Tes pas ont su te mener ici, en ces lieux bien plus miséreux que la grande capitale avare. Tu as mené tes hommes, de tes paroles toujours cassantes, en sécurisant les rues que tu avais prévu d'emprunter. Tout a été prévu à l’avance, calculé au millimètre près pour ne croiser personne et ce, même cachée derrière ta fine armure d’acier te protégeant du monde extérieur. Avalon n’est pas Arvandor, et tu ne comptes pas respirer les effluves des quais à longueur de journée. Tu es ici dans un but bien précis, personnel et égoïste, et personne ne saura te faire dévier de tes caprices.

Pas même tes hommes.
Ni même l’auberge que tu as vidé pour l’occasion, sans la moindre once de honte.

Au diable les pirates.
Au feu les corsaires.

Ce soir tu seras la reine des lieux, en ce logis réputé et respecté. Loin des quais, loin des ivrognes et des malades, loin de ceux que tu n’hésites pas à brûler vif pour les défaire de leurs maux. Toutes les chambres se sont vidées, à l’exception de quelques-unes occupées par tes hommes de main, tes meilleurs soldats et protecteurs, soigneurs pour certains, bien moins réputés pour d’autres - assassins diront certains.

Et après un tel débarquement, tu as permis à tout le monde de s’évader, ici et là, surveiller les alentours, récolter des informations, poser des questions aux locaux dans l’espoir de mettre le doigt sur une piste : celle du céleste ayant fugué il y a bien des années maintenant. C’est dans l’espoir de retrouver le médecin que tu as monté ta petite équipe, une petite dizaine d’hommes au maximum, pour investir les lieux. Tout ça par caprice, pour une crise que tu n’as plus su contrôler malgré les années. Tu veux, non tu dois comprendre pourquoi Orion s’en est allé, sans même te laisser un mot.

Tu ne lâcheras rien tant que tu n’auras pas obtenu tes réponses. Délaissant ton armure sur le bord du lit, tu as profité d’un instant en solitaire pour chasser les drapés couvrant de trop ta peau et respirer sans les couches superflues protégeant ton derme du monde extérieur. Déposant tes notes sur le petit bureau, aux côtés d’une bougie crépitant - rare source de lumière de la pièce, tu as laissé un bain couler, dans un silence presque terrifiant.

Sans te douter un seul instant que tu n’étais probablement pas seule.

Arvandor en lui-même regorge de richesses, et tes voyages l'ont prouvé ; il est donc temps pour toi d'y revenir pour t'emparer des richesses des autres. Tu te fais tout de même discret dans ce pays, notamment pour ne pas être embrigadé là où tu n'as pas envie d'être. Drapé de vêtements immaculés et d'un masque vieilli par le temps tu serpentes, tu sens bien que le quartier dans lequel tu t'engages commence à sérieusement se vider, comme si quelque chose était en train de se passer.

Alors tu restes attentif, tu plisses les yeux. Tu vois de l'agitation ici et là, l'auberge populaire qui se fait fuir comme la peste, puis l'arrivée d'hommes menaçants. Il ne te faut pas beaucoup de temps pour comprendre qu'il va se passer quelque chose d'intéressant. Mais sans contexte, tu ne sauras pas si tout ça vaut le coup. Pris d'une folle envie de jouer la carte du risque, tu t'aventures donc là-bas. Dans les ombres, voilà que tu t'y fonds jusqu'à ressortir ailleurs et ainsi pouvoir te faufiler à l'intérieur, silencieux et d'une humeur particulière.

Dans l'immense chambre, il y a une armure qui brille et qui attire immédiatement ton regard. Tu rampes vers elle, prudent, attentif aux alentours. Le silence est assourdissant et une fois proche de l'armure, tu en profites pour observer chaque finition. L'ouvrage est beau, tu te permets de venir y poser tes doigts gantés pour mieux apprécier la qualité. Puis tu observes les notes, la curiosité prenant le dessus sur la simple envie de voler et de t'en aller.

Quelque chose de bien plus important se trouve par ici.

