Finalement, elle avait changé ses horaires. Puisqu'elle avait pris l'habitude de jouer avec son protecteur pendant ses soirées, à présent, elle dansait en journée. Voilà qui lui changeait. La journée, elle ne croisait pas les mêmes personnes. Que préférait-elle ? Ni l'un ni l'autre. Après tout, la plupart restaient des humains, donc indignes de la moindre attention... Quoi que... Ce fameux protecteur était humain, lui aussi. Et, elle se détestait pour cela, mais... Elle devait bien reconnaître qu'elle l'appréciait. Enfin. C'était une exception, voilà tout.

Ce qui était par contre bien plus intéressant, c'étaient les conversations qu'elle pouvait écouter sans en avoir l'air lorsqu'elle arpentait les lieux où elle se produisait, avant ou après les représentations. Et ce que lui confiaient les quelques membres de son public qui venaient la voir après le spectacle. Apparemment, une élue était en ville. Une élémentaire aquatique... Voilà qui était très intéressant. Finalement, peut-être son but n'était-il plus si loin... Peut-être que, pendant tout ce temps, elle s'était fourvoyée. Peut-être que chercher un lieu au climat brumeux n'était pas la bonne solution. Peut-être qu'il lui fallait simplement trouver la bonne personne.

Alors, c'était certain, dès qu'elle aurait un moment, elle irait la voir. Ce qu'elle fit, vers midi le jour même. Elle se trouvait dans le quartier artisanal. En passant devant l'échoppe d'un boulanger, elle hésita. Il était midi, elle allait voir quelqu'un à qui elle comptait demander un service... Devait-elle venir avec un cadeau ?

Finalement, elle se dit qu'il s'agissait d'une élémentaire d'eau, autrement dit, une soeur. Elle ne pouvait pas venir les mains vides. Elle entra donc pour acheter... Elle ne savait même pas comment s'appelait ce qu'elle avait pris. Elle irait probablement le décrire à Woo Jie et il lui dirait ce que c'était. Mais pour le moment, ce qui comptait, c'était à présent d'aller voir cette soeur, de lui offrir son cadeau et d'espérer qu'elle l'apprécie, pour ensuite pouvoir parler des choses sérieuses.

Elle se présenta à la sécurité (en donnant le moins d'informations possible, évidemment. Elle ne leur fournit que son nom et le fait qu'elle était une danseuse qui se produisait dans les environs) puis, lorsqu'elle fut autorisée à entrer, ne put d'abord pas parler. Cette femme avait créé un paradis aquatique dans sa pièce. C'était magnifique ! Et, pour la première fois depuis qu'elle était arrivée dans ce pays, elle se sentit apaisée, et réellement en confiance. Cette femme serait peut-être une bonne confidente ? Dans tous les cas, si elle voulait son aide, elle se devait de lui faire confiance et de se confier à elle.

Au bout de plusieurs minutes, elle parvint un peu à revenir à la réalité et à refermer cette bouche bée. Alors, elle s'approcha de la femme, voulant avant tout lui offrir son pain :

- Je...

Ah. En fait, elle ne savait pas comment s'y prendre. Se raclant la gorge, elle finit par reprendre :

- Hum, pardon. Je me disais que je ne viendrais pas les mains vides, et... C'est l'heure de manger, donc j'ai pensé qu'un peu de nourriture pourrait vous faire plaisir...

Mouais. Pas terrible comme présentation. Mais au moins, elle avait introduit son cadeau.

Elle refusait. Pourquoi cela faisait-il mal ? Après tout, c'était la première fois qu'elle faisait un cadeau à quelqu'un, elle aurait dû se douter qu'elle ferait probablement des erreurs. Avait-elle fait une faute qui empêchait la destinataire de son cadeau de l'accepter ? Si tel était le cas, elle voulait savoir quel avait été son faux pas, comment s'améliorer autrement ? Pour une fois qu'elle rencontrait quelqu'un qui lui était proche, elle ne voulait surtout pas la décevoir !

Enfin... Elle voulait du savoir ? Dans ce cas... Elle devrait en effet se confier. Mais si elle voulait son aide, elle n'avait de toutes façons pas le choix. Sans protester, elle rejoignit la chaise indiquée. Elle offrirait la pâtisserie à son mécène, voilà tout. C'était censé être un cadeau et ça le serait !

Enfin, quoi qu'il en soit, elle devait... Pardon ? Pourquoi s'était-elle interrompue ? La brumeuse avait-elle encore fait une erreur ? Il y avait donc une manière de s'asseoir ? Et elle ne l'avait pas respectée ?

Puis elle continua comme si de rien n'était... Etrange, tout cela... Alors, elle n'eut qu'une seule chose en tête :

- Euh... Tout va bien ?

Très bien, il fallait donc se recentrer. Se concentrer sur ses demandes... Bien. Prenant une longue inspiration, elle se lança :

- Bien, alors... Mon problème, c'est que je suis une élémentaire... Comme vous, j'imagine ? Mais je n'ai jamais demandé à ressembler à... ça...

