Fin juin 85.

Si ta rencontre avec l’Avarice a pu régler ton souci de cap, t’éclairant davantage sur la manière de diriger ton nouveau statut dont tu as toutes les peines du monde à te faire, demeurent encore de bien trop nombreuses questions. Un terrain d’entente semble avoir été trouvé avec la déesse qui semble davantage disposée à te guider par ses murmures après cette longue période de silence. Maintenant sortie de ta torpeur provoquée par trois siècles enfermée dans une tour d’ivoire, à l'abri de tout à te satisfaire dans la débauche, sans d’autres projets, si cela avait pu convenir à la façonnée, trop longtemps boudée par Jaerin, ça ne convenait pas à l’élue que tu es devenue.

Les récents évènements semblent tendre à prouver que tu n’es guère à la hauteur de ton rang, t’inclinant tristement face à un autre élu après avoir déguster une délicieuse part de tarte à l’humilité. Alors à la nouvelle, faiblarde, récente et vivide de l’apparition d’un nouvel élu, le vent semble tourner. Et ne plus être l’une des derniers nés de la couvée divine te fait te sentir mieux, même si c’est une façade rassurante à laquelle tu t’accroches. Mais tu ne viens pas pour celui-ci, mais pour te satisfaire, ta curiosité dans un premier lieu, le reste tu verras plus tard.

Tu es lente à apprendre mais tu apprends, et c’est là le plus important. Alors après cette inévitable leçon, te voilà de retour dans le royaume des cimes que tu préfères à celui des épées, même si tu n’es à ta place ni dans l’un ni dans l’autre. Visuellement trop humaine pour l’un, trop corrompue pour l’autre, trop dans le péché pour le troisième.. On va là où les gens veulent bien de nous après tout ?

Tu ères dans les allées de la bibliothèque en cette heure trop matinale pour prendre le risque de croiser qui que ce soit, parchemins, ouvrages ou livrets trop grands entre les mains, laissant à tes gardes le soin du rangement s’ils ne contiennent finalement pas ce que tu cherches. Attirant l'œil inévitablement, déjà tu es minuscule, tu ressembles au mieux à une très jolie humaine, tes ascendants n’ayant pas jugés utiles de marquer ton ascendance elfique ou céleste. Les pans de ta robe glissant sur le sol suffisament longue pour dissimuler tes pieds nus, soigneusement recouverte sept mètres de tissus composant ta toge liserée de rouge, cette bande de couleur ou se mêlent des brodures de fil d’or représententant quelques symboles chargés de représenter le pays que tu visites, l’entièreté de ta tenue étant d’un blanc éclatant. L’endroit étant désert, tu ne te donnes pas la peine de cacher la marque sur ta main, si elle n’était pas présente jamais l’on ne pourrait t’associer au péché, et certainement pas la luxure, tant tu dégages encore la chasteté dans laquelle tu es née. Tes longues boucles blonde laissées libres retombent sur tes épaules et dans ton dos, simplement ta tête surmontée de ta couronne de laurier, précieuse pièce d'orfèvrerie mêlant l’or et le végétal, tu as tressés entre les deux types de branches des fleurs nécrotiques d’un pourpre sombre et d’autres natives d’ici. En somme, tu rends honneur au pays acceptant de t’accueillir sans t’effacer pour autant.

Ici tu es minuscule et tu n’en voudras pas aux géants d’avoir bâti une cité adaptée pour eux, et même en te hissant sur la pointe des pieds tu peines à atteindre ce que tu désires dans cet immense bâtiment et bien trop de fierté pour demander à ta garde qui se tient soigneusement à distance, connaissant tes ires lorsque ton ego est plus froissé que tes brouillons. Tu finis par t’installer à une table devant une quantité d’ouvrages, il y a de tout, de l’histoire, de la littérature plus commune, de la poésie, des ouvrages culturels. N’étant pas d’ici, tu n’as pas accès à tous les ouvrages, mais ce que tu trouves semble te convenir.

Tu as commis quelques impairs malheureux, fautant par paresse lors de ta précédente visite ou même avec ta championne, mais il n’est jamais trop tard pour rattraper une faute.

Rapidement il n’y a ici plus que le bruit des pages qui se tournent, de tes doigts délicats glissant sur le papier des parchemins. Tu restes là, un certain temps à étudier, sous l’égide protectrice de ta garde qui finit par se disperser ne laissant à ton côté que ta lige, avant que quelque chose ne capte ton attention, sans que tu ne décolles tes mires dorées des écrits. Si bien que tu distingues à peine ce que c’est si ce n’est que ça passe suffisamment près pour être à portée d’une voix basse. Tâchant de te montrer polie. « Bonjour. » Dis-tu d’une petite voix concentrée.

