Les petites oreilles sur sa tête frétillent alors que l'elfe lui sert de doux mots sur son apparence. Elle les efface d'un geste de la main et reprend une gorgée, puis une autre à son verre. Mais ses mots ne sont pas tombés dans l'oreille d'une sourde, on dirait même que ses joues se teintent de rose, la faute à l'alcool dira-t-elle. Et puis il la remercie, propose même une deuxième tournée. Pourquoi pas après tout ? Il réussi même à la faire rire, un vrai, franc. La victoire hein ? Elle sait se battre même avec quelques verres dans le sang, mais ça peut toujours être drôle de voir jusqu'où il peut aller. On la dirait changée, désentravée là où ils se trouvent.

— Populaire ... Je ne dirais pas ça, ceux qui me connaissent bien savent bien à quel point je peux être destructrice. Gagner dans l'arène c'est une chose, détruire le monde à l'extérieur en est une autre.

Elle baisse les yeux dans son verre, fait tourner le liquide avec un petit sourire.

— On m'évite le plus souvent, sauf ici, c'est un peu ma cachette secrète.

Elle redresse le regard et le fixe dans le sien, perd son sourire. Oh oui elle peut être adulée dans l'arène, mais beaucoup connaissent son malheureux passé. Tous ou presque savent que la petite du clan Lê a été vendue, enfin, personne n'ose le dire à voix haute. Tous des couards.

— M'enfin. J'imagine que tu as dû entendre pas mal de trucs depuis que tu es arrivé. Et tu sais quoi l'elfe ? Je suis sûre que la majorité est vraie.

La renarde tente encore une fois de lui faire peur, de le faire fuir. Avec l'alcool ses défenses ne feront que baisser au fil de la soirée. Alors s'il décide tout de même de continuer à la voir comme une guerrière belle et forte, au lieu du démon à queue qu'elle est, ce sera son choix. Mais elle ne s'attachera pas. Il est hors de question de perdre quelqu'un de plus. Elle fronce les sourcils devant ses idées noires qui reviennent la hanter. Luyên termine son verre en quatrième vitesse, être ivre ne l'aidera certainement pas à gagner, mais au moins elle réfléchira moins. Tiens, d'ailleurs elle ne connaît toujours pas son prénom, peut-être qu'elle lui demandera s'il ne se décide pas à le lui dire. Oui c'est une bonne idée. Elle le regarde à la dérobée, se demande ce que ça ferait de nouveau d'avoir des sentiments pour quelqu'un. S'imagine être une fille normale, avoir des rendez-vous avec lui. Il pourrait lui plaire après tout avec ses mèches blondes qui encadrent son visage d'ange. Il pourrait faire craquer la carapace de son cœur. Sauf qu'elle n'est pas normale, son destin est constellé de cendres, le feu passe sur son chemin, dévore tout sur son passage.

Luyên n'a pas le cœur de lui annoncer que c'est ici qu'elle vient affronter la plupart de ses concourants, ne se sent pas d'humeur à casser les espoirs du grand blond. Alors elle ne dit rien, se contente de hausser les épaules alors qu'il lui annonce qu'il n'écoute pas ce qu'on dit sur elle. Oh bien entendu, elle le regarde à la dérobée comme pour vérifier qu'il dit la vérité, se sent écoutée alors que ça faisait bien trop longtemps qu'on avait pas fait attention à elle comme ça. L'alcool bu trop vite lui fait déjà tourner la tête, elle laisse la brume s'emparer de son esprit et se dit que ce serait chouette d'au moins avoir un ami comme lui. Bien entendu le visage du maître s'imprime dans son esprit et elle secoue la tête pour se réveiller.

— Va pour une autre, merci.

La renarde pose les yeux sur la table, l'espace qui les sépare et se dit que c'est bien ainsi.

— Ce que je désire entreprendre ... Comme si j'avais le choix de quelque chose.

Elle fronce les sourcils alors que la colère revient au galop, frétille sous sa peau. Elle attrape le nouveau verre qu'on lui apporte, noie son chagrin dans le liquide ambré. Il vient de lui rappeler qu'elle n'a aucun choix hormis celui de se battre. S'améliorer toujours et encore plus pour plaire à ceux qui l'ont achetée. Quelle est misérable. Avec fracas elle pose sa chope sur la table, la heurte avec violence, faisant éclabousser la bière. Le poing fermé sur l'anse, les oreilles colées sur la tête elle darde son regard de haine sur le pauvre elfe.

— Premièrement tu vas arrêter de me vouvoyer. Je ne suis pas une dame, je ne suis qu'une pauvre nana qu'on appelle gladiatrice. Deuxièmement j'ai très envie de t'en mettre une, mais avant je dois au moins connaître ton nom. On sait jamais, si je dois donner ton nom au gérant parce que tu as perdu connaissa- ...