Et tu préfères largement être plus gourmand, mettre ta vie en jeu pour la reprendre et repartir avec beaucoup plus que ce que tu as misé. Le hasard fait bien les choses et tu le sais, tu souris même en sachant que tu pourras te sortir d'une situation désagréable en trouvant une part d'ombre dans cette pièce bien peu éclairée.

Ta queue vibre d'impatience. Tu fouilles encore, ici et là, avant de t'assurer que la pièce soit bien fermée à clé et qu'on ne t'embête pas. De l'eau coule et tu as conscience de ne pas être seul par ici. Tu serpentes encore, attrapant quelques objets pour les fourrer dans une sacoche accrochée à ton ventre. Tant pis si tu fais tomber quelque chose à force de remuer en silence dans cette pièce, ton charme suffira certainement à faire taire cette personne probablement bien trop riche pour rester en vie face à toi.

Enfermée dans cette salle d’eau, tu as laissé tes doigts peigner tes cheveux, tes mains propres de toute germe nettoyer ton visage dans l’espoir de chasser la moindre imperfection, la moindre maladie qui pourrait envahir les lieux. Et l’encens que tu as emporté avec toi brûle une douce odeur bien plus agréable que les effluves d’alcool alentour. Tu ne te doutes de rien, pas tout de suite, pas en te plongeant dans ce bain pour calmer tes muscles endoloris par l’armure et le trajet. Pas alors que le silence règne, parfois entrecoupé par le parquet grinçant et les marches malmenées par tes soldats rodant autour de ta chambre. Tu as clos tes yeux lourds, plongeant sous l’eau de longues secondes pour tout oublier, t’échapper de la réalité avant d’en sortir et te sécher. Chaque geste est millimétré, parfaitement orchestré pour ne toucher que ce que tu sais sain. Tes pieds nus ne touchent même pas le sol, rapidement chaussés, tes cheveux vivement séchés bien qu’encore humides alors que tu te pares de cette robe légère, blanche, aussi immaculée que les ailes de l’être que tu recherches. Tes mains gantées de soie, tu t’es figée en entendant un bruit dans la pièce d’à côté, ta chambre. Quelque chose a roulé contre le bois, un morceau d’armure, un vase décoratif, n’importe quoi.

Mais tu n’étais pas seule.
Plus maintenant.

Tes doigts ont tâté la pierre du lavabo, à la recherche d’une arme. Une lame, un rasoir, n’importe quoi pour te protéger. Mais rien ne te tombe sous la main. Alors tu fulmines un peu, tu tends l’oreille dans l’espoir d’entendre autre chose en t’avançant lentement, pas à pas jusqu’à la porte séparant les deux pièces. Tes doigts caressent le bois avant de la pousser, la faisant grincer d’un bruit horriblement agaçant.

Et ton regard se pose sur l’être, la queue d’abord, immense, que tu remontes lentement d’un regard mauvais.

Assassin.
Terriblement malsain.
Et inquiétant.

« Vous n’êtes pas l’un de mes soldats. »

Ta voix est mécanique, ton regard bleu inquisiteur dévisageant la créature en face de toi.

« Qui êtes-vous ? Et réfléchissez bien à vos mots, c’est un conseil. »

Ta présence semble être remarquée, mais tu fais mine de rien. Tu fronces simplement les sourcils, dissimulé derrière ton masque et les voiles couvrant ta tête en prenant le soin de sécuriser ce que tu as bien pu prendre. La sacoche désormais dans ton dos, tu refuses d'être surpris, calant tes mains entre elles en attendant presque patiemment qu'on vienne te cueillir.

Les bruits de pas lourd t'alertent, mais peut-être pas assez pour que tu réagisses. Personne ne viendra ici, tu le sais. Tu l'espères. Et sinon, tu iras te battre. Sous le masque tu tires la langue, tu ne peux pas récupérer les informations comme le font les reptiles mais c'est un réflexe que tu gardes même masqué.

Puis finalement, voilà que tu dois confronter le propriétaire de l'armure. Tu gardes ton calme, tu souris mais rien ne se voit ; le coin de tes yeux se plisse légèrement et tu observes la femme que tu estimes déjà peu commode pour ne pas la sous-estimer. En vérité, tu t'en fiches un peu. Si elle te tue, tu seras comblé. Si tu la tues, ce sera pareil. Et si vous vous trouvez un terrain d'entente… Tu ne sais pas comment tu vas réagir.

