Le bruit d'un papier qu'on froisse, une respiration saccadée, presque animale. Ces bruits se perdent dans les rues du quartier où se trouve la petite renarde. Les yeux fixés sur le papier froissés par ses doigts, la rose n'a pas l'air dans son assiette. Oh pas vraiment même, la sœur qu'elle avait retrouvé le mois dernier a été victime d'un malheureux incident. Mais qu'est ce que ça peut bien vouloir dire ?
Est-elle blessée ?
Oh non rien ne peut arriver à la petite princesse.
Et si elle avait vraiment eu des problèmes à cause d'elle ?
C'est ridicule, ses parents l'ont gardée elle parce qu'elle a toujours été meilleure que Lu.
L'ont-ils punie à cause de leur rencontre ?
Ou pire.

Dans une rage folle elle pulvérise le papier d'une étoile qui l'embrase sur le champ. Une petite déflagration rien de bien méchant. Juste assez pour qu'il parte en fumée, qu'on ne trouve plus aucune trace d'un quelconque mot qu'on lui aurait transmis. D'ailleurs la femme qui le lui a apporté a bien fait de disparaître dans la foule. Foule qui darde toutes ses prunelles sur la jeune femme qui peine à garder son calme. Il faut dire qu'utiliser sa magie, même dans une ruelle annexe n'est pas forcément intelligent. Sauf que la pauvre est incapable de réfléchir convenablement. Elle serre et desserre son poing comme s'il la démangeait. Elle n'arrive même pas à se concentrer sur sa respiration qui s'accélère encore, comme si elle avait couru pendant des heures. Il faut qu'elle bouge, si elle reste campée là, son maître ou les autres de la maison vont finir par la retrouver et la dernière chose qu'elle souhaite, c'est rentrer là-bas. Elle ne sera pas capable de garder son calme.

Alors elle fonce se mettre à l'abri, quelque part. N'importe où. Elle tourne dans une rue moins fréquentée, court pour échapper à ses pensées. Et manque de peu un grand blond. Elle recule d'un bond et crache à ses pieds, les poils hérissés.

— Fais gaffe où tu marches, on pourrait t'arracher la jambe.

La haine s'entend clairement dans sa voix, se voit sans problème dans ses yeux. Une haine immense, tournée vers le monde entier.

Les mendiants ? Luyên aurait pu continuer sa route sans écouter la suite, se tourner vers sa colère intérieur qui la ronge petit à petit. Elle aurait pu, mais lentement son regard est attiré malgré elle vers le visage méprisant. Elle se fait chasser comme un vulgaire insecte, mais la jeune femme est une chasseuse et non une bestiole qu'on chasse d'un geste de la main. La haine s'embrase dans son regard alors qu'elle s'approche sans rien dire. Oh son visage lui, en dit beaucoup. Ses sourcils se froncent en un mouvement parfait, un rictus de colère se dessine sur ses lèvres et sa mâchoire se contracte en tressautant. Elle vient se poster juste devant lui, levant les yeux pour le fixer. Mais sa taille n'est pas un problème, elle pose son regard sans bouger la tête. Elle ne lèvera pas le front d'un seul centimètre. Au contraire, elle fait glisser ses yeux de son visage à ses pieds.

— Oh j'oubliais à quel point les oiseaux pouvaient être abrutis. Tu sais, une cervelle d'oiseau mmh ?

Elle époussette sa veste rapiécée et la replace sur ses épaules d'un geste agacé.

— Ouvre donc les yeux, je peux certainement avoir plus d'argent en une journée que toi en une année. Allez, j'ai d'autres choses à penser que de mettre à terre un étranger. Cependant ...

Elle serre le poing comme s'il la démangeait. Et elle s'écarte un peu, comme si elle partait, mettant fin à la discussion. Mais le renard est rusé et à peine a-t-elle esquissé son geste qu'elle saute sur le côté et vient arracher une de ses plumes. Rapide, elle se met à l'abri d'une possible riposte, hors de sa portée. Deux étoiles, petites et brillantes éclosent à côté de sa tête rose. Elles flottent tout près de ses mèches folles, oh qu'elles sont belles et douces ces petites danseuses. Mais leur taille ne veut pas dire qu'elles ne sont pas puissantes, bien au contraire. Il vaut mieux être prudent pas vrai ? S'il bouge, elle le fait exploser. Et c'est peu dire que ça la démange. Pouvoir se défouler, arracher la vie d'un autre pour mieux respirer, foncer la tête baissée dans un combat inutile qui ne la soulagera pas d'un pouce. Mais sa vision n'est pas limpide, la peur d'avoir de nouveau perdu quelqu'un se bouscule à la rage d'y être pour quelque chose, encore. Seulement, elle ne sait pas à qui elle vient de s'en prendre la petite renarde. Non, elle ne sait pas.

