Voilà que je me fais réprimander par la sagesse pour avoir remise à sa place un orgueil sans surprise bien trop envahissant. Elle est bonne celle-là. Mon regard en direction de notre hôte se teinte d'un noir qui ne dit rien qui vaille mais je n'ouvre même pas la bouche pour répondre, celle-ci se crispant dans un sourire de complaisance indiquant que je me plierais -pour l'instant- à leur bon vouloir. Quiconque me connaissant un tant soit peu peut cependant facilement détecter que la cocotte minute arrive rapidement à une pression qu'elle ne pourra contenir, comme en témoigne le tic qui saisit la paupière de mon œil droit.

Contre toute attente, tout le monde -ou presque- met de la bonne volonté dans les débats. Soutenir dans l'ombre la révolution pour lutter contre la tour Galate ? L'idée n'est pas si mauvaise. Une alliance générale et secrète contre Ananda s'avérerait particulièrement efficace, d'autant plus que ses élus ne sont pas présents pour émettre un contre-pouvoir.

C'est cependant sans compter sur la nature déloyale d'Arvandor et de Clara Nocte, pour qui le terme « alliance » a une signification particulière. Et voilà que patience intervient -visiblement en notre nom à toutes les deux sans me concerter, ce qui lui vaut un énième regard courroucé de ma part-, tout ça pour être... eh bien, toujours trop patiente avec eux, qui l'eût cru ?

Et puis l'orgueil se décide à intervenir de nouveau -cela faisait longtemps-. Mes mâchoires se serrent à me poncer les dents jusqu'à l'émail alors que je la vois agiter son arme sous nos yeux. Une arme faite d'arcanite dorée -mon oeil de Vollhyr ne me trompe pas-. La même qui a décimé mon peuple il y a une décennie de cela. Son propos, aussi outrageant soit-il, n'est que secondaire.

*cling*

Le verre que je tenais dans ma main gauche explose soudainement sous la pression de mes doigts, résonnant dans le très éphémère silence qui a soudainement envahi la pièce. Je me tourne vers l'Harmonie avec un large sourire qui ne trompe personne.

-Ahem, veuillez m'excuser. Auriez-vous l'amabilité de me pourvoir d'un autre verre de vin ?

Xu Ming avait avancé de bons éléments, comme elle s'y était attendue, et la bienveillance de Daina poussait encore dans le sens de l'alliance entre les royaumes. Si Yunmei ne sembla pas réagir sur le coup, elle reconnut bien vite le matériau d'arcanité dorée et son regard bifurqua sur les élus de Vollheim. Les réactions étaient compréhensibles. Elle enchaîna derrière Daina dans l'espoir de remédier un peu aux tensions.

« Se provoquer les uns les autres ne nous mènera nulle part et agira dans l'intérêt de nos adversaires. » disait-elle comme à l'attention de l'Orgueil. « Cependant... l'Élue de l'Orgueil met en évidence un point qui vaut la peine d'être considéré. Il ne s'agit pas que de nous, mais de nos dirigeants, de nos peuples. Chacun aura ses raisons de vouloir faire front contre la Tour de Galate, mais tous n'auront pas envie de s'allier avec leur voisin si un climat hostile et les tensions règnent. »

« Quand bien même les royaumes accepteraient de s'allier, il suffit d'un seul s'y refusant pour que cette alliance soit mise en péril. Aucun de nos dirigeants ne sera prompt à déplacer des forces armées en un territoire qui, pour certains, est extrêmement loin, devant braver mers et montagnes, laissant ainsi leurs défenses locales affaiblies. Cependant, si chacun peut soutenir la résistance par un biais matériel ou économique, nous pourrions parvenir à créer quelques brèches grâce à eux, tout en obtenant des informations en échange. »

Tempérance releva le nez pour regarder l'Élue de l'Avarice.

« Et idéalement, trouver le moyen d'infiltrer la Tour. Si nous pouvons agir de l'intérieur par le biais d'alliés, il faudra saisir l'occasion. »

Elle eut une brève inspiration, les yeux revenant se perdre sur la table fournie.