Le cygne curieux observe silencieusement, de son air mutin naturel le draconide s’installer, prenant de toute évidence ses aises, mais ça ne gêne pas il y a sur cette table bien assez de place pour deux et voilà qu’il se met à coucher quelque chose sur le papier, tu ne regardes pas ce qu’il écrit, ça ne te concerne pas mais tu es intriguée, tu n’as pas eu l’occasion de fréquenter beaucoup de ces êtres-ci pour l’heure.

Tes yeux se lèvent de ta lecture lorsque la créature pose sa question, beaucoup se seraient indignés que l’on puisse douter de quelque chose d’aussi important, mais toi cela t’amuse, tu as l’habitude que tous soient remplis d'incertitudes à ton encontre. C’est comme un jeu, qu’est-ce que tu es vraiment et qu’est-ce que tu n’es pas ? Les réponses varient au gré de tes humeurs capricieuses mais aujourd’hui, grande chance pour le styrke tu es dans une excellente disposition. « Fort heureusement, oui, elle est vraie. » Lui accordant une réponse de ta voix douce et sucrée. Tu t’accoudes, la courbe de ta mâchoire prenant sa place tout naturellement sa place dans ta paume gauche. Penchant légèrement ta tête sur le côté à la façon d’un chat curieux, pensive quelques instants. Analysant le mâle face à toi, comme si tu avais la capacité de voir au travers, bien au-delà des chairs jusqu’à l’âme. Tu entreprends d’initier un jeu, en toute bienveillance pour l’heure. « Pour le reste, vous pouvez essayer de deviner. » Non pas que tu ais particulièrement honte de ce que tu incarnes, bien au contraire, simplement tu aimes savoir ce que les gens présument de toi, loin des clichés de ce que l’on peut imaginer sur ton manichéisme.

Sans doute es-tu trop habillée, avec un air encore innocent - quoi que partiellement feinté - et encore trop marquée par la chasteté pour être à l’image de la Luxure, seul l’emplacement de la marque signe que tu incarnes un péché.

Puis tu te replonges dans tes lectures, attendant simplement la prochaine vague de questions, tu sens qu’il se questionne, et il n’y a aucun mal à cela. De ta main droite, tu grattes quelques notes sur un parchemin vierge, n’ayant pas besoin de prêter attention à ton écriture, qui est irréprochable même sans avoir le nez dessus. Puis tu te rends compte que tu as oublié de te présenter, l’or se pose de nouveau sur la créature reptilienne. « Órfhlaith, enchanté. » Tu te présentes sobrement, bien loin des titres grandiloquents que l’on peut attendre d’un élu.

D’ordinaire tu te montres plus méfiante, encore plus avec ceux qui te dépassent de plus d’une tête, et il faut dire qu’elle a affaire avec un sacré grand garçon. Mais cela ne te refroidit pas, d’autant que tu es seule depuis un certain temps et que tu souhaites un peu de compagnie.

Posez-lui la question il y a trois siècles, elle vous aurait répondu que les péchés sont une aberration qui ne verront jamais le jour, en jeune métisse issue de bonne famille, aimée par son père et les siens, dans un monde qui ne connaissait pas encore la corruption. Alors qu’elle était encore une servante dévouée de la Chasteté. Maintenant les choses sont bien différentes, d’une part parce que ta foi a grandi avec ta découverte de la Luxure, jusqu’à devenir une créature exaltée par cette dernière, jusqu’à lui laisser un total contrôle sur ton être.

L’idée d’être une fille de la diligence te fait rire de bon cœur, il y a longtemps oui, peut-être.. Devinant aisément la plaisanterie, tu surenchéris sur cette dernière. « Il est vrai que j’adore rendre service et le travail bien accompli, j’appartenais bien à une vertu autrefois, mais pas celle-ci. » Quant au reste, est-ce qu’il vient réellement de deviner ce que tu as mangé ce matin ? Va savoir s’il n’est pas capable de sentir d’autres choses.. Enfin.

Oh, l’Avarice n’aurait probablement pas aimé la comparaison, sans aucun doute. Un petit rire nerveux s’échappe de ta gorge. Tu semble t’amuser d’être percée si aisément à jour, ce genre de jeu te plaît, toute puérile que tu puisses être. Te dévoilant être bien plus solaire que ce que l’on pourrait s’attendre d’une dépéris vivant sous la lune de sang permanente d’Ananda, il faut dire que tu n’as pas non l’air typique de la faune locale.. Ton pays est bien triste à présent, et toi avec tes doux airs d’enfant de l’été et ce physique de poupée, tu détonnes inévitablement dans ces paysages désolés.

