Pour un ménestrel, le bal arvandien était une occasion parfaite de se montrer. Sisay était resté au royaume, entre de bonnes mains, et Arie paradait ; cheveux relevés sur ses épaules soigneusement marquées, pas de masque, une tenue faite pour danser tout en étant en valeur. S’il gardait dans un coin de son champ de vision l’empereur malaqi, il ne faisait pas mine de s’en approcher pour que cela. Leur proximité n’était pas quelque chose à étaler au grand jour…

Le rire facile, le sourire plus encore, il sortait de la piste de danse lorsqu’il repéra quelqu’un ; il ne lui avait jamais parlé, mais il aurait été impossible de ne pas la reconnaître. Et puisqu’elle ne semblait pas entourée de trop de monde, il s’approcha pour s’incliner avec un respect non feint.

“Lorsque la splendeur noctem est évoquée, il vient souvent à l’esprit la froideur lunaire et la douceur nocturne ; en vous voyant pourtant, l’astre diurne s’impose à nous et nous ne pouvons que baisser les yeux face à votre éclat; c’est un honneur de vous rencontrer, dame Aurélia, vos exploits vous précèdent en tout Arathia.”

Au bal, Aurelia devrait parader. C'est elle qui devrait être sur la scène et on devrait l'applaudir pour ses exploits. Mais le mois dernier, tout a changé. Elle est bien au bal, oui. Mais elle doit marcher avec une béquille, son arme n'est pas à sa ceinture et, cachée sous sa manche, le revers de sa main est vide de toute marque.

C'est un miracle qu'elle soit au bal. Elle ne voulait pas (et elle ne veut toujours pas) sortir, depuis son altercation avec un chevalier saint. Désormais, elle a même peur du tonnerre, imaginez. Aurelia, peur de quelque chose ? Impossible. Et pourtant.

Lorsqu'elle marche entre les invités, sa béquille fait "clac clac clac" et si la musique ne couvrait pas le bruit ambiant, elle serait la plus visible dans la pièce, malheureusement. Elle espère pouvoir passer discrètement et aller se réfugier seule sur un balcon, mais quelqu'un l'interpelle. Un grand, bien plus grand qu'elle. Elle doit jouer le jeu, mais n'a pas envie. Alors elle enfile le masque et se force.

"Bien évidemment ! Vous êtes en face de la plus grande aventurière de tous les temps, après tout. Mais pas besoin de tant d'applaudissements, je ne suis que la sauveuse du monde, après tout."

Elle n'est plus rien.

"Que puis-je faire pour vous, mon bon monsieur ? Et qui êtes vous, exactement ?"

Pas un chevalier saint. L'idée lui a parcouru le cerveau quelques instants, mais elle se sait à peu près en sécurité, ici.

Alors qu’un serveur passait à leur portée, Arie attrapa deux coupes, en proposant une tout en délicatesse à l’élue blessée. Après tout, même abîmée, elle n’en restait pas moins une des figures les plus importante d’Arathia - après l’empereur.

Il ignorait tout.

“Je ne doute pas que vous rajoutiez bientôt un nouveau titre dont nous saurons nous souvenir avec émerveillement. Que viendra-t-il après Dame Aurelia, élue de Clara Nocte, plus grande aventurière de tout les temps, sauveuse du monde, dompteuse de la dirigeante de la Tour Galate, lumière des elfes, héroïne des champs d'argent, cauchemar de la corruption, étoile incandescente, championne de Munditia, as du royaume de la nuit, pourfendeuse de créatures, héraldesse de la lune, légende d'Iter Caedis, dame de guerre, épée du soleil, maîtresse des Polymwets, intrépide et prestigieuse Garde-paix, créatrice d'espoir, maîtresse du pistolet légendaire ?”

Le ménestrel aurait d’ailleurs aimé poser des questions sur presque chacun de ces titres. Les légendes derrière devaient être palpitantes !

“Oh, je vous prie de m’excuser ! Je suis Arie Erebor, ménestrel impérial d’Al’Malaq. Un tel geste de la part d’Arvandor pour l’unification des peuples est une occasion unique de rencontrer tous ceux qui en sont les acteurs. Je n’ai pu m’empêcher de remarquer… ”

Quoi, qu’elle rasait presque les murs ? Que, blessée, on aurait dit l’ombre de ce que les gestes sur l’élue décrivaient ? Non, il n’était pas capable d’autant de médiocrité en lui faisant remarquer.

“Votre présence. Même blessée, votre prestance ne vous fait pas passer inaperçue.”

Il songeait lui remonter un peu le moral, tester également l’avis de l’élue de Clara Nocte sur Al’Malaq ; après tout, il s’agissait aussi de se préoccuper des relations internationales malaqii, bien que celles-ci ne soient pas prioritaire pour l’archipel.

“M’accorderiez-vous quelques instants ? Peut-être pourrais-je mettre mes capacités à votre service, si vous acceptiez de me raconter l’une ou l’autre de ces aventures qui vous ont valu un titre… Je serai honoré de pouvoir composer à votre sujet.”

S’il était immense par rapport à elle, tout dans son attitude se pliait à le faire oublier. Il se voulait humble, à son service.