« D'autant que nous sommes incapables de pouvoir affirmer avec une certitude absolue, avec le peu d'information que nous avons, que se défaire de la Tour de Galate stoppera la corruption. Nous ne sommes pas à l'abri de mauvaises surprises et il faut agir avec prudence, en dépit de l'urgence de la situation. »

 L'ambiance étrange de cette réunion rappelait au jeune élu de la Charité le temps aléatoire et souvent désastreux d'Al'Malaq, avec quelques éclaircies gracieuses qui soulagaient le peuple après une énième pluie de feu ou autre grêle destructrice.

Comme la discussion semblait devenir sérieuse et concentrée sur une seule question Kalila faisait de son mieux pour écouter, se rangeant de l'avis de son confrère qui avait tout à fait raison, les alliances pouvaient êtres bénéfiques tout autant en temps de paix qu'en temps de guerre, et pas seulement pour les forces militaires mais aussi les populations, cela pouvait créer de l'emploi, des nouvelles opportunités, peut-être même réduire un temps la misère des plus nécessiteux. Mais cela pouvait être aussi à double tranchant si la situation prenait trop de temps et que cette forme d'effort de guerre atteignait une forme de perrenité qui impactait négativement les populations des royaumes enclins à cette Alliance, puis ensuite des révoltes et une nouvelle forme de misère.

Kalila se contentait de réfléchir dans son esprit, acquiescant presque d'un air benêt à chaque fois aux prises de paroles d'Arderus mais également à celles des personnes qui semblaient raisonnables et favorables à cette alliance. Il était tout de même difficile de ne pas prêter attention à chaque fois qu'un élu semblait s'amuser à jeter de l'huile sur le feu pour ses petites raisons personelles et vaines.




 

Arderus observe les réactions de chacun. Il tique à celle de l'Orgueil, quelle belle rapière, elle a l'air de faire parfaitement son office, vu que les autres personnes présentes accueillent très mal la présence de l'arme. C'est au tour de la colère de démontrer son péché. Quelle hystérique, il se retient de prendre la parole, même si la situation devient intéressante.

La parole tourne. Vient l'intervention de l'Harmonie et de la Sagesse. Arderus est nouveau ici, bien que sans-gêne quant aux manières, la présence des deux présidents tient en respect l'esprit turbulent. Quand on mentionne les malaqii, il tourne lentement le regard vers son frère vertueux pour savoir quoi faire du sujet. Sa principale source d'informations à ce sujet est en la personne du général des armées, et de quelques autres concernés mais pas responsables. Il soupire, et se permet une dernière bouchée de baies sous l'attention des autres.

❝ Mon confrère de la Charité sera plus à même de vous parler de partage… Al'Malaq fournit en effet la rébellion en provisions. C'est un des canaux qui existe d'ores et déjà. ❞

Son regard passe sur l'assemblée pour vérifier qu'il n'a suscité nulle autre réaction extrême comme un verre en morceaux.

❝ Nous collaborons avec le Royaume de l'Étoile depuis longtemps par le biais de la Confédération des Commerces Internationaux. Les routes et liens établis pourront servir à soutenir la résistance. ❞

Une dernière pause et un sourire en coin, on le croit réellement altruiste ? Si l'idée de base est bonne, elle l'est trop. Tout le monde en profitera, et pourtant seuls deux des sept devraient participer ? C'est absurde.

❝ Cet accord n'aura pas lieu sans accord de la part des cinq autres. Pourquoi deux royaumes devraient-ils payer de leurs ressources pour l'entièreté d'Arathia ? ❞

Il n'est pas question de recevoir les contributions, pas entièrement. Peut-être accidentellement, deux ou trois liges... Chacun pourrait participer comme il le souhaite, il est évident que Cerah ne peut pas soutenir cet accord de soutien de la résistance par la monnaie.

L'intervention du Protecteur et de la Gardienne n'était définitivement pas de trop. Ils représentaient, en quelque sorte, la neutralité qui mettait en avant le bien être d'Arathia mais également la réalité de leurs situations respectives. Yunmei les écoutait attentivement, silencieuse.