Tu lui concèdes cette victoire avec une facilité déconcertante, c’est qu’il a du flair le grand garçon. « Très bien vu. Et je prends simplement celle que je veux ! » Pas ce qui est le meilleur pour toi, le plus utile ou même le plus simple. Et à en juger par ceux qui t’entourent, pas même le plus beau ou le plus agréable à l'œil et souvent le pourquoi du comment t’échappe. Simplement tu te contentes de prendre ce que tu désires, et tu n’as que ça en tête jusqu’à l’accomplissement de ce caprice souvent peu nécessaire.

Et voilà une nouvelle question, elle dépose sa plume et retire sa couronne, caressant du bout des doigts les pétales, lui laissant observer de plus près. « Les fleurs ? Ce sont simplement des fleurs nécrotiques, mais n’ayez crainte mon brave, entre des mains bien intentionnées ce ne sont guère plus que des fleurs comme les autres. Mais à ma connaissance elle ne poussent que dans de rares endroits à Ananda. » Mais peut-être qu’il en attendait un peu plus, mais comme tu sembles être face à une créature un peu simple et naïve, tu préfères éviter de t’aventurer sur le chemin houleux des choses touchant à la nécromancie et à la corruption, ces deux sujets étant parfaitement houleux qu’importe l’endroit où tu te rends. « Elles ont l’avantage de ne jamais faner et leurs pétales repoussent lorsqu’ils sont arrachés même une fois coupées, c’est pour cela que je m’en sers dans mes couronnes. » Une question de pure praticité, et puis il faut aussi dire que les jolies fleurs dignes de trôner au-dessus de ta tête ne sont clairement pas légion dans le royaume des marais, quand aux autres fleurs, simplement achetées la veille à une jeune fleuriste qui était loin d’être désagréable à l’œil.

Qui serait assez fou pour visiter cette terre de corruption, tu en connais quelques uns.. Et certains sont même chers à ton cœur. « Il n’y a rien de bon là-bas, je ne vais pas vous en faire la publicité, c’est pour cela que j’aime tant venir ici. Même si ce n’est que la deuxième fois, ici il y a du soleil. » Badiner de cette manière semble te faire un peu de bien.

Voilà la nouvelle suite de questions auxquelles tu sembles ravie de répondre, tes jambes se balançant joyeusement sous la table. « C’est l’accomplissement d’une vie, c’était quelque chose que j’ai attendu très longtemps puisque je fais partie de la première génération de façonnés, avec tout le bien que cela m’a apporté. Je n’attendais même plus que Jaerin accepte de poser son regard sur moi alors qu’elle m’a ignoré tant de temps. » Il y a soixante-quinze ans, une véritable épreuve de patience, décidément cette Patience qui se glisse toujours sur ton chemin, entre la runomancienne et ton attente. Mais lorsque tu as failli abandonner, quittant ta tour d’ivoire, la déesse capricieuse t’as rappelé à elle, et t’as conduite sur ta destinée. « Je pensais que ce serait facile, parce que j’ai eu tout le temps d’apprendre, j’ai été un peu naïve. » Tu enroules une boucle dorée autour de ton index, réfléchissant encore un peu. « Mais je suis inquiète, risquer chaque jour le déshonneur d’avoir déplu ou simplement l’éventualité d’être tué. » Quand l’on connaît le sort de ta prédécesseur il y a de quoi se faire un sang d’encre, oui.

« Pourquoi quatorze et pas seulement sept ? » Ta sentence s’apprête à tomber, inévitable et froide. « Parce que l’Homme ne se satisfait jamais de ce qu’il possède et que dans son immense cupidité et sa soif de pouvoir nous avons défier les dieux et à présent ils ne peuvent plus faire un pas vers nous. Puisque la corruption se nourrit de nos fautes et que ce monde est à présent presque entièrement corrompu. » Puis dans un soupir, loin de tout ce pessimisme tu ajoutes : « Les choses auraient été différentes s’il était possible changer le cœur des hommes et des femmes. » Mais c’est une chose impossible, alors pour toi la suite est toute vue : la corruption gagnera, inévitablement. Tu connais l’Homme et ses travers et à présent tu les repends comme une traînée de poudre sur ton passage.

