Elle est rentrée la veille au soir depuis Cerah. Elle s'est tout de même levée aux aurores dans le but de pouvoir être tranquille. Luyên sait que son maître va vouloir entendre sa version des faits même s'il a déjà dû entendre des échos de la part de l'armée Arvandienne à n'en pas douter. Après tout c'est lui qui l'a envoyée là bas pour prêter main forte à Cerah. Ah elle ne veut plus y penser, juste se reposer dans un coin du dojo, généralement elle sait qu'il ne vient pas dans ce coin-ci alors elle peut être tranquille et fermer les yeux. Roulée en boule sous sa forme de Cáo Vân la jeune femme profite du silence du lieu et s'endort malgré les courbatures qui tendent ses muscles. Mais bien vite le dojo s'éveille et elle doit trouver un autre coin pour se reposer. Au bout du troisième elle reprend forme humaine, agacée. Son visage est fermé et elle avance pour se rendre dans la cuisine pour se mettre quelque chose dans l'estomac. Assise à la table, son vieux bol entre les mains, elle pioche dedans sans grande conviction. Elle boit l'eau de son verre et repose son plat à peine touché en soupirant. Elle entend des pas qu'elle reconnaît bien, on dirait que la tranquillité à assez duré. Elle ne daigne pas tourner la tête alors que ses oreilles se sont orientées vers l'entrée, preuve qu'elle a bien entendu le son des pas. Mais comme à son habitude, de mauvaise humeur elle ne daigne pas saluer son maître.

— Tout s'est bien passé.

Voilà tout ce dont elle est capable pour le moment. Piochant de nouveau dans son bol, elle s'atèle à avaler la nourriture dont elle aimerait bien se passer. Elle se sert de celle-ci comme d'une excuse pour se taire de nouveau et lui tourner ostensiblement le dos, ses queues fouettant l'air comme si elle était déjà en colère. Oh elle ne s'arrête jamais vraiment de l'être de toute façon, Jay doit en avoir l'habitude.

La jeune renarde serre les dents et ne se retournera pas avant d'entendre le son de ses pas diminuer dans le couloir. Elle repousse son bol avec la mine dégoûtée, elle ne pourra rien avaler de plus. D'une certaine manière elle est tout de même contente d'être rentrée. Même si elle sait que dans quelque minutes, elle va dérouiller sous les coups de son maître. Elle se lève et s'étire en faisant attention à son côté gauche. Vestige de son combat à Cerah, elle semble plus sensible de ce côté. Elle devra faire attention à ce que Jay ne le remarque pas.

Après avoir salué un peu plus chaleureusement Lyra, elle se dirige vers la salle d'entrainement. Attachant ses cheveux en une longue tresse qu'elle vient accrocher autour de sa tête, par habitude. Une fois arrivée, elle ne se presse pas comme pour le chercher. Elle détache les deux lames répits de sa taille en venant les poser non loin.

— J'ai croisé Lyra, elle a l'air en forme.

Comme pour lui signifier qu'elle avait exécuté sa demande. Même si elle est toujours plus heureuse de croiser la femme que son maître. Mais on dirait que pour le moment, sa colère est descendue. C'est souvent comme ça avec Lyra, elle apaise la renarde, apaise l'animal qui a besoin de se défendre qui se terre en elle. Seulement Luyên ne se fait pas d'illusion. Elle sait qu'elle a besoin de cette colère pour affronter cet homme qui se tient là-bas.

— Alors ? Que fait-on aujourd'hui ?

Et enfin elle pose les yeux sur le visage de Jay, comme pour l'agacer ou simplement lui montrer le feu qui brule au fond de ses yeux. Ce n'est pas la peine de faire trainer plus encore l'entraînement. Avec lui les longues discussions ne durent jamais bien longtemps. Leurs poings parlent mieux pour eux.

