Amaryllis s'était préparée, l'esprit tranquille, largement à l'heure. Puis avait fait un tour de la ville souterraine, une ville appréciable à ses yeux. Le royaume était critiquable, comme tous, mais la ville n'en était pas moins l'une des destinations préférées de la mercenaire. C'était d'ailleurs le devoir qui l'appelait ici, en tant que membre d'Ouroboros. Elle avait laissé le gros de ses affaires dans son logement temporaire, dont un arc, une épée, et les pièces d'armures les plus encombrantes, laissant simplement son plastron, une protection d'avant-bras, et des grèves. Sous les pièces de métal bien rangées, une tenue formelle, un pantalon et une veste mi-longue. Un simple glaive ornait sa taille, en cas de soucis. Elle avait bien entendu la sacoche de parchemin ne la quittant jamais, permettant d'utiliser sa magie. Sa démarche accéléra un peu pour arriver à l'heure prévue.

Le lieu de rendez-vous, un petit restaurant inconnu d'Amaryllis, n'était pas une surprise, il s'agissait d'un déjeuner avec le plus grand spécialiste de ces choses. Il était naturel que l'élu, incarnation de la gourmandise, en sache plus qu'elle. Cela faisait de longues années qu'ils se connaissaient, les deux étant désormais à un âge avancé, et surtout, le gourmet étant de la première génération d'élu. Il y avait une sorte de confort installé entre les deux, à force de se côtoyer de manière cordiale. La céleste aimait faire de son mieux pour entretenir une relation agréable, quitte à être nécessaire l'un à l'autre. A ses yeux, elle ne pouvait se permettre de déplaire à un protégé, où leur coopération en pâtirait.

Bien qu'elle était ici en tant que mercenaire pour planifier les détails du voyage de l'intéressé, et sa sécurité, cela faisait bien plus longtemps qu'elle connaissait Xu Ming. Elle se rappelait encore avoir lu et suivi son guide gastronomique, visitant de prestigieuses adresses autant que de petits restaurants à quelques couverts seulement. C'était un des aspects plaisants des voyages de l'ange.

Arrivée dans la rue en question, dans le quartier artisanal, elle scruta les devantures, pour trouver une petite devanture à rideaux, d'où l'on pouvait voir l'élu déjà assis au comptoir. Elle n'eut nul doute que le gourmet avait déjà commencé, à vrai dire, c'était peut-être mieux ainsi, il serait plus disposé à discuter une fois un plat consommé.

S'approchant sans mouvement brusque, les ailes repliées, elle souleva le petit rideau pendant au toit, pour s'installer à la place adjacente à Xu Ming. Elle déposa de côté un petit présent qu'elle avait prévu, un petit sac au tissu coquet contenant de doux biscuits traditionnels de Fang. Nul doute qu'il connaissait autant les douceurs que l'adresse d'où elles provenaient. Lui offrir cette sucrerie était toutefois une attention courtoise à l'attention de l'homme maudit.

- Bonjour, Monsieur Ming. Comment vous portez-vous ?

Elle glisse le présent du côté de son interlocuteur de manière naturelle, ne voulant pas couper sa réponse.

Habituée à le rencontrer, elle se dit que ce ne serait pas une mauvaise idée que de commander son bol et manger elle aussi. Elle fit de cette manière, commandant une soupe à base de sève de fruit inondé et fournit de miradals provenant directement d'Al'Malaq par l'intermédiaire des CCI. Nul doute que le sucré-salé de la soupe et des nouilles serait réussi, dans une adresse conseillée par Monsieur Ming.

Le cuisinier acquiesça, prenant note de la commande, s'effaçant pour s'activer aux fourneaux.

Elle fut assurée dans sa commande par l'homme, confirmant que c'était un bon choix. Et tandis qu'elle attendait son bol, elle l'écoutait parler de son projet de voyage. Al'Malaq n'était assurément pas la porte à côté. Et celui-ci avait bien résumé les divers problèmes. Aucun trajet ne pouvait complètement plaire à l'élu de la gourmandise. Dans le cas d'un élu béni, le trajet aurait été très simple, mais Cerah empêchait cela. Une nation qui n'aime pas les maudits. Peu les aime réellement, mais certaines les tolèrent très bien. Au delà d'un trajet plaisant, les terres sauvages des forêts seraient un itinéraire compliqué.