Elle baisse les yeux sur ses poings fermés, s'arrête en plein milieu de sa phrase et se passe une main devant le visage. Peut-être l'alcool qui lui rend les idées brumeuses, mais elle voit bien que le blond n'est pour rien à la misère de sa condition. Des larmes de colères dévalent ses joues, qu'elle se dépêche d'étaler un peu plus sur sa peau rosée. Et elle lève de nouveau des yeux emplis de colère sur lui. Oh si jamais il se la joue chevalier et décide de la prendre en pitié, elle lui fera manger ses doigts.

La jeune femme écoute, la main toujours serrée sur son verre. Il se présente, ne dit rien par rapport à ses larmes qui ont coulées discrètement et sa colère retombe. Oh pas complètement bien sûr, elle court sous sa peau, s'apprête toujours à déchirer la surface pour éclater à nouveau. Mais elle n'a rien pour rebondir, Nora esquive le piège et boit dans sa nouvelle choppe. Puis il lui propose de manger quelque chose avec. Elle secoue la tête, autant pour lui montrer qu'elle n'est pas irritée et qu'elle ne veut rien à manger. Oh il faut dire que la nourriture n'est pas quelque chose qui l'attire, c'est plus une obligation qu'autre chose. Le silence s'insinue entre eux deux, la renarde préfère l'observer alors qu'il semble perdu dans ses pensées. Elle relâche enfin sa main et l'essuie contre elle, retirant l'éclaboussure qu'elle avait provoqué. Et le voilà avec d'autres questions qui font gronder de nouveau sa rancoeur.

— Mes parents m'ont mise sous la protection du maître pour qu'il fasse de moi la nouvelle gagnante de l'Ordalie des cendres.

Elle ricane à cette phrase, l'idée semble l'amuser. Amère.

— Enfin, c'est ce qu'ils ont raconté pour ne pas perdre la face. La vérité c'est qu'ils m'ont vendue pour que je ne puisse pas apparaître devant ma chère mère. Une opportunité s'est présentée, c'était trop beau pour eux. Je n'ai aucun choix, je dois gagner.

Elle serre les dents, incapable de détourner son regard des beaux yeux bleus en face d'elle. Si seulement elle pouvait se confier, lui raconter toujours plus de choses sur elle. Mais plus elle passera de temps avec lui, plus il aura de chance de mourir, une lame plantée en travers de la gorge. Une image qui revient souvent devant ses yeux, qu'elle chasse en continuant.

— Ta dame n'est qu'une esclave sans vie, un pantin qui détruit tout ce qu'il touche. Même la vie m'a désertée, je ne suis qu'une coquille vide qui avance uniquement pour un seul but.

La destruction.
Oh mais elle ne compte pas lui dire qu'elle veut saboter l'Ordalie. Qu'elle compte tout faire exploser, emporter le plus de monde avec elle après sa victoire. Un beau feu d'artifice pour terminer. Le clou du spectacle. Alors que Luyên se perd dans ses pensées de cataclysme, elle mouille ses lèvres dans le liquide ambrée et vient lécher d'un coup de langue pour récupérer l'alcool.

Luyên observe Nora, elle ne quitte pas des yeux son bras en mouvement alors qu'il pose doucement près d'elle un morceau de tissu. Elle se détourne et décide de ne pas y toucher. Ne pas se reposer sur lui d'une certaine façon. La renarde ne peut pas, ne veut pas espérer quelque chose. Si elle se laisse aller et qu'une fois encore on détruit son bonheur, elle sait très bien qu'elle explosera. Elle ne pourra en supporter plus, l'explosion de sa colère pourrait être dévastatrice, autant pour ceux qui lui ont fait du mal que pour elle-même. L'auto destruction. Pourtant la jeune femme voudrait être comme tout le monde, pourvoir espérer rire et souffrir auprès de quelqu'un. Mais le monde est ainsi fait, traitre et dangereux.
Partir ?
Où qu'elle ira, elle ne sera jamais à l'abri. Oh oui il a raison, elle sait se battre, pourrait tuer tout ceux qui les approcherons. Mais est-ce une vie que de fuir le reste du temps qu'il leur reste ? Ne jamais pouvoir se reposer, toujours être sur ses gardes. Ne faire confiance à personne.

— Ne t'engage pas dans quelque chose que tu pourrais regretter.

La renarde se lève, brosse de ses doigts ses cheveux en jetant un coup d'œil au blond. Son sang s'échauffe, il faut qu'elle bouge, qu'elle s'active pour relâcher la pression accumulée.

— Tu lâcherais ta vie entière juste pour moi ? Pour une femme dont tu ne connais pas grand chose ? Tu mettrais ta vie en jeu pour mes beaux yeux ?

