Y'a t'il un endroit plus beau que le Désert ?

A perte de vue, du sable. Des dunes, encore et encore, s'étendant à travers l'infini, entre les montagnes et le cratre... Et cette faune ! Des faucons, des rapaces, mais aussi à terre ! Des scorpions, des serpents, des fennec, et des oryx à la viande dure mais si savoureuse ! Oh, je suis sûr que certains s'offusqueraient que je mange ce genre d'animaux, à peine chassés et leur viande réchauffée sur un feu de camp... Mais qu'y puis-je ? Je ne suis, moi même, qu'un cluasan, et si Laphe a réussi à se détacher de nos racines plus sauvages, ce n'est pas mon cas. Cette sauvagerie est la touche d'épices dont ma vie rangée et trop propre a besoin. Mais d'ici quelques jours, je rentrerai. La clémence de Laphe a ses limites, et je les dépasserai bientôt.

Un soupir quitte mes lèvres. Aurai-je aimé être plus sauvage ? Je n'avais peut être pas besoin d'être savant, d'apprendre le marchandage, la loi, et tout ce qui s'ensuivait. Je donne un puissant coup d'aile, pour m'envoler plus haut, et, très vite, mes pensées sont attirées par autre chose. Là, à quelques minutes de vol, un camp. Bien trop désorganisé pour être un camp de nomades, mais pas assez pour être des marchands. Intriguant. Et ça éveille ma méfiance, tout comme mon envie d'aventure... Et en me rapprochant, me voilà encore plus curieux. Au centre de leur camp, une cage. Et à l'intérieur, une silhouette... Le camp doit être constitué d'une dizaine de personnes, et, à leur allure, ce sont soit des mercenaires peu recommandables, soit des bandits de grand chemin...

Et je suis un héros.

Je fonds soudain sur la cage, et, tout en atterissant, je soulève mes ailes, qui emportent avec elle un cyclone de sable qui nous dissimule un instant aux bandits.

"Salut, bel étranger. Besoin d'aide ?"

Le soleil tape fortement, et déjà la peau encore pâle du céleste montre des signes de réaction à la chaleur. Pourtant il ne bouge pas, prostré, les lèvres serrées. Yunhua se répète que Weiyan va finir par se rendre compte de son absence ; si les mercenaires n’ont pas en tête de demander une rançon pour lui avant que ses professeurs ne s’inquiètent. Sauf s’ils ont décidé d’en faire autre chose. L’avantage, c’est qu’ils ne risquent pas de chercher à récupérer ses ailes ; le travail a déjà été fait à ce niveau là. Et très certainement ne le destinent-ils os à la vente, vu le coquard qu’ils lui ont fait en l’attrapant.

L’ancien arvandien a observé ses ravisseurs ; une petite dizaine, les plus proches sont deux homme-bêtes d’un type quelconque de chèvres du désert qu’il n’a pas su reconnaître. Ils ont déjà refusé de lui donner de l’eau lorsqu’il l’a demandé, et dont un peu trop loin pour qu’il entende leur discussion. Ne pas savoir jour sur sa nervosité, sur le bond qu’il fait lorsque dans une bourrasque de sable quelque chose - quelqu’un, réalise-t-il rapidement - tombe du ciel. Un céleste, non, pas vu ses pattes. C’est sans importance ; un allié providentiel, qu’importe si c’est pour se mettre dans d’autres types d’ennuis. Tu te redresses rapidement, agile sur tes pieds malgré l’immobilisme, pour rapprocher de l’autre homme.

“Oui s’il vous plaît… Pourriez-vous aller à l’académie d’astrologie ? Prévenez le directeur…”, il ne faudrait pas que l’inconnu se mette en danger pour lui, après tout. Quelque chose que le céleste supporterait très mal.

Parce que dans le camp, les choses bougent déjà. Et à dix contre un, même en bénissant ses armes, l’hybride ailé risque de passer un sale quart d’heure… et de le rejoindre dans la cage.

“Partez, ne vous mettez pas en danger, ça n’en vaut pas la peine !”

Dans sa manière de voir les choses en tout cas, les autres priment sur lui, tout simplement.

Ah ! Que je parte !

Théâtralement, je me retourne en me relevant, et la petite tornade devient un ouragan, non par la taille, mais par la violence. Un temps précieux. Chacun sera trop occupé à protéger ses yeux, et ne se rendra pas compte que du sable grignote le verrou retenant le pauvre homme, vibrant dans ses mécanismes jusqu'à les fendre. Et d'ici là... Eh bien d'ici là, j'ai à faire ! Je dégaine mes Khukuri, et, à travers le sable, repère mes premières proies. Un homme à droite s'est muni d'une lance... C'est l'arme la plus dangereuse, pour moi. Il suffit que son sens du combat soit un peu aiguisé, et je m'y empalerai. Je bats à nouveau des ailes, cette fois pour me jeter au sol, puis une nouvelle fois pour me précipiter, au ras du sol. Une trainée de sable dans mon sillage, et je la lance autour de moi pour me créer une ouverture.