La vile renarde observe la plume entre ses doigts, sous le coup de l'émotion elle risque encore de faire quelque chose d'irréfléchi. Mais colère et peur se mêlent en son sein alors qu'elle lâche la plume et le regarde descendre doucement au sol.

— Peur ? Ah ! Je tremble de peur tu vois ?

Oh elle n'est pas calme mais cette peur qui lui transperce le ventre n'est pas dû au céleste et son air sombre. Ce qui lui tord les entrailles n'est pas ici. N'est certainement plus de ce monde d'ailleurs quand on y pense. Ils l'ont tuée, ils l'ont tuée, sa sœur. Alors que l'homme aux ailes lui parle de prison et qu'elle ne relève pas, les larmes lui montent aux yeux. Le monde est cruel et c'est alors que le combat s'engage qu'elle sombre dans une fureur sourde.
Ils l'ont tuée, ils l'ont tuée, ils l'ont tuée, tuée, tuée, tuée.
Il se jette sur elle avant qu'elle n'aie explosée. Alors elle envoie les étoiles déflagrer à son niveau mais il s'envole et elles explosent dans le vide. Bouillante d'avoir loupé son adversaire mais soulagée d'avoir provoqué le combat elle l'observe là haut alors qu'elle écrase sa plume à présent tombée au sol.

— Reviens te battre, fils de pute.

Luyên ne peut rien faire à part faire apparaître une autre étoile qu'elle envoie vers lui, il est hors de sa portée. Enfin hors de la portée de ses poings. Heureusement pour elle, la renarde à un autre tour dans son sac. Elle attrape une de ses deux dagues et profite de la distraction de l'étoile qui explose pour envoyer la lame vers son visage.

Même la renarde n'a pas la réponse à sa question. Il s'agit de survie, de penser à autre chose pour ne pas s'autodétruire. Penser à tout ce qu'elle a perdu, tout ce qu'on lui prend encore et encore et encore sans jamais s'arrêter. Jamais. On l'écorche des parties d'elle même pour qu'elle ne ressemble plus qu'à un pantin, une arme qu'on façonne à son image. Ne plus penser, tuer, arracher la vie comme on arrache la sienne. Malheureusement Luyên s'en est prise à quelqu'un qu'elle ne peut pas attraper, il vole et file sans qu'elle ne puisse rien y faire. Il fait griller les poils de ses queues avec ses éclairs, ou alors est-elle plus lente ? Elle se laisse manger par ses démons, imagine tomber sous les coups et fermer les yeux. Malheureusement une petite partie d'elle ne veut pas perdre, alors elle continue d'éviter, ne peut pas utiliser sa magie ainsi, si jamais un éclair touchait son étoile et qu'elle explosait près d'elle, elle serait en désavantage. Elle ne peut pas non plus lancer sa deuxième lame, elle serait alors désarmée. Elle ne peut rien faire. Comme d'habitude, elle ne peut que regarder, subir et s'épuiser.

— DESCEND.

Alors elle hurle à s'en casser la voix. De rage, de tristesse. Elle hurle à s'en faire mal, les muscles tendus à leur maximum. Luyên fini par ranger son arme puis elle serre les poings. Inutile petite chose, il serait préférable qu'elle disparaisse et avec elle, toutes ses souffrances. Si seulement c'était si facile. La renarde perd l'équilibre avec tout ce vent autour d'elle, lui faisant perdre encore un peu plus pied dans cet univers sans dessus dessous.

— CONNARD.