Elle ricane mais détourne le regard pour ne pas qu'il y puisse voir le peu d'espoir qui y flotte. A force de parler avec lui, la voilà qui commence à devenir fleur bleue ? Ah ! N'importe quoi. Luyên pointe la porte qui mène à l'arrière salle, celle qu'elle peut utiliser pour se battre.

— Alors montre moi ce que tu as dans le ventre, Nora.

Le verre abandonné sur la table, elle ne l'attend pas pour se diriger vers la porte, passe devant le comptoir en faisant signe au gérant pour le tenir au courant. Et elle entre dans son arène. Abandonne sa veste par terre et laisse ses épaules dénudées, qu'elle fait rouler pour s'échauffer. Oh qu'il se tienne bien car au premier pas sur le plancher, elle se jetera sur lui. Oh pas comme une amante mais au contraire, puissante.

Les mots de l'elfe tournent et retournent affreusement dans sa tête. Peut-être qu'il a raison, peut-être qu'elle pourrait se laisse tenter ? Prise dans la tourmente que seuls des mots forts peuvent créer, Luyên rate le moment parfait pour frapper. Ou alors est-ce parce qu'elle est sous l'emprise de l'alcool, une infime quantité ralenti le métabolisme, alors les réflexes ... Toujours est- il qu'elle lance son pied vers le flanc du blond mais elle le rate de peu. Elle l'effleure et comme ça la contrarie, elle fronce les sourcils alors qu'elle est tout près de lui. Elle ne se laisse pas abattre, lui fauche les jambes mais il la surprend, bondit pour se mettre hors de sa portée.

— Tu fuis mon beau blondinet ?

Un sourire carnassier étire ses lèvres alors qu'elle se redresse et qu'elle fait rouler les muscles de ses épaules. D'accord elle pensait pouvoir l'avoir rapidement. Finalement, est-ce que ce combat va valoir le coup ? Est-ce que la renarde va s'amuser à le titiller jusqu'à sa chute ? Elle n'émet pas le moindre doute sur sa victoire mais est-ce que c'est elle qui finira le dos au sol ? Toujours est-il que cette fois elle prend son temps, se met en position de combat et tourne dans la pièce, le garde bien en vue. D'ailleurs celle-ci ressemble vraiment à une arène. Circulaire, seulement quelques chaises ici et là. Et bien évidemment des curieux qui ont pris place contre les murs pour rire et partager de l'alcool, pariant sur le vainqueur.

Elle laisse leur discussion derrière elle et se focalise sur son adversaire. Elle feinte, lui tourne autour et quand il ne s'y attend pas, elle plonge vers lui, prédatrice. La renarde envoie son coude vers le plexus solaire de Nora.

Elle s'amuse comme une folle. Luyên loupe Nora une fois de plus mais c'est sans compter le sourire qui s'étire sur ses lèvres, l'alcool rendant son regard humide. Oh mais pas de tristesse, on dirait que ses yeux brillent d'une joie intense. Comme elle aime se battre, elle adore avoir le dessus, mais pas trop vite. La renarde est joueuse et voir sa proie se défiler la rend fébrile. L'elfe la repousse et sous le coup de l'étonnement elle tombe en arrière. Oh rien de grave en une roulade elle se redresse comme si de rien n'était. Mais son adversaire a le temps de sortir une arme étonnante, assez inattendue pour la surprendre de par sa trajectoire inhabituelle. Elle a déjà pu en voir mais pas assez pour éviter complètement l'arme qui vient la frapper au niveau de son épaule gauche. Le bruit du choc se fait entendre et comme réponse à sa précédente phrase, elle grogne. Oh elle n'aime pas qu'il ai pu porter le premier coup, d'habitude c'est elle même qui le fait.

— Oh tu ne me connais pas assez bien encore, j'attrape toujours ma proie, surtout si elle est appétissante comme toi.

Avec un rire, elle se jette de nouveau en avant avec une certaine grâce. Mais avant d'arriver près de lui, Luyên se laisse comme tomber au sol. Avant d'atteindre le plancher ce n'est plus une femme mais une belle renarde qui pose ses pattes par terre. Cependant ce n'est pas un renard comme les autres, son pelage prismatique attire l'œil et sa plus grande taille que son cousin le désignent comme le Cáo Vân. La course de l'animal ne s'arrête pas là, bien au contraire. Sous cette forme, elle est un peu plus rapide, elle en profite pour se glisser dans son dos et après une nouvelle esquive de Nora, la renarde saute plonge ses crocs dans la peau tendre de son épaule. Oh elle n'ira pas le faire trop saigner, le but n'est pas qu'il se vide de son sang, elle appose juste de sa marque. Reprenant sa forme humaine elle passe une main dans sa nuque, restant au contact de son dos, lui laissant le loisir de contre attaquer.

— N'oublie pas, je rend coup sur coup. Ca c'est pour mon épaule, tu vas me laisser un beau bleu.