Il but son bol avant de continuer. Il était vrai que le voyage serait long, d'un bout à l'autre d'Arathia. Sa remarque à propos des Ouroboros et d'un temps moins sûr arracha un sourire à Amaryllis, Ronan serait sûrement satisfait d'entendre ça. Elle recevait son bol, bien fourni, et rempli de longues nouilles. Elle entama son repas, tout en réfléchissant aux itinéraires.

- Il est vrai que voyager reste compliqué, même durant cette pseudo-trêve. Que pensez-vous de passer par la voie aquatique, en empruntant les rivières au départ de l'Orée d'Emeraude, vous auriez le choix d'une escale discrète à la Tour Galate ou à Avalon, pour embarquer pour Al'Malaq.

La céleste mange encore de son plat, appréciant le goût fin que le cuisinier à su donner. C'est un plat remplissant, et ce bol lui suffira amplement. Elle reprend ensuite.

- Vous avez raison, la Tour Galate n'est guère plaisante, mais peu importe où, les royaumes ont pour responsabilité de vous accueillir correctement. Enfin. Je ne peux vous cacher que la perspective d'un passage à Avalon est plus réjouissante. Selon la durée de votre escale, vous pourriez goûter à des mets frais de la côte.

Cette précision sur Avalon visait à ajouter un intérêt, une dimension plaisante, à l'itinéraire réfléchi, qu'elle pensait le plus sûr. Elle l'avait elle-même emprunté. Plus que tout, les compagnons de voyage de l'élu, s'il en aurait, seraient de grande importance. Un cuisinier itinérant de premier ordre serait souhaitable, et quelqu'un capable de protéger monsieur Ming. Elle arriva à la fin de son bol, laissant encore le bouillon à boire, tout en pensant.

Elle fut satisfaite d'avoir réussi à convaincre l'élu. Taisant tout de même le risque que représentent les pirates autour d'Avalon. C'était un problème moindre comparé à Ananda. Il faudrait faire avec, en prévoyant une escorte au départ d'Avalon. Soit par Ouroboros, soit en faisant recours à la participation d'Arvandor. Même si Monsieur Ming n'était guère leur élu représentant, les choisis au statut quasi divin pouvaient tout de même bénéficier d'une escorte officielle, un bon discours pour rappeler aux inconscients l'âge du désespoir suffisant à démontrer l'importance des élus. Pensant à comment aborder le problème avec son interlocuteur, elle est coupée par l'arrivée de deux passants au comptoir. La foule s'est clairsemée et le flux se raréfia. Restait ces deux-là, qui zieutaient l'élu avec une discrétion feinte.

Amaryllis ne put s'empêcher de déposer le bol qu'elle s'apprétait à boire, pour déposer une main sur la garde de son épée. Une épée courte, ressemblant à un glaive, quelque chose d'adapté si le besoin de combattre en pleine ville se fait sentir. l'Elu prévient la céleste, il ne faut pas s'inquiéter. Amaryllis reste sur ses gardes, c'est son métier, et son intuition lui crie que de simples curieux ne jetteraient pas des regards entrecoupés de messes basses de cette manière.

- Je ne pense pas, les nouilles m'ont suffit, par cette chaleur. Je ne suis pas assez habituée au climat.

Il suffirait qu'elle fasse mine de boire, d'avoir un angle mort, pour que les curieux se révèlent assassins. Et tandis qu'elle s'excuse au cuisinier de ne pas faire honneur à son bouillon, autant par égard à l'artiste culinaire qu'à son protégé, elle finit par déceler un mouvement des suspects, profitant qu'elle se tourne.

L'éclat d'une dague de son côté, la main gantée d'Amaryllis se saisit aisément de la base de la lame, pour ensuite venir tordre le poignet adverse d'un mouvement de l'autre main. Elle se redresse, poussant son tabouret d'un mouvement de jambe. La femme souffre d'une bonne douleur au poignet, la mercenaire se saisit de sa dague pour menacer sa gorge, à l'attention de son compagon au luth, qui s'est levé. Le regard de l'Ourobors transperce l'homme, un mouvement et la vie de l'attaquante sera en danger.

- Pas un geste. Je n'hésiterai pas. Qui êtes-vous ?

