Llyr esquissait de larges cercles dans l’imposant bassin qui ornait la cour intérieure de la demeure. Ses errances cycliques la gardaient devant son époux révisant de la paperasse royale pour l’assister. Entre deux énoncés partagés à voix haute, elle disparaissait brièvement sous la surface avant de ressurgir plus loin. Son ouïe attentive assimilait les informations procurées par Rykard, cherchant à y faire sens. La vie politique éprouvait la sirène qui ne possédait pas le talent du régent pour amener autrui à sa cause. Elle se doutait de l’avantage octroyé par la magie psychique, mais cette capacité intrusive n’avait pas réponse à tout. Les subtilités des actions à entreprendre et les particularités des autres nobles, tricotés avec le gouvernement arvandien se montraient d’une complexité qui échappait encore à l’avalonienne.

Sous la surface tamisée, une longue silhouette sombre s’étendait et ramenait sur l’eau de minuscule vague marquant son déplacement. De temps à autre, sa nageoire caudale émergeait et le reflet de ses écailles brillaient d’un turquoise océanique. S’il arrivait parfois qu’elle s’en serve pour arroser le patriarche, la majorité du temps elle faisait preuve d’un calme exemplaire, redirigeant son agressivité dans la direction opposée où des documents officiels ne risquaient pas d’être trempés. Toutefois, au bout de longs moments à démystifier les enchevêtrements et les finauderies politiques, Llyr fatiguait. Son implication naissait de sa considération à l’égard de Rykard plutôt que par passion et cela mettait à rude épreuve sa diligence. Enfonçant la moitié de son visage sévère sous l’eau, son regard abyssal restait agrippé à son mari. Des arabesques noires dansaient autour de sa tête, ses cheveux suivant ses mouvements et roulant sous les vaguelettes.

Enfin, Llyr sortit la tête de l’eau et déclara :

– Je ne saisis pas d’où l’Union Commerciale de la Couronne tient les fonds nécessaires afin d’acquérir la gabare des Armateurs de la Fortune, l’irritabilité marquait sa voix, tant par l’incompréhension que par épuisement mental, mais surtout, je n’ai pas compris comment ils sont parvenus à les convaincre de leur céder.

Llyr permettait à son époux de voir sa confusion. La bouche pincée, elle semblait résistante à l’idée d’assimiler quelques informations supplémentaires. D’un coup de nageoire, la sirène fut transportée au bord du bassin et ses doigts vinrent se refermer sur la cheville de Rykard. Vaguement humanoïde, les traits aquatiques de la dame s’amplifiaient au contact de l’eau. Sa peau reflétait la lumière différemment pour favoriser son camouflage dans les profondeurs et ses yeux noirs fixaient avec une intensité accrue. Sans ses longues jambes pour la maintenir hors du bassin, Rykard pouvait profiter de l’un des rares moments où il était possible de regarder sa femme de haut. Pour se hisser, elle appuya ses paumes sur le genou de Rykard et s’extirpa en partie de l’eau.

– Viens m’expliquer dans l’eau.

Des palabres souvent prononcées lors de leurs décennies de mariage. Certaines fois plus douces que d’autres. Llyr n’était pas au-dessus de simplement tirer la jambe de Rykard pour le forcer à la rejoindre. Néanmoins, elle évitait de l’attirer à l’aide de sa magie, tout comme il se refusait à lire ses pensées. Aujourd’hui, la sirène affichait une humeur affable, malgré le ton autoritaire de sa voix grave.