« Je ne suis qu'une âme en peine qui cherche l'enrichissement. »

Tes cils papillonnent et tu restes droit. Tu as l'impression qu'elle n'est pas armée et tu en profites pour lui bloquer le passage pour qu'elle n'alerte pas ses soldats. Tu hausses les épaules, tu analyses tout, l'esprit critique et vivace pour déjà trouver des solutions.

« Quand j'ai vu le quartier bouclé, je savais que je pouvais trouver mon bonheur. », tu siffles légèrement, redressé, les écailles scintillantes sous la très légère lumière. « Peu de monde est en mesure de se privatiser toute une auberge. »

Tu avances ton corps vipérin pour protéger le torse humain, méfiant, la queue remuant sans pour autant entendre de sonnette.

« Vous allez m'aider. Qui êtes-vous ? »

Tu détailles la créature devant toi, tes yeux s’arrêtent sur ses écailles, puis sur sa taille surplombant sans honte la tienne. Tu gardes le menton levé, fier et sévère, même lorsqu’il ose bloquer la seule porte de la chambre donnant sur l’extérieur. Tu pourrais crier, nul doute qu’avec les fenêtres ouvertes, tes hommes pourraient t’entendre, mais tu ne te sentais pas particulièrement en danger. Pas encore du moins.

« Vous avez au moins le mérite d’être sincère. » Tu apprécies ça, au moins l’homme ne cherche pas à te charmer de mots futiles, mais ce n’est pas pour autant que tu allais le laisser s’en tirer comme ça. T’avançant dans la pièce, tu enjambes un bout de sa longue queue pour te rapprocher du petit bureau et vérifier ton carnet de notes. Des éléments de ton armure semblent par contre manquants, de quoi t’arracher un petit rictus agacé.

« Vous êtes impoli, mon cher. On se présente toujours en premier devant les dames. Vous vous permettez de vous introduire dans la chambre d’une haute personnalité, pour ensuite lui dérober ses biens- » Ta langue claque, pour accentuer tes mots alors que tu l'assassines du regard. « puis vous vous permettez une question bien indiscrète. Déclinez votre identité en premier, avant que je ne perde patience en appelant mes soldats à l’aide. »

T’habillant d’une longue veste pour cacher tes épaules dénudées, tu t’installes sur la chaise, les jambes croisées, les mains jointes de ton aura inquisitrice. Tes yeux détaillent encore la bête et quelque chose attire ton attention. Les ailes sur le haut de son crâne, à peine perceptibles dans l’obscurité, te forcent à écarquiller un peu plus les yeux et étirer un sourire mesquin.

« Vous êtes … un céleste ? »

Son calme t'agace. Mais son manque flagrant d'envie d'être agressif face à toi te pousse à essayer de gratter un peu plus de terrain. Tu sais que tu tireras de bons prix de ce que tu peux lui tirer, et si tu peux t'emparer d'encore plus de richesses, tu le feras sans hésiter. Ton regard brille sous le masque à l'expression figée dans ce petit sourire narquois et tu frottes davantage tes mains devant elle, comme pour retirer le vice qui te colle aux écailles.

« Allons, je ne suis aucunement dangereux pour vous… Seulement pour ce que vous possédez. »

Sous la coiffe qui dissimule tes cheveux, on peut entendre le cliquetis des bijoux qui s'entrechoquent entre eux. Tes mèches remuent, mal attachées, et ton regard ne quitte pas ta victime, bien au contraire. Tu soupires, il te faut vite un nom, une vie qui n'est pas la tienne.

« Je me nomme Orion. Je n'ai rien d'autre à vous indiquer, puisque notre échange risque d'être expéditif. »

Tu serpentes encore dans la pièce, la remplissant de ta présence, de tes miasmes qui traînent désormais au sol. Même si ton vêtement semble immaculé et digne d'un médecin prenant à cœur son métier, tu n'en restes pas moins sali par la vie et condamné à une vie de misère que tu embrasses parfaitement sans t'en plaindre. Tel est ton rôle de balance pour équilibrer le bien et le mal, il vaut mieux s'abaisser au plus bas pour prendre les autres à revers.