Elle est consciente que certaines factions en veulent aux élus, leur existence. Et peut-être que d'autres factions en veulent à Monsieur Ming plus personnellement, histoire politique éventuellement. Le second cas serait peut-être plus vraisemblable. Amaryllis refuse de croire que des individus voulant du mal aux élus dans leur ensemble soit assez peu entraînés et préparés pour lâcher leur arme.

Amaryllis n'a pas le temps d'écouter l'élu plaider leur cause, qu'un crachat vole à sa figure, elle détourne le visage pour éviter une partie. Dans le même temps son propre poignet achève celui de l'adversaire, qui offre un craquement sinistre, et un cri à l'assaillante. Même en voulant menacer, Amaryllis préfère faire perdre un poignet plutôt que la vie. Elle tient toujours la dague.

Les accusations proférées poussent l'opinion d'Amaryllis vers le fait qu'il s'agit d'un groupe de personnes qui en veut personnellement à Mr. Ming. Une partie de son esprit ne cesse de lui souligner que ces affaires ne sont que naturelles, c'est l'élu d'un péché, qui sait ce que le "monstre" fait réellement pour garder son étiquette de gourmand. Ce n'est pas ce dont elle doit se soucier. Ici, elle est une arme, et un bouclier, pas une personne pensante. Le grand élu s'offusque et détourne l'insulte vers la céleste, elle s'en fiche, au contraire, peut-être qu'elle préfère que ce soit le cas. Insulter quelqu'un avec un statut de demi-dieu ne peut pas bien se terminer. Autant que l'attaquer en pleine rue en fait. Tandis que la femme armée il y a une trentaine de secondes se tord de douleur, son compagnon fait sonner son luth, pinçant les cordes. Malheureusement, les effets de sa magie ne se font pas attendre, il manipule les ondes et en un instant, l'élu tombe à terre. Amaryllis a été quasiment entièrement épargnée par l'impact. En revanche, le drain de vie de Xu Ming qui vient ensuite la touche plus sévèrement. Elle retient son souffle un instant, crispée par la sensation de voir ses forces la quitter. Elle reste lucide, bien qu'épuisée physiquement, les ennemis sont aussi épuisés, sûrement autant que les personnes à leur fenêtre. Dans un geste simple, elle plante la dague dans la cuisse de la femme au sol, elle ne s'échappera pas, une interrogatoire est de mise. Le compagnon au luth est tout aussi atteint qu'elle. Il semble un peu plus apte à agir cela dit. Avant que l'onde suivante ne soit lancée, l'Ouroboros se saisit d'un parchemin de sa sacoche, priant qu'elle se souvienne des emplacements, il s'agit du sceau de silence. En général, elle s'en sert sur quelqu'un pour le rendre discret. Là, elle le colle au comptoir pour créer une zone aux sons amoindris.

L'homme ne sait pas ce qu'il se passe avec ce parchemin doré, et utilise sa magie en vain, l'impact est extrêmement réduit, la céleste le frappe dans le haut du ventre puis au cou. Une seule personne est suffisante, si lui ne survit pas à la perte de connaissance, Amaryllis n'en aura rien à faire. Alors que l'action s'est terminée, elle positionne un genou dans le dos de l'assaillante et se tourne vers monsieur Ming, essoufflée.

- Vous allez bien ?

Le drain de vie constant, incontrôlé commence à agacer Amaryllis. Rien qui ne soit plus fort que son contrôle sur elle-même. Alors qu'elle pense que discuter avec l'élu suffira, celui-ci affiche sa victoire sur les assaillants en piétinant la femme dangereuse qu'Amaryllis a immobilisé. La céleste n'est clairement pas friande de ce spectacle, et de la manière dont elle même est utilisée dans cette histoire.

Pire, derrière le dos de la guerrière, non, même partout autour, la foule de curieux murmure, il a su susciter la colère du peuple. Un don dangereux. L'ailée aurait préféré en finir discrètement, remettre les assaillants à la milice de Fang. En lieu et place de cela, c'est une humiliation publique qui se déroule. Le choix de mot de Xu Ming fait tiquer Amaryllis avant même que plus ne ressorte de cette situation. "uniquement" n'a pas sa place dans cette phrase. C'est comme si la Gourmandise cachait quelque chose. L'ange obtient bien vite la raison.

