Les doigts glissant contre cette peau presque asséchée, tu restes caché dans les quartiers privés de la couronne. Tu peux souffler, il n'y a qu'ici que tu peux réellement te dévoiler. Tes yeux balaient la décoration que tu connais et reconnais à force d'y prêter attention, patient en attendant qu'on vienne te rejoindre.

Dans les rangements du bain, il y a des pierres de différentes tailles. Mais probablement toujours de la qualité. Tu n'oses jamais y toucher et sans tes jambes, ce n'est pas simple d'atteindre les endroits les plus hauts. Alors tu roules les yeux, le bout de la queue damnée barbotant timidement dans un coin du bain. Il est prêt, il n'attend que l'arrivée d'une précieuse personne.

C'est avec de bonnes intentions et la meilleure volonté que tu as préparé tout ça. Mais si tu te retrouves seul à pouvoir profiter des bienfaits des bains noctem, alors pourquoi pas. Tu t'es déjà débarrassé des vêtements, soigneusement pliés dans un coin de la pièce. Il commence à faire froid, mais c'est surtout la faim qui te tiraille éternellement. Tu es habitué, bien que particulièrement agité, un doigt frôlant dangereusement cette bouche affamée avant de revenir se focaliser sur les branchies.

« Vous roulez encore des yeux. »

Vous l'avez à peine vu faire en passant la porte de la salle d'eau. C'est presque devenu un rituel que de vous retrouver là-bas, dénués de ces costumes préfabriqués qui plaisent tant en société. Vous préférez bien davantage ces vues-là — siren a la queue méphitique et au corps rachitique — que celles d'une cour aux oreilles parfaitement pointues.

Alors que vous vous approchez, plutôt que de venir directement près de lui, vous vous accordez le temps d'apprécier le spectacle de sa personne — inhumaine — et trouvez de quoi vous installer dans un fauteuil ornemental. Sur vos jambes, vous posez le coffret avec lequel vous êtes venu, autre espèce de coutume qui s'est naturellement établie entre vous.

« Vous devez perdre cette habitude, Vesper », que vous dites, avec une clémence dans la voix qui n'est réservée qu'à lui. Si ce n'est pas Vesper, personne n'a le mérite de vous illuminer les yeux avec autant d'humanité.

Vous posez les mains sur le coffret, dont les odeurs fortes de sang n'aguichent que la créature face à vous. Vous vous oubliez mollement contre le dossier de votre fauteuil et l'observez, le coin de vos lèvres légèrement approbateurs. Dans toute l'absurdité de sa physionomie viciée, c'est sa queue, élément le plus corrompu, qui occupe le plus votre regard.

« Comment allez-vous, mon cher ami ? »

Alors que vos doigts dérivaient déjà gentement sur vos lèvres minces, dévoilant la nature de votre réflexion sans la nommer complètement, vous vous retrouvez à apprécier le trait généreux des siennes, de lèvres, puis celui plus agréable encore de ses seins.

Le dos tout de suite redressé, l'écho de la voix sonne comme une accusation, une remontrance. Mais la voix a toujours raison, c'est donc sans contester que tu baisses la tête. Tu le laisses s'approcher et se mettre en place, silencieux en détaillant le coffret du coin de l'œil. Vous rassembler ici, c'est toujours synonyme d'une habitude morbide mais follement plaisante. C'est rapidement un petit sourire qui habille ta tenue la plus simple et primitif qu'il soit pendant que tu t'approches, rampes à ses pieds, attiré par l'odeur pestilentielle qui se dégage du trésor.

« Bien sûr, mon Rrroi. Je vais le faire. »

Ce n'est pas simple de traîner une immondice de la sorte, tes bras soutenant on ne sait trop comment le poids de ton abdomen, tirant avec la queue viciée à moitié immergée. Son état n'est pas des plus catastrophiques pour l'instant, mais peut-être faudrait-il que tu t'en occupes dans peu de temps pour ne pas t'encombrer des débris qui t'alourdissent.

« J'ai faim, vous le savez. Une faim qu'on ne peut satisfaire. »

Ce serait trop d'honneur de lever les yeux vers Lui. Pourtant, tu te dresses ; l'exercice de charme, de se faire beau, est épuisant, mais nécessaire. Ce qui t'intéresse surtout, c'est le contenu du coffret. Mais ce n'est pas la première fois que vous faites ça, et ce ne sera sûrement pas la dernière. Tes yeux scrutent, se posent ici et là, apprécient tout ce qu'on te permet de reluquer. Tes doigts viennent passer et repasser sur les rares courbes de ton corps, un ronronnement étouffé cassant l'agréable mélodie de l'eau du bain.

« C'est pour moi, tout ça ? Vous êtes trop bon. »

Pire que ça, Sa majesté est toute ta vie. Ta lumière que tu suis aveuglément.

« Je sais… » répartissez-vous, la voix plus basse comme il se tient plus près, mais surtout parce que vous sentez, viscéralement, posséder la même insatiable faim.

Vous tendez la main vers lui, cherchez le contact de sa peau — son bras, si fin dans votre paume que le contact en est déconcertant, mais vous aimez ça. Vesper est dans vos yeux une petite chose fragile qu'il faut préserver. Votre regard descend sur son ventre et la naissance de sa nageoire flétrie, alors que vos doigts dévalent avec une douceur infinie son bras… Pour finir par lui prendre la main et l'inviter à s'approcher encore de vous et de ce fameux coffret qu'il dévore des yeux. Autant que vous ne le dévorez lui quand il s'exhibe de la sorte.

Dans un gloussement tu t'offres à Lui. Tu Lui voues une confiance aveugle, il pourrait t'égorger sur le champ que tu ne contesterais même pas ce qui a bien pu lui passer par la tête. Alors tu Lui offres ta main aux proportions douteuses, attiré par Sa grandeur, te tenant maintenant au plus proche sans t'en plaindre.