« Vous m'excuserez, je ne suis pas le plus cultivé, je ne connais pas la tête de toutes les hautes personnalités ; cela m'aurait arrangé de tout savoir, cela dit. »

Au pire, il te reste de nombreuses années devant toi pour pouvoir acquérir plus de connaissances et affiner ton flair et ton savoir. Tu siffles encore entre tes dents, bien redressé sans comprendre d'où vient cette question. Tu replaces donc la coiffe, presque gêné qu'elle ait su distinguer un si petit détail.

« Seulement partiellement, ma dame. Je n'ai aucune raison d'aller à Elysium, je ne suis ni pur, ni un véritable être volant. De plus, une vie de servitude ne me plairait pas du tout. » Tu détailles sa position, tout ce qu'elle peut dégager. « Pourquoi ? Vous avez une appréhension d'eux ? »

L'amadouer, la divertir, pour mieux dérober une bourse, ou mieux, l'armure complète, ce serait parfait.

Tu observes chaque geste, chaque regard, pour ne pas te laisser surprendre. L’hybride est intriguant, presque amusant même alors qu’il serpente en ces lieux pour les salir. Si les miasmes arrivent à t’arracher un rictus dégouté, c’est son nom qui te fige un instant sur place. Les yeux écarquillés, tu pourrais presque te sentir en danger, l’ambiance s'alourdit en une fraction de seconde. Tes doigts glissent contre le tiroir du bureau pour en dégoter une dague et vivement tu te lèves pour venir piétiner le bout de la queue de la créature de ta maigre force.

Et tu appuies, encore et encore, pour le faire souffrir, alors que tu le dévisage d’un regard meurtrier.

« Comment connaissez-vous ce nom ? Qui vous envoie, sale monstre ? »

Tu appuies sur chaque mot, la lame sortie de son étui, prête à lacérer les écailles pour le faire souffrir et le faire parler. Non, personne n’a pu vendre la mèche, aucun de tes hommes ne serait assez fou pour te trahir et tu es certaine de ne pas être surveillée ; tu fais bien trop attention à tout, en permanence. Alors comment peut-il ? Serait-ce une coïncidence ? Impossible. Connaît-il le céleste ? Et si oui, aurait-il été capable de lui faire du mal ?

« Vous n'êtes même pas un céleste pur, vous n'êtes qu'un bâtard. » Comme Orion au final, même si tu avais tendance à l’oublier au fil du temps qui passe. « Vous allez gentiment m’expliquer qui vous êtes, d’où vous sortez et ce que vous voulez réellement, sans mensonge. Vous avez voulu jouer à l’intrépide en venant ici mais je crois que vous avez sous-estimé mon escouade. » Tu ris, moqueuse en mettant un peu plus de poids sur sa queue. « Je vous préviens, si vous avez touché à un seul des cheveux de mon fils, c’est toute la brigade de la guérison que vous aurez à vos trousses, si ce n’est Arvandor tout entier. Alors soyez raisonnable mon cher, et parlez. Nous avons toute la nuit, pour nous entretuer. »

Le changement d'ambiance semble te rendre un peu confus. Tu penches la tête sur le côté, la queue s'enroulant sur elle-même pour faire un peu de place. Tes écailles frottent entre elles, font un petit bruit que tu as toujours trouvé agréable jusqu'à ce qu'on t'empêche d'aller plus loin. Immédiatement, tu siffles, la douleur te piquant pour t'avertir d'un danger immédiat. Tu ne comprends plus rien l'espace d'un instant, on dirait que tu as touché un point sensible alors que tu t'agaces entre deux plaintes.

C'est à ton tour de sortir une dague pour te défendre, la lame encore sanguinolente de ta dernière victime. Tu n'as pas vraiment eu le temps de tout bien nettoyer et qu'importe, ce qui t'intéresse là, maintenant, c'est de ne pas finir avec un trou dans le cœur. Tu as encore beaucoup de choses à faire dans ce monde et il est hors de question de rejoindre ton compère dans la mort. Pas après l'avoir laissé crever sans rien dire ni faire.