Un frisson se glisse le long de sa colonne vertébrale, dans ses os, dans son esprit. Il a mangé...? Un humain ? La vraisemblance de la déclaration tue glace le sang d'Amaryllis. Ce déchu... En serait parfaitement capable. Leur entente cordiale peut le faire oublier, c'est le représentant d'un vice à son paroxysme. Les éléments s'assemblent, contre les espoirs de la céleste. Le drain de vie s'est arrêté au moment où la victime-assaillante a tenté de dévoiler quelque chose, et la garde ne serait pas surprise d'entendre des plus adroits en magie que ce drain avait simplement changé de cible. Surtout aux vues de l'épuisement soudain de la femme.

Le regard d'Amaryllis tente de questionner le sombre élu, elle cherche des réponses, inquisitrice, son regard foudroie. Elle ne veut prendre part à ça. La déclaration de l'immense homme monstrueux trouble toujours plus l'ailée. Le pardonner ? Cela prend un autre sens pour elle qui a pu entendre.

L'atmosphère change, la foule se fend pour laisser passer les plus véhéments. L'air est lourd de colère. De la justice populaire, ici, dans un des beaux quartiers de Fang...? Amaryllis aurait été moins surprise dans les hauts quartiers. Un tintement clair sonne. Celui d'une lame contre son fourreau. Amaryllis grave d'un geste une ligne circulaire dans le sol. Le geste et la déclaration sont sans appel. Quiconque passera cette ligne commettra une grave erreur. Par ailleurs, elle dévoile un parchemin sorti de sa petite sacoche à la ceinture. Les caractères s'illuminent et elle fixe le support dans les airs, à côté d'elle. C'est un sceau sacré qu'elle maîtrise à la perfection. Celui de la sérénité. Son effet sera moins grand, car appliqué à la zone qui les entoure, mais la colère de la foule redescendra assez pour entendre ses mots. La voix de l'Ouroboros tonne et résonne.

- Du calme ! Le peuple de l'Astre est donc tombé si bas ? Pensez vous que la réputation de sieur Ming sera intacte quand Arathia apprendra que ses confrères abattent des personnes à terre ?

Son regard est sévère. Elle les juge, les jauge. C'est le regard de celle qui a enseigné l'artisanat à certains de leurs parents, qui a été la préceptrice de deux de leurs nobles. Quelqu'un qui a vu une meilleure Fang.

La tempérance... Elle a eu maintes fois l'occasion d'observer cette vertu, la vénérer, rencontrer les élus de celle-ci. Ce n'est pas qu'une affaire de nourriture. Ici, on sent bien que l'élu de son opposé a su attiser l'excès dans l'esprit de la foule, et... Elle est profondément dégoûtée de constater la colère et la corruption qui s'est installée si vite, avant que sa magie sacrée ne prenne effet. Autant que la révélation, ou au moins accusation de la femme à terre. La milice arrive peu à peu, et Xu Ming la félicite encore, mai l'esprit de l'ange n'accepte pas les applaudissements, les félicitations, seul son jugement sur elle-même compte, ça, et ses frères et soeurs d'armes. Elle garde la tête froide et tandis qu'on s'empare des deux assaillants, l'Ouroboros fait part de son statut à la milice et demande qu'on lui écrive un papier faisant office d'invitation à accéder à leur QG, aux cachots, et au dossier de l'affaire. Nul doute que par manipulations politiques et publiques, on arrivera à la tenir à l'écart de l'affaire autrement. Sous la juste raison qu'elle doit absolument tout savoir de qui menace les élus, et qu'il en va de l'harmonie en Arathia, elle obtient ce qu'elle veut. Voilà qui sera bon pour la suite des évènements, quand la garde du corps et l'élu se sépareront.

Son regard revient sur l'élu.

- J'aurais aimé qu'il n'y ait pas d'assassins pour commencer... Mais c'est rondement mené. Est-ce commun pour vous, ces attentats ?

Elle ne laisse pas les doutes s'emparer de ses propos, de son ton, et son expression reste toujours de marbre. Ce qui est parfois un défaut s'avère utile quand il est important de paraître insensible. Amaryllis ajoute, car il est évident qu'elle pense à des reproches sur la situation en général.

- Votre... don de drain était surprenant... Il ne serait pas sage que cela se sache auprès du peuple.