Enfin, je me redresse, et mes Khukuri s'envolent. Triomphant, je lève les bras, emportant avec moi les tendons des coudes de ce premier brigand.

Mais le temps presse. Sans perdre un instant, je bats des ailes pour me propulser en arrière, et me retourne en l'air. Mes serres se posent sur le bouclier d'un ruffian, avant de l'arracher d'un autre battement d'aile pour le jeter sur un autre homme. De là haut, j'observe la situation, et cela se présente mal. L'un d'eux est hors d'état de nuire, un autre n'a plus de bouclier, et le troisième est sonné... Mais il en reste encore neuf. Je me précipite à nouveau vers le sol, atterissant accroupi, et ma main au sol renforce mon contrôle. Un nouveau nuage de sable les aveugle, mais je n'ai pas beaucoup de temps. Deux secondes ? Trois ? Ca suffira... Deux nouveaux coups d'aile, et me voilà à tourner dans le camp, à toute allure, mes Khukuri frappant à l'envie, partout autour de moi.

La sauvagerie n'est jamais loin, lorsque l'on est un oiseau de proie.

Le premier d'entre eux à se remettre de la tempête de sables se précipite vers moi, épée au clair. Je pare d'une lame, tandis que l'autre vient s'enfoncer dans son épaule, et, d'une torsion du poignet, je m'assure qu'il ne se serivra plus de son arme avant un bon moment. A nouveau, je regarde autour de moi. Ils sont encore sept. Blessés, peut être, mais le combat ne fait que commencer. Jusqu'au moment où je sens, comme une évidence dans le sable, que j'ai achevé ma tâche.

La porte de la cage vient de s'ouvrir dans un claquement.

Yunhua ne peut décrocher le regard de l’inconnu venu à son aide. Lorsqu’il se détourne, il s’attend à ce qu’il parte et pourtant ! Toujours coincé dans sa cage, lui ne peut rien faire, et ses pouvoirs sont fort limités. Il pourrait bénir ses armes, mais le temps est précieux. Et rien ne dit que certains soient corrompus, que son mouvement soit utile…

Pendant quelques instants, le jeune homme ne fait qu’observer ; les mouvements du cluasan sont parfaitement étudiés, une danse brutale, violente, dont les partenaires sont aussi bien le sable, le vent, que les mercenaires. Même lorsqu’il volait, il n’a jamais eu une telle maîtrise de son corps ; il n’a jamais cherché à être une arme, dans le sens le plus sauvage du terme.

A cet instant, il regrette de n’avoir jamais appris à se battre ou se défendre. Il n’arrive qu’à peine à comprendre ce qui se passe, lorsqu’il y voit quelque chose, et n’ose même pas appeler, prévenir, de peur de donner de mauvaises informations. Que peut-il faire, à part attendre et espérer ? Prier les étoiles ? Non. Il ne peut pas tirer les cartes pour l’inconnu, mais pour lui, oui. Et au pire, il ne fera rien de plus que rester dans sa cage…

En tailleur par terre, le jeune homme mélange ses cartes, prie, tire rapidement. Les trois symboles lui tirent un soupir de soulagement, et déjà il sent l’énergie affluer en lui. Ce n’est pas grand chose, ce n’est jamais grand chose, mais ça lui donne l’impression de pouvoir être utile. Et lorsqu’un claquement se fait entendre à côté de lui, que la porte s’ouvre comme par miracle, il ne réfléchit pas, il sort.

Mais quoi faire ?

Il sent qu’il est plus rapide que la normale. Il doit pouvoir s’en servir, surprendre ses adversaires. Dans tous les cas il ne peut pas laisser l’inconnu se battre seul face à tant de monde. S’il en ralentit ne serait-ce qu’un, ce sera déjà ça de gagné. Son regard se perd dans le sable et la furie créés par l’homme-bête, à la recherche de quelque chose d’utile, alors que les cris et la douleur ambiante le mettent mal. Il inspire profondément, restant dans le présent, son objectif de ne pas laisser l’autre homme seul face à ses ennemis bien ancré dans son esprit.

A ses pieds, un petit couteau dont il ne connait pas le nom s’est planté, et il le récupère. Là. Armé. Et bien sûr, quelqu’un le remarque. Oh merde. Son esprit ne se remplit que de ça, en boucle, alors que tout son être voudrait tourner les talons pour fuir. Il évite le premier coup, le second, par sa vitesse améliorée, mais il sent que ça va tourner court rapidement. Au moins, ça en fait un de moins pour l’inconnu. Non… Deux.

S’il pouvait.. Rouler ? Oui, il parvient à esquiver une attaque, encore, avant d’avoir un mauvais réflexe et lancer l’arme qu’il a récupérée ; la lame est bien plus équilibrée et légère qu’il ne l’aurait pensé, car elle vole et se fiche directement dans le bras d’un de ses agresseurs.

“Pardon !! Je voulais pas, j’ai… Désolé !”

Certainement devrait-il apprendre aussi à ne pas s’excuser quand on en veut à son intégrité ; l’autre a l’air encore plus énervé qu’avant.