« Vous montez tout de suite sur vos grands chevaux, doucement, vous risquez de vous faire mal. »

Derrière le masque, ton visage s'est décomposé. Tes yeux se figent sur deux cibles différentes : la dague et son visage. Puis, lentement, l'émeraude est troquée par des rubis, tu vas rapidement devoir trouver sa faiblesse, une façon de la charmer et de calmer le jeu. Tu prends le risque de te rapprocher, les écailles ventrales frottant contre le sol grinçant sous ton passage.

« Oui, un bâtard, comme beaucoup de monde. » La douleur est telle que tu as du mal à te concentrer. Tu enroules ce que tu peux autour de son pied pour garder une prise et frotter les écailles contre sa peau et chercher une faille. « Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler, madame de la brigade de la guérison. »

Elle semble se confier, peut-être sous la peur, probablement pour te tirer les vers du nez alors que tu n'as rien à voir avec ses délires. Son fils ? Tu ne sais même pas qui il est. Tu serres les dents, la prise ferme sur ta lame qui sert plus de dissuasion que d'une vraie menace ; il vaut mieux pour toi qu'elle n'alerte pas son escouade.

« Je ne suis qu'un vagabond. Je vous assure que je n'ai aucune idée de ce que vous me voulez. N'alertez pas votre escouade, vous semblez simplement avoir eu une montée en tension. Mais je suppose que vous n'avez pas besoin de docteur… »

Le bout de ta queue remonte, caresse, alors que tu lui fais les yeux doux. Si elle ne tombe pas dans ton piège, tu vas probablement finir embroché sur un piquet pour servir d'avertissement aux futurs visiteurs.

« Ne jouez pas à ça avec moi, je veux simplement des richesses. Cette dague n'est là qu'en cas d'extrême urgence, et j'ai comme l'impression que vous ne voulez pas la toucher. Allez, calmez-vous. »

Les sifflements dans ta voix se font plus intenses alors que tu meurs d'envie de te jeter sur elle pour la mettre hors d'état de te nuire. La survie est, sur l'instant, beaucoup plus importante.

« Qui est votre fils ? »

Tu es défigurée par la colère et la rage, la lame agitée frénétiquement sur les écailles de la bête sans pour autant la blesser. Il a peur, tu le sens, et tu es bien trop instable pour instaurer une aura de confiance.

« Dis donc mon chaton, on a plus trop le même discours. On commence à craindre pour sa vie ? »

Il ne cesse de déposer ses miasmes, un peu plus encore sur le parquet, ça t’agace mais tu ne dis rien, te contenant de froncer les sourcils alors que sa queue remue, s’enroule, remonte le long de sa jambe, caresse ta peau. Ça t’arrache un frisson, un rictus dégoûté mais rien de plus. Alors tu appuies un peu plus, pour le bloquer dans son avancée sans jamais le lâcher du regard.

Tu es terrifiante.
Tes yeux bleus brillant presque d’une lueur malsaine dans l’obscurité.

Quand il dégaine sa dague, tu échappes un rire accompagné d’un souffle, moqueur et provocateur en t’avançant, tes jambes enjambant sa queue pour le surplomber, une jambe de chaque côté, le poitrail bombé pour te montrer un peu plus inquisitrice et autoritaire.

« Vous avez peur, comme c’est mignon. Rangez votre lame, ce n’est pas un jouet vous pourriez vous blesser. »

Tu es méprisante, presque insouciante. Ses yeux doux ne fonctionnent pas sur toi, mais le sang sale de la dague te force à tenir tes distances malgré tout. Parfois tu l’observes, avant de reposer ton attention sur la créature, le bâtard pris au piège dans l'antre du monstre.

Puis la porte de ta chambre s’ouvre, quelqu’un a toqué mais tu n’as pas entendu, trop focalisée sur ton invité surprise. C’est le grincement qui attire ton attention ; tu te tournes à peine, le regard froid, dénué de toute émotion, vers le médecin observant la scène, stupéfié, un plateau à la main.

« Amaury, posez donc le plateau sur la commode. J’ose espérer que vous avez déjà goûter les plats. »

Tu suis le regard de l’homme, en silence, dans un geste lent. Ses lèvres s’entrouvrent mais tu ne lui laisses même pas l’occasion de rétorquer quoi que ce soit.