Mais progressivement, sans qu'elle ne se l'explique, une sorte de froideur semblait s'immiscer par le bout de ses doigts. Une sensation dérangeante qu'elle tenta de chasser en clignant des yeux, forçant son attention sur les personnes présentes ; mais plus elle la chassait, plus elle s'amplifiait.

Dans son coin, seule et malgré son regard toujours posé sur leurs deux orateurs, Yunmei ne faisait plus attention. Les voix de chacun devenaient des bruits distants, mots étouffés par un silence inattendu. L'espace de quelques secondes, il lui sembla même qu'un froid glacial s'emparait du lieu alors qu'il n'en était rien ; de ses doigts le froid glissa jusqu'à ses épaules avant de faire frissonner son dos et une horrible sensation que quelque chose de mauvais se passait. Elle ne savait ni quoi, ni où, ni comment, ni pourquoi ─ son rythme cardiaque s'accéléra un instant, puis se calma. Incompréhensible.

Mais à l'instar de la Gardienne, ses yeux devinrent humides. L'Élue de la Tempérance papillonna des yeux pour ravaler ses larmes et déglutit discrètement, avant que doucement, le froid ne se dissipe et que tout redevienne normal. Perturbée par ce court évènement, Yunmei baissa brièvement les yeux sur ses mains qu'elle regarda avec une légère confusion ; mais rien n'était visible. Replaçant alors ses mains sur ses cuisses, silencieuse et aussi discrètement que possible, la jeune élue inspira doucement, observant Morwenna du coin de l'oeil. Est-ce qu'elles avaient ressenti la même chose ? Est-ce qu'il fallait en parler ?
Face au silence de la Gardienne, Yunmei fit de même et malgré elle, l'Élue de la Tempérance ne suivait plus la discussion, trop perturbée par ce sentiment d'inconfort.

Une nouvelle fois, l'intervention de la Gardienne me hérisse le poil. Si certains des élus se comportent comme des enfants gâtés, je ne suis pas venue ici pour que l'on me babysit. Et pourquoi donc interviennent-ils en défaveur de l'alliance ? Nous n'avions clairement pas besoin d'eux pour semer la discorde. On se débrouille très bien tous seuls. Comme pour illustrer mes pensées, voilà que l'envie et l'avarice viennent défendre leur bout de gras, insinuant dans des discours à peine voilés qu'ils ne seraient pas les premiers à mettre la main au porte-monnaie.

-Je vous demande pardon ? Pardonner à Arvandor ? Soyez assurés que cela n'arrivera pas de mon vivant. Mon regard se pose, fielleux, sur l'avarice. Nous sommes simplement dans un cas de « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ».

Bien. Ça y est, j'en ai ma claque. Si le ton est resté aussi courtois que possible, on peut aisément sentir que la Colère est à l'extrême limite d'exploser à l'intérieur de moi. A vrai dire, si je n'ai pas encore quitté l'assemblée ce n'est qu'à cause de mon attachement pour l'étiquette. Mais, contrairement à ma titanesque homologue, ma patience a ses limites.

-Cétacé C'est assez. fit la baleine. Ma partenaire de la patience est bien trop gentille avec vous. Cette discussion ne mène à rien. Si Clara Nocte est trop fier pour s'abaisser à former une alliance, Al'Malaq essaie de nous extorquer et Arvandor se permet de se comporter comme si la moitié de l'assemblée ne les haïssait pas, nous perdons notre temps.

Ma langue claque de mécontentement. Et si je ne hausse pas le ton de ma voix d'un décibel, celui-ci est suffisamment sec pour faire comprendre mon irritation. J'ajouterais bien quelque chose comme « et rien ne m'agace plus que ça », mais je pense que ce n'est pas nécessaire.

-Si vous n'êtes pas prêts à faire des sacrifices pour œuvrer contre la Tour Galate, c'est qu'elle ne représente pas une menace si grande que cela. Vollheim étant à des milliers de kilomètres, nous serons parmi les derniers à subir son influence. Nous avons d'autres problèmes.