La journée, ah, Nuit, avait été longue.
Patrouille menée avec sérieux et sans un seul incident. Si la ville avait un charme certain, son esprit s'était vite mis à papillonner, distrait par des pensées fugaces — lapin perdu dans les méandres d'une forêt dense, souvenirs à portée, mais fuyants.
Et quand on l'avait enfin (enfin !) relevé, l'ennui s'était fait omniprésent, force est de constater que la fatigue lui faisait faux bond.
S'était dirigé vers le centre, habitude nouvellement développée, pour y trouver le muret, à l'ombre d'un arbre, qu'il avait déclaré sien sans cérémonie.
Le sac est posé au sol, le carnet en équilibre précaire sur l'un de ses genoux, pointe de son crayon tapant contre le papier.
Trouver un sujet d'étude n'est jamais bien difficile, tout est encore suffisamment intéressant, à l'image d'un jouet brillant, et son dévolu s'échoue sur un étal et l'elfe qui s'affaire à rendre ce dernier présentable.

Griffonne les bases de son illustration, traits grossiers, regard alternant entre la scène qu'il trace et la vraie, suivant les mouvements de sa muse au travail.
Mais la lumière du lampadaire -ingénieuse création, chasse la noirceur- est obstruée, lui fait finalement relever la tête pour se concentrer sur autre chose que son dessin.
Croise le regard du Grand Inquisiteur.
Il arque un sourcil malgré lui.

— Monsieur.

C'est soufflé poliment, agrémenté d'une légère inclinaison de la tête. Ni plus, ni moins.
Ne doute pas de son autorité, Dandelion, mais n'est qu'un invité en ces terres — joindre l'Inquisition semblait être la chose à faire pour retrouver un semblant de familiarité. Les enfants du Soleil ne sont pas des soldats, préfèrent largement une vie d'artistes, mais il faisait partie de ceux qui entaillaient l'avancée de la Corruption.
Ferait de même ici aussi, malgré la froideur de ses nouveaux comparses.

C'est une bonne journée, aujourd'hui. Aucun problème particulier à signaler de la part des différents corps armés, pas de rendez-vous spécialement stressant dans les prochains jours, la pile de dossier qui descend petit à petit car j'arrive à bien avancer ces derniers temps... Non, vraiment, c'est une bonne semaine pour moi. Assez bonne pour que j'ai l'envie de me promener un peu en ville avant de rentrer chez moi. D'habitude, je retourne à mon manoir au plus vite pour pouvoir me détendre avec un bon livre et un bon bain, mais là j'ai envie de profiter de l'air frais et agréable pour me ressourcer.

C'est pour ça que je me suis changé avant de quitter mon bureau et la caserne, préférant des habits plus légers bien que toujours d'aussi bonne facture : une simple chemise blanche entrée dans un pantalon qui marque bien ma taille. J'ai gardé mes bijoux aux oreilles et poignets ainsi que mes bagues, sans aucune honte de montrer qui je suis. Je marche sans avoir de but, prenant juste les rues qui me donnent envie. Petit à petit, mes pas me mènent plus proche du centre de la ville, dans un endroit calme et agréable. De jolies maisons, quelques arbres pour agrémenter les lieux, et quelques rares passants menant leur vie...
J'ai une certaine fierté à me dire que les gens peuvent se sentir en sécurité grâce à moi.

Du coin de l’œil, je repère un visage qui me dit quelque chose. Un jeune homme que j'avais vu entrer dans l'Inquisition il y a peu. Un elfe solaire, un de ces orphelins de leur propre monde... Aucun souvenir ou presque, juste de vagues images d'un passé oublié... L'idée de vivre ça m'est terrifiante. Lui et tous ceux qui ont vécu ça ont bien du mérite, ou du courage. Leur arrivée soulève bien des questions, mais je balaie très vite l'idée de ma tête. Le travail est finit pour aujourd'hui, j'ai juste envie de profiter du moment. Je le vois tenir un carnet et, curieux, je m'approche tranquillement de lui pour l'observer manier son crayon d'une patte experte.

C'est beau. Très très beau.
Oh, tiens, il m'a vu ?

- Bonsoir.

Je lui répond avec un sourire. Impossible de me rappeler son nom, mais en même temps qui pourrait se targuer de connaître le nom de chacun des soldats de l'Inquisition ? Déjà, j'ai retenu son visage grâce à son histoire, c'est une bonne chose.

- Excusez-moi pour l'interruption. J'étais curieux de voir ce que vous faisiez. Vous avez un vrai talent pour le dessin... Est-ce le cas de tous les elfes solaires ?

J'aime l'art sous beaucoup de ses formes et j'ai toujours apprécié dessiner. Mon niveau, pourtant pas mauvais, est loin d'atteindre le sien... Il faut dire que mes modèles sont généralement des gens, pas des paysages, et je n'apprend à dessiner qu'un type de chose : les corps. Nus, bien souvent. Pas dans une optique lubrique, non. C'est juste... c'est si beau, un corps.
Mais inutile de parler de tout ça. Je n'ai pas envie d'exposer ma vie à un inconnu. Cependant, je peux lancer le dialogue et voir si ça l'intéresse ; j'ai bien envie de discuter, pour une fois.

- Vous vous plaisez dans l'Inquisition ? J'espère que vous avez réussi à y trouver votre place.

Et même s'il ne souhaite pas discuter, au moins il saura que je l'ai reconnu et que je me soucie de lui -au moins en apparence-. C'est toujours ça de pris... et encore une fois, je me reprend à penser comme si j'avais encore ma casquette de Grand Inquisiteur vissée sur la tête. Tsss.
J'aime mon rôle, mais je dois avouer craindre de perdre mon « moi », à l'enfouir derrière mes obligations.