« Amaury, je vous ai donné un ordre. Allez vous coucher, je vous appellerai dans la nuit si j’ai besoin de vos services. »

L’intrus est ignoré, humilié par ton manque de considération. Il n’est rien à tes yeux, un reptile à écraser, tout au plus. Le médecin ne demande pas son reste, déposant le plateau sur le bord du meuble avant de refermer la porte, vous laissant à nouveau en tête à tête, la pièce plongée dans une obscurité malsaine.

« Où en étions-nous ? Ah oui, mon fils. Culotté de me poser cette question, alors que vous portez son nom. Je refuse de croire que c’est une coincidence, alors arrêtez de jouer à l’idiot, Orion. »

Tes yeux percent, défient les siens et tu refuses de te soumettre à elle. Tes écailles semblent s'hérisser légèrement et tu siffles davantage, inquisiteur et mauvais. Le charme ne semble pas faire effet alors il ne te reste plus grand-chose pour te défendre à part en l'attaquant. La sagesse semble cependant t'habiter l'espace d'un instant.

« Je ne tiens à ma vie que parce que je considère que mon rôle dans ce monde n'est pas encore terminé. »

La lame bien serrée entre tes doigts, tu ne supportes plus la douleur qui irradie le long de ta queue. Dès qu'on libère la pression, tu souffles, tu te redresses pour ne pas la laisser te dominer dans ce rapport de force. Ton corps remue entre ses jambes, ondule pendant que tu te remets doucement des vilaines sensations.

« Vous avez également eu peur… D'avoir perdu le contrôle l'espace d'un instant. »

Derrière les amas de sang, la lame brille, envieuse. Même si les dégâts du sang ont peut-être émoussé la lame, elle saura se loger dans un organe pour y répandre les miasmes dans ce corps bien trop aseptisé. Tu retrousses tes lèvres derrière le masque, toujours à l'affût sur ta cible, refusant de baisser ta garde malgré l'intrusion. Tu ne dis rien, immobile, passant presque pour une poupée grandeur nature qu'on aurait drapé de blanc pour la rendre plus immaculée qu'elle ne l'est réellement.

Il n'y a que quelques sifflements qui trahissent ton inaction ; tu attends simplement que le médecin dépose le plateau pour reprendre ton souffle et humidifier tes lèvres pour te reprendre.

« Voulez-vous que j'invente une histoire larmoyante à propos de votre fils ? Peut-être que j'ai en effet pris son identité, ses activités, ses vêtements… Sa vie toute entière. »

En un clin d'œil, te voilà disparu. Mais un sens aiguisé pourrait permettre de deviner que tu comptes réapparaître dans les ombres ; dans son ombre. L'instant d'après, voilà que tu es derrière elle, enroulant la femme au milieu de l'étau vipérin qui se resserre en quelques secondes.

Puis ta lame vient racler le duvet de sa gorge. Ton souffle est bloqué sous le masque mais ton instinct de prédateur semble prendre le dessus quand tu penses avoir gagné cette partie.

« Peut-être que dans ses papiers on vous mentionne… Peut-être que je suis là pour ça, oui. C'est ça que vous voulez entendre ? »

Un petit rire. Tu baisses la lame mais tu la gardes contre toi sans avoir la décence de te démasquer. Tu observes le plateau, puis les plats. Puis tu te permets d'apprécier son horrible maigreur. Tu grimaces, tu tends une main vers le repas.

« Tout ça, pour une si petite dame ? Je refuse de croire que c'est une coïncidence. C'est pour nous deux. »

La bête joue avec toi, te provoque sans se soucier des conséquences. Si son comportement t’agace, il a aussi le don de t’arracher un petit sourire satisfait ; de la résistance, de quoi t’occuper pour une petite partie de la nuit. « Je ne perd jamais le contrôle, sachez le. » Tu aurais pu t’esclaffer mais la lame glissant le long de ta gorge a forcé ton corps à se figer, scellant tes lèvres le temps d’appréhender la situation. Relevant même la tête pour lui offrir ton cou en provocation tu le laisses prendre ses aises, ton corps serré, pris au piège. Ta main fermement emprisonnée serre ta lame, mais tu ne tentes même pas de planter la queue reptilienne de la bête.

