visite au professeur, Caliban prenait soin de délaisser tous ses atours royaux, ses bijoux et sa superbe, se contentant de vêtements simples et sobres. Se pourrait-il qu’il n’ai jamais croisé de céleste avant ? Dans ce coin reculé, c’était tout à fait possible.

Mais tout de même, le fixer ainsi… Caliban se sentit soudainement rougir, et porta la main à son visage. Et s’il avait quelque chose sur la figure ? Traître de Hakkin, qui ne lui avait rien dit, et qui continuait de s’agiter pour mettre à l’aise ses invités.  « Posez tout ça là, ne vous inquiétez pas pour les oeufs. Je vous présente Caliban, qui nous vient d’Elysium. Il a été mon élève par le passé. »

Caliban soutint le regard de l’homme, avant d’incliner légèrement la tête. « Enchanté. » dit-il d’une voix douce, incertain de la conduite à tenir.  « Vous ne nous dérangez aucunement, rassurez-vous. Et rassurez-moi, également… ai-je quelque chose sur le visage ? Si c’était le cas, je préférerais le savoir. » dit-il, tout en jetant un regard accusateur en coin au professeur, au cas où c’était véritablement le cas et qu’il n’avait rien dit