Luyên regarde attentivement la salle, elle plisse les yeux devant les exercices qu'il lui propose. Serrant les dents, elle lui rend son regard, les bras croisés sur sa poitrine. Se moque-t-il d'elle ? Avec un rire empreint de dédain la renarde vérifie que sa tresse soit bien accrochée, puis elle s'étire prenant son temps. Enfin elle s'approche de la plateforme pour accéder à sa demande. Si elle ne lui a pas dit que cet entrainement ne lui servira à rien, elle le pense très fort et il est très probable que Jay se rende compte de ses pensées. Mais elle se fiche bien, il peut comprendre ce qu'il veut. Ces derniers temps elle est sortie victorieuse de tout ses combats ou entrainements. Ce n'est certainement pas celui-ci qui sera sa première défaite depuis des jours, il en est hors de question. Surtout devant lui.

— C'est un jeu d'enf-

Lu a à peine posé les deux pieds que Jay la prend en traitre. Heureusement pour elle, ce n'est pas sur son mauvais côté qu'il attaque et elle esquive à la dernière seconde. Sautant sur la prochaine plateforme, elle agite les bras pour reprendre son équilibre. L'exercice vient tout juste de commencer et il a déjà réussi à mettre en péril la balance de son corps. Mais il faut faire vite, elle sait très bien que Jay n'est pas tendre, surtout avec elle. La renarde s'accroupi pour éviter un autre coup de son bâton. Bien évidemment il a prit le plus vieux, celui sans protections qu'il lui réserve. Mais tant mieux, moins il prendra de pincettes avec elle, plus elle pourra utiliser sa colère contre lui. Elle pourrait même fanfaronner d'avoir gagné contre lui. Rares ont été les occasions où elle est sortie triomphante de leurs échanges, elle peut les compter sur les doigts d'une main. Depuis qu'elle a grandit à vrai dire, en même temps c'est normal non ? En grandissant elle devient de plus en plus forte, de plus en plus dangereuse. A aucun moment elle ne pourrait penser que c'est parce que son maître se fait vieux ou fatigué. Pour elle, c'est le pilier qui lui permet d'avancer, même si la colère la pousse, même si elle ne voit pas l'amour d'un père derrière ses manières.

Elle enchaîne, évite, saute, retrouve son équilibre sans le quitter des yeux. Il a son sourire habituel vissé sur les lèvres, celui qui lui tape sur le système. Parce qu'il sourit sans ne jamais sourire, elle ne sait pas comment se l'expliquer. Il reste froid, sans aucune chaleur. La renarde ne perd pas sa concentration, elle ne peut pas sortir d'ici en ayant perdu il en est hors de question. Pourtant elle a l'impression qu'il ne cherche pas vraiment à la faire tomber, elle fronce les sourcils mais elle n'a pas le temps de mettre le doigt sur ce qui la gêne car elle manque un battement et se rattrape de justesse alors qu'il a visé son flanc gauche. Grimaçant et se reprenant trop tard, elle frotte son muscle fatigué. Et alors sa voix s'élève, glaciale. Ses queues s'ébouriffent en entendant ce son, veulent la faire plus grosse qu'elle ne l'est. C'est une réaction de peur, parce qu'elle sait qu'elle l'a déçu et qu'elle va certainement devoir s'expliquer. S'arrêtant elle aussi, elle reste en équilibre, mais de peu parce qu'elle tremble déjà de rage.

— Ne m'appelez pas ainsi !

Elle bouillonne parce qu'il sait qu'en l'appelant Lê, il la ramène à sa famille et elle déteste ça peut-être encore plus fort que sa colère envers lui. Alors elle gronde et crie.

— Oui d'accord, j'ai laissé traîné cette toute petite blessure et maintenant je paie les pots cassés. Mais ce n'est presque plus rien, je suis allé me faire soigner. Ne. M'appelez. Plus. LÊ !

Si elle ne haïssait pas autant perdre, elle serait déjà descendue de la plateforme et aurait quitté l'entraînement. Mais c'est plus fort qu'elle, elle ne peut pas partir et s'avouer vaincue. En fait elle n'arrive pas à se décider entre ce qu'elle déteste le plus, lui qui l'appelle comme ça ou de ne pas pouvoir mettre de la distance entre elle et son maître.