« Vous me donnez la confirmation que vous n’avez pas croisé mon fils. » Tu échappes un crire presque cristallin, les yeux clos en laissant l’homme dominer la situation sans inquiétude. « Orion ne parlera jamais de moi dans ses petits papiers, il n’est pas stupide et je vois mal un incapable comme vous attenter à sa vie. »

Baissant la tête en même temps que lui baisse sa lame, tu jauges le moindre mouvement en rouvrant les yeux, ton faciès toujours ferme et sévère en suivant sa main vers le plateau repas. « Amaury demande toujours à ce qu’on augmente mes rations malgré mes avertissements. Je n’ai pas le temps de manger. » L’immortalité parfaite n’attend pas. « Vous me considérez petite mais je ne suis pourtant pas tant que ça, vos yeux vous font défaut ? » Encore une moquerie provocatrice alors que tu remues pour espérer le forcer à défaire sa prise autour de toi. « Il n’y a rien pour vous, mais si vous vous comportez comme un bon petit chien je vous donnerai quelques restes. Maintenant cessez de jouer à ce petit jeu ridicule et libérez-moi Orion. Je n’ai pas envie de me répéter, si mon très cher fils a parlé de moi dans ses mots, alors vous auriez forcément eu cette information. Encore une preuve de votre mensonge ridicule. »

Et tu lui lances un regard, pétillant dans la pénombre d’une certaine provocation.

Tes muscles vipérins se resserrent encore sous leur prise, tu siffles de façon stridente. Ses provocations vont finir par avoir raison de ta patience et, dans un coup sec et rapide, tu fais comprendre que tes outils et tes menaces ne sont pas là uniquement pour intimider. Si ses piques ne t'atteignent pas directement, une certaine frustration se construit petit à petit. Tu en profites pour l'étudier, désormais au plus proche d'elle, détaillant chaque centimètre abîmé, chaque tache décolorée que personne ne remarque sur sa peau. Puis tu remarques ses veines qui pulsent, tes pupilles se dilatent sous cette vision, puis sous les dizaines d'idées qui trottent dans ta tête.

Finalement, ta lame vient se planter dans la table. Le repas tremble, pourrait presque se renverser sous la violence de ton acte, et tu reviens rapidement à la charge en posant tes doigts gantés contre sa peau souple.

« Alors, c'est bon ? Vous êtes enfin calmée maintenant que vous avez compris que je n'ai pas croisé votre Orion ? » Tu siffles prudemment, le torse bombé d'orgueil. « Je vous rappelle qu'un nom n'est pas unique. »

Son envie de te voir être un petit chien n'a clairement pas l'air de t'atteindre. Tu refuses de la libérer, jouant avec elle à défaut de pouvoir la charmer et t'emparer de tout ce que tu veux sans qu'elle ne se rebelle. Tu te permets même de retirer ce masque neutre, sali par diverses substances avant de finalement la relâcher violemment. La secousse peut la faire tomber au sol, tu t'en fiches, tu n'as d'yeux que pour ce repas dont tu viens t'emparer pour reprendre quelques forces en poussant un petit rire.

« Vous comprendrez bien vite que je ne suis sûrement pas la bonne personne pour assouvir votre besoin d'avoir un chien à qui faire des tours. » Dans un élan de provocation, tu viens gober quelques bouchées sans prendre aucun plaisir. « Votre fils est probablement asservi, si vous le cherchez, vous devriez vous focaliser là où votre nez devrait se trouver en permanence. »

Ta queue vient violemment claquer contre le parquet, tu te remets douloureusement de son piétinement avant de te faire plus petit pour ne pas envahir la pièce. Ton regard aussi brille, envieux de la tourmenter encore un moment avant de fuir par les ombres.

« Mais si vous voulez jouer… Trouvons donc un jeu ensemble. Où il n'y a ni perdant, ni vainqueur. Peut-être que ça vous fatiguera, que vous irez au lit et que je pourrai repartir avec un butin sans avoir à subir votre voix de crécelle plus longtemps. »