« J’ai connu ce monde sans corruption et je le regrette autant qu’il me manque, mais à présent nous sommes là et il va bien falloir faire avec. » Tu ne peux pas t’écarter du péché, tu en fais parti, tu es le troisième pire d’après le classement obscur d’un prêtre quelconque après l’Orgueil et l’Avarice, il paraîtrait que ce classement à été fondé la notion de mal causé à la société, et cette pensée t’arrache un sourire.  « Cependant le sort d’Arathia m’importe peu à présent, nous avons été beaucoup à être sauvagement rejetés lorsque les déchéances ont commencées à frapper. » Tu as aimé ce monde, à présent tu n’en ressens que le contraire - et ce n’est pas la haine - : de l’indifférence, tu n’as plus aucune chaleur à son égard. Toi qui avais eu une vie facile, aimée par ton père et les tiens, sous l’égide bienveillante de la chasteté et même dans sa prêtrise. La déchéance fut ton premier contact négatif, et le plus rude de ton existence. Au rejet tu n’as pu que répondre le rejet.

Comment pourrais-tu expliquer à un novice quelque chose d’aussi complexe et pluriel que la Luxure ? Tu fais le choix de la simplicité, une fois encore. Tu affiches une moue pensive, il est difficile de donner une définition universelle. « La Luxure est un penchant immodéré pour le contentement physique et sensoriel, incluant les plaisirs considérées comme immoraux ainsi que la dégradation des liens sociaux au profit de soi-même. » Tu ne pouvais pas faire mieux, sans aborder de manière plus personnelle et dévoiler ton intimité à ce parfait inconnu. « C’est l’Amour lorsqu’il ne veut aucun bien à l’Autre. C’est ce que je dis à mes élèves. » L’amour ça ne te parle pas, tu ne l’as jamais ressenti, seulement lu, c’est une notion floue, abstraite, incompréhensible et surtout hors de portée, pour pouvoir aimer il te faudrait des qualités que tu ne possèdes pas. C’est pour cela que tu te gorges jusqu’à plus soif de romans à l’eau de rose, pour te nourrir de cette chose hors d’atteinte. Et c’est le fait que tu ne puisses la toucher qui la rend si désirable à tes yeux.

Quant à la raison de ta venue ici, elle a été soumise par l’un des nombreux caprices de la Luxure, tu fais toujours ce qu’elle te souffle. « J’ai entendu la rumeur de l'arrivée d’un nouvel élu, je voulais voir ce qu’il en était mais finalement je ne me sens pas très courageuse d’aborder quelqu’un d’aussi important sans motif valable, ce serait un peu gênant d’attraper quelqu’un au saut du lit en s’imposant sans savoir si l’on est désiré, non ? » C’était un caprice que tu avais enrobé de miel pour que ta suite te ramène ici aussi rapidement et tu avais espoir de retrouver ta douce championne.

Et pourtant même si tu rejetais tout ce pays de ton cœur froid, tu en fais partie et maintenant plus que jamais, ton sang a été de ceux gâchés par la première calamité, rejoignant les rangs de ceux qui n’ont pas pu résister à la corruption. Même si tu as quelquefois tenté de jouer sur le mensonge, nourrissant les oreilles de ton père de pieux mensonges, faisant mine de celle qui n’était pas affectée par l’état du monde. Pendant longtemps à te fermer les yeux et les oreilles pour faire durer l’illusion, de ne pas faire partie du problème. Puis tu as disparu sans laisser de trace ni de quoi remplir une tombe, trop seule d’avoir été rejetée par tous et trop honteuse pour faire autrement. Maintenant le fait d’y être liée par ton statut te remplit d’une amertume que tu peines à contenir. Oui, il y a une faune et une flore prodigieuse, mais corrompue et dangereuse, et ça ne suffit pas à rattraper toutes les horreurs, pour celle qui était une enfant de l’été à présent condamnée à une nuit écarlate éternelle, Ananda sonne comme un héraut du malheur..

Le fait qu’il te pose ces questions te pousse d’une façon à l’introspection, tu réfléchis au rythme qu’il t’impose, mais intérieurement ta réflexion ne s’arrête pas là et les plans sur la comète fusent. Vous savez, les fameux et si.. Le reste n’ayant guère été plus glorieux que le commencement, tu finis par chasser ces pensées de ton esprit dans un soupir léger. Tes yeux se posant de nouveau sur ton interlocuteur. « Oui, un désir intense, excessif et incontrôlé. » Sans pour autant être un animal, cela te définit bien, même si le désir existe sans la Luxure, celui que tu te dois d’incarner est profondément différent, car comme tous les péchés ou les vertus il est exacerbé, poussé à son pire extrême.