Elle ne peut que tenter de le faire descendre à sa hauteur. Elle voudrait lui arracher les plumes une à une, lui faire subir tout ce qu'elle a vécu, perdu. Lui couper les ailes pour qu'il soit aussi misérable qu'elle. Oh la renarde sait bien que rien n'est rationnel en ce moment même. Seulement, comment lui faire entendre raison ? Elle n'a rien à quoi se raccrocher. Si ce n'est de vouloir lui faire autant de mal que possible, griffer ce visage enlaidi, brûler ces boucles blondes. Mais elle s'est retrouvée face contre terre, dans la poussière qu'elle tousse en essayant de reprendre son souffle. Battue en un rien de temps.

Respirant trop vite, la vision teintée de rouge, elle pourrait lui sauter à la gorge à la moindre occasion. La rationalité à quitté tout son être, mais elle l'observe redescendre et lui jeter la poussière dans laquelle elle était il y a une demi seconde. Les éclairs ont arrêté de pleuvoir et elle n'a même pas pensé qu'il ne pourrait pas voler pendant longtemps. L'oiseau s'est posé non loin et la renarde, chasseresse s'avance déjà de nouveau pour l'égorger de ses crocs. Seulement il fait trop de bruit, déjà des gens tournent la tête vers la ruelle, inquiets. Elle grogne vers lui, le regard aussi noir que les tréfonds de Xing Alda.

— Je suis une chienne, peut-être bien. Mais que penseras-tu quand la chienne viendra t'arracher la trachée de sa bouche, sac à foutre ?

Elle n'a pas appris de sa roulade sur le sol, elle ne l'accepte surtout pas. Ca voudrait dire accepter une énième défaite, seulement c'est trop pour son petit corps. Elle descend sa main vers sa dague puis s'arrête en l'entendant de nouveau parler. Les oreilles en avant, visiblement intéressée, quoique sur la défensive.

— Ah m'aider tu dis ? Tu irais tuer des nobles ? Tu irais dépecer des raclures, accrocher leur tête au portail de leurs terres ? Tâcher tes belles mains de leur sang ? Ne me fais pas rire, princesse.

Elle s'arrête d'avancer vers lui, sans s'en rendre compte ses pas l'avaient rapprochés de l'homme aux ailes d'argent. Deux pas les séparent mais elle n'ira pas s'y risquer à nouveau. Les poils grillés de ses queues se souviennent de la raclée qu'ils se sont pris. Mais elle tremble de rage, son regard ne lâche pas le visage d'ange, s'imaginant y planter ses griffes. Oh rien n'a de sens, elle pourrait passer des heures à l'insulter et à prendre des insultes en retour. Comme une droguée, elle attend ses paroles, avide de lui jeter ses avanies comme des poignards. Attendre le moment propice pour trancher dans le vif et faire couler une nouvelle ligne de sang sur sa peau blanche.

Luyên est fatiguée, a tel point que la dernière réponse de l'ange lui cloue le bec. Les bras ballants et la colère enfin redescendue, elle ne s'attendait vraiment pas à cette issue. Le temps de lui donner un peu de contenance et de réfléchir à tout ça, elle le contourne et se baisse pour aller chercher sa deuxième dague qui avait atterrit contre un mur, un peu plus loin. Dansant d'un pied sur l'autre sans lui tourner le dos, elle revient vers lui en laissant la distance de sécurité nécessaire, maintenant que lui aussi est armé. Elle observe la lame tâchée de son propre sang et croit vraiment à ce qu'il vient de dire. La situation est devenue gênante. Pourquoi l'a t-elle attaqué déjà ? Elle ne sait même plus.

— On se ressemble plus que ce que je pensais alors.

C'est tout ce qu'elle trouve à dire. Mordillant ses lèvres, elle ne peut pas cacher sa gêne.

— J'aimerais tellement entrer de nouveau chez les Lê, me faufiler dans la chambre conjugale et égorger les deux nobles qui y dorment, ah !

Lu essuie rageusement une larme qui a coulé sur sa pommette, laissant une traînée noire sous son œil à cause de ses doigts sales. Ses émotions ne sont qu'un tourbillon incompréhensible qu'elle ne peut pas retenir.

— Mais je ne peux pas les tuer tant que je ne sais pas où est ma sœur.

Finalement à quoi aura servit tout ça ? A décharger sa colère, c'est tout. Soupirant et rangeant ses armes, elle lui montre ses mains vides, comme pour s'excuser. Mais elle ne le dira pas à voix haute, ça c'est sûr.