Le dégoût qu'elle ressentait pour sa forme humaine transparaissait sans aucun doute dans son intonation. Elle se trouvait laide, n'avait pas choisi sa forme... Et voulait revenir se mêler à la masse informe des brumes. C'était ça qu'elle trouvait beau. C'était ce qu'elle voulait être.

- Ce que je voudrais savoir, c'est... Est-ce que vous savez où pourraient se trouver les miens ? Avez-vous connaissance d'un nuage de brume pas forcément naturel ? Je ne veux rien d'autre que d'y retourner...

À présent, elle s'était confiée, la situation reposait désormais entre les différentes mains de son interlocutrice.

Elle l'avait parfaitement percée à jour. Sa famille et se débarrasser de ce corps... Oui, c'était exactement ce qu'elle voulait ! Néanmoins... Elle ne semblait pas savoir ce qu'il fallait pour la guider. Bon... Tant pis. Son protecteur, lui, lui avait parlé de certains endroits. Même s'il ne voulait visiblement pas s'y rendre, il lui avait promis de l'y amener. Et elle ne le pensait pas capable de mentir. D'autant plus qu'elle ne lui en aurait pas voulu s'il avait changé d'avis...

Mais trêve de divergence. Elle n'était pas là pour penser à lui.

- Qui j'étais... Euh... Je crois que... Que depuis le temps... J'ai oublié.

Elle avait fait cette confidence d'une petite voix, soudain moins assurée. Et se détesta pour cela. Cette femme voulait l'aider, c'était évident ! Mais pour cela, elle avait évidemment besoin d'informations. Et pour une fois qu'elle était disposée à donner ces informations... Elle en était tout simplement incapable. Elle se serait giflée. Décidemment, le monde ne semblait pas de son côté. En même temps, c'était normal : il n'était pas SON monde... Elle ne devrait donc pas s'attendre à ce qu'il l'aide.

Alors qu'elle réfléchissait, elle assista à une scène qu'elle aurait voulu stopper. Elle fit même un gest vers ce bras... Mais trop tard. Il avait déjà... Quitté son attache... Quelle horreur ! Elle lui avait affirmé ne pas souffrir... Mais était-ce seulement pour l'empêcher de s'inquiéter ? Eh bien dans ce cas, c'était raté ! Elle s'inquiétait peut-être plus que si elle avait crié de douleur... Mais elle ne dit rien. Elle sentait qu'elle n'en avait pas le droit.

Néanmoins, ce qui se passa par la suite l'intrigua. Ainsi, elle n'avait peut-être pas besoin de poursuivre cette quête ? Elle portait la brume en elle ? L'espace d'un instant, elle observa son propre bras. Si elle aussi le tranchait... Verrait-elle des volutes s'envoler ? Ce qui lui prouverait toute la futilité de sa quête. Après tout, si elle portait déjà la brume en elle... Il lui suffirait simplement de...

Comme si elle avait lu dans ses pensées, la fille des eaux lui affirma qu'il lui fallait mourir pour atteindre son but. Déterminée, elle plongea son regard dans le sien :

- La mort ne me fait pas peur. Je veux simplement trouver le bon endroit. Je ne veux pas de cette solitude. Ce monde n'est pas le mien, mais si je libère ma brume maintenant... La solitude sera toujours là. Mais maintenant, je sais quoi faire. Merci pour ces informations.

D'autres personnes souffraient également ? Mais si elles n'avaient rien d'autre en commun avec elle... Elles ne pouvaient pas comprendre. Non, cette femme était bien trop gentille. Elle-même ne pouvait visiblement pas comprendre. Autrement, elle ne lui aurait pas donné ce conseil. Lui donner envie de vivre ? Mais elle n'avait pas spécialement pour but de mourir !

- Mourir n'est pas mon but... Simplement un moyen que j'utiliserai s'il le faut.

Après tout, si elle voulait réellement mourir, elle l'aurait probablement fait au moins un siècle plus tôt. Non, simplement, elle avait un but, et ne reculerait devant rien pour l'atteindre. Elle paierait le prix qu'il faudrait... Voilà. Sa vie était une monnaie d'échange. Quelque chose qu'elle aimerait garder, mais qu'elle donnerait volontiers si on lui offrait quelque chose d'aussi précieux en échange. Et pour elle, rien n'était plus précieux que les siens.

Enfin, quoi qu'il en soit, elle ne pensait pas que cette femme puisse l'aider davantage. Alors, elle se leva et, dans une révérence maladroite, prit congé :

- Je vous remercie. Je vais réfléchir à tout ça. Quant au reste du cheminement... Je sens que je dois le faire seule. Merci de m'avoir accueillie.

Après une hésitation, elle finit par se forcer à quitter ce havre de paix. Pourrait-elle revenir simplement parce qu'elle s'y sentait bien ? Elle en doutait. Enfin, on verrait bien. Plus tard.