« J’étais quelqu’un avant d’être la Luxure, vous savez. » Dis-tu avec bien peu de conviction, connaissant la vérité. Même si à présent il ne reste plus grand-chose de toi, ce que tu as pu être à été soigneusement déconstruit pour servir au mieu les nouveaux caprices de la Déesse. Même si tu y restes profondément attachée, ça ne vaut plus rien aujourd’hui.

Tu observes son intrigant manège, aussi impatiente qu’une gamine le jour de son anniversaire, il sait te maintenir attentive et en haleine, face à ce qu’il te prépare. Une première mitaine s’enlève, rien, comme tu t’y attendais, puis il te fait encore une fois attendre, d’un geste la seconde ceci dit fait briller tes yeux dorés comme la flamme d’une bougie. « Et vous vous moquez ! » Tu fais mine d’être fâchée, mais au fond tu es morte de honte de t’être laissée berner aussi aisément, les joues fardées de rose, puis tu t’écroules de rire à ton tour, sur la table, ta chevelure blonde étalée autour de toi. Parce que la situation est tout bonnement ridicule, entre toi naïve à souhait qui ne se doute de rien et lui qui joue le jeu de celui qui ne sait pas et te mène droit dans le mur, il y a de quoi prêter à rire et ce en toute bienveillance.

Reprenant un peu de contenance tu te redresses, regardant autour de toi pour ne pas ne pas replonger dans ton fou rire, ça ne t’arrive pas très souvent de rire de cette manière. Pour ne pas dire pratiquement jamais. « Vous êtes ma première vertu. » Et quelle expérience, tu étais sûre avant cela que l’une d’entre elle te repousserait irrémédiablement, à cause de ta nature, de ta corruption, puis de tout le reste.

Puis dans un geste solennel tu lui offres ta main gauche marquée. « Enchanté, cher frère. » Il n’est pas vraiment question de fraternité par le sang, mais de l’être par la tâche qui vous incombe.

Tu n’y vois aucune insulte, simplement cela te fait rire, tout naturellement, tu as été naïve et punie pour ton manque de vision, rien de plus, rien de grave. « Il vous en faudra plus pour me blesser et je vous en remercie, je n’ai pas souvent l’occasion d’en rire. » Reprenant tout de même un semblant de contenance.

Les mots vont parfois plus vite que ta pensée, un frère tu ne sais pas vraiment ce que c’est, en parfaite fille unique, un frère d’arme tu ne sais pas vraiment ce que cela signifie, tu n’es pas une combattante mais une artiste, une philosophe peut-être, celle qui couronne de laurier le vainqueur et rien d’autre.

Tes jambes s’agitent quelques secondes dans le vide, percevant ce malaise bien involontaire de ta part, sans que tu ne te sentes particulièrement gênée. « Sans doute un peu prématuré de ma part. » Même assez typique de ton impatience naturelle, tu veux tout, tout de suite, ce pauvre malheureux ne déroge pas à cette règle, mais au moins a-t-il su te recadrer avec délicatesse. Tu prends soin de mâcher davantage tes mots, mais par chance, un nouveau sujet de discussion se glisse naturellement sur la table.

« J’ai rencontré l’Avarice, c’était assez intimidant. Les humains peuvent être particulièrement terrifiants lorsqu’ils sont déterminés, ils vivent si peu longtemps que leur volonté devient aisément une forme de violence. Et j’entretiens une correspondance avec la Paresse, sans doute ma prochaine destination. Et ils sont exactement comme l’on pourrait s’y attendre : fidèles à ce qu’ils se doivent d’incarner. Mais ils ont tous deux de précieux conseils. » Pourtant nul ne peut se résumer à son manichéisme même pour les élus, vous étiez des individus à part entière avant cela, et même si la croyante en toi espère se fondre parfaitement dans le rôle, il faut que tu le fasse à ta main, même si tu tâtonnes encore de savoir comment. « Mais je crains bien plus la patience, pour des raisons qui me sont propres. » Il n’y a rien de négatif derrière ces mots. À cette pensée tu ne peux t’empêcher de lever les yeux au ciel, presque inconsciemment mais tu affiches un sourire timide aux bords des lèvres qui signifie que ce n’est pas un problème. La patience est au final ton adversaire le plus farouche à l’heure actuelle, mais par chance, tes proches dans leurs infinis non-sens savent te tenir la bride haute pour ne pas que ton ardeur achève de te consumer.

Il t’offre la possibilité de l’interroger à son tour, comptant bien la saisir sans attendre. « Je suis curieuse de savoir comment vous vivez votre élection, j’imagine qu’il est difficile d’endosser un rôle pour lequel l’on ne peut être vraiment préparé. » Tu as envie de voir ce qui se cache sous le verni du patient qui te fait face, toujours avec bienveillance.