Le début, c’était facile : tu t’es transformé en calantha pour passer discrètement la frontière, comme pour constater de toi-même les cicatrices de la bataille gagnée par ceux que tu ne peux fuir pour l’instant. Enfin. Tu es à nouveau hors de la Tour, loin de toute surveillance, mais le coeur n’y est plus pour l’instant.

C’est la fatigue et, surtout, ce que tu remarques au sol qui te fait te transformer en toi à nouveau. Par terre, un Bulldingus mal en point. Yeux fermés, langue qui pend jusqu’à toucher l’herbe si verte des champs d’argents, papattes qui tressautent lamentablement.

Bon. Tu as beau te dire que quelqu’un d’autre va le ramasser, quand tu t’approches et qu’il entr’ouvre un oeil pour pousser un soupir dramatique, tu cèdes et le soulève dans tes bras. Ses gémissements, dignes d’une agonie particulièrement réaliste, te font même accélérer le pas - sans réfléchir - vers ce que tu penses être des habitations.

Tu n’iras pas jusqu’aux grandes villes à pied, c’est trop dangereux. Mais si tu peux trouver de l’aide un peu plus proche… Ce sera bien, non ? C’est un coup de bol faramineux, à ton sens, lorsque tu aperçois une silhouette mécanique. Impressionnante - tu es peu habitué aux automates. C’est ce qui te donne encore plus envie de l’alpaguer et tu secoues quatre bras pour être sûr qu’il te repère.

“Bonjour ! ”, les automates sentent-ils la corruption qui t’afflige ? Tu trottines vers lui. “Excusez moi de vous déranger monsieur l’automate, j’ai trouvé ce… chien et il a l’air en piteux état… ”

Tu fixes l’automate comme si tu n’en avais jamais vraiment vu - et c’est vrai, jamais d’aussi près. Fasciné, tu en oublierais presque la créature à l’agonie qui pèse pourtant son poids dans tes bras. Tu clignes des yeux, lentement, sans réaliser que tu reproduis à peu près ce que pourrait faire un Bulldingus quand il fixe quelqu’un, avant de te reprendre. Il est dans le service et l’aide à autrui. Tu es autrui, cet animal aussi. Donc ça devrait aller ?

“Oh, moi c’est Kethry…”

A nouveau, tu tends le blessé, dans un mouvement de demande d’aide explicite. Les bruits que Sinxsis fait ne sont pas rassurants, mais tu ne dis rien, vu qu’il ne les fait pas longtemps. Puis s’il ne ment pas - les automates sont-ils programmés à le faire ? Ou en sont-ils simplement capables ? - il ne vous fera rien.

Quand il annonce que le petit agonisant dans tes bras va parfaitement bien, tu as l’air perplexe. Parce que de toute évidence, il va mal, non ? La langue pendante, le regard épuisé, les petits soupirs, proches du chouinement, qui s’échappent de sa gueule… Tu sursautes pourtant lorsque la voix change, comme si quelqu’un d’autre parlait, te penches un peu vers l’automate comme pour confirmer que ça vient bien de lui. Oui, de toute évidence. Etrange. Encore plus quand il annonce calmement que tu as un nouvel animal de compagnie.

“Oh… ”

Tu as déjà, dans un sens, des maîtres. Mais es-tu capable d’en être un, et de penser à t’occuper d’un autre être vivant ? Avec tes problèmes d’attention, pas forcément. Tu n’as pas encore compris que tu n’as pas vraiment le choix.

“Mais je sais pas m’occuper d’un animal. Je m’occupe de moi et c’est déjà pas toujours très probant.”

Surtout, tu ne sais pas réellement si tu peux le ramener à la Tour sans qu’il ne risque quoi que ce soit. Bon, des Bulldingus ça doit pouvoir se retrouver. Naturellement, tu le tends au robot.

“Vous êtes sûr qu’il va bien ? Vous le voulez plutôt ? Il serait mignon avec vous vous avez… heu… l’air de ne pas risquer de le manger….?”

Déception lorsque tu réalises que tu ne pourras pas refiler la bestiole au premier automate venu. Quoi que. Tu as toujours eu un faible pour les choses mignonnes et de toute évidence le bulldingus… est… mignon… À sa manière. Tu as juste un peu peur pou lui, si tu le ramènes à la Tour.

“Et tu es obligé de répondre uniquement à ce pour quoi on t’a créé ?”, demandes-tu quand même, autant par curiosité que pour trouver un biais cognitif pour lui faire accepter la responsabilité.

Mais il est si fascinant, avec ses changements de voix pour indiquer un changement de registre que tu ne peux que l’admirer, tous les yeux écarquillés. Il vous en faudrait un à la Tour. peut-être que tu peux le convaincre d’y venir, mais tu ignores s’il est possible de corrompre un automate - si on te l’a dit, l’information t’es passé loin, loin au-dessus de la tête et même des branches qui te servent de reliquat d’ailes.

Te recentrer, c’est quelque chose de complexe. Et dompter des choses… Tu ouvres la bouche pour faire une remarque à base de fouet et de jeu de rôle, puis tu la refermes sans oser dire quoi que ce soit. Il ne parle de toute évidence pas de ça. Mais quand l’animal se blottit contre toi, tu soupires. Tu n’as pas le choix. Tu n’as pas souvent le choix, de toute façon à bien y penser. Alors ça ne change pas grand chose en soi… Il aurait quand même pu te demander ton avis. Encore un peu, il va refuser que tu choisisses son nom.

“Oh, vous pouvez m’appeler Kethry, plutôt que jeune Clu… ”

Le changement de couleurs d’yeux du robot t’interrompt, et tu l’observes, bien trop curieux pour te rappeler de ce que tu allais dire. Même la tête cachée sous ton bras et la vibration régulière ne firent que te faire poser une main sur le corps compact, bien trop émerveillé par l’automate. On t’aurait amusé avec un rien, à Clara Nocte.

“Ca doit être pratique pour lire au lit !! Vous pouvez en allumer un seul à la fois ?”

Tu es d’ailleurs tellement focalisé sur les yeux qui font de la lumière que le sursaut qui te prend lorsque la masse sombre frappe le crâne de l’automate est presque ridicule d’intensité.

“Ah, une nébuleuse !! Non, il est tout noir, un Korvax ! Vous voulez un Korvax ? Il a l’air d’aimer votre brillance ! Ou… Ou il la déteste.”

Quand il pique à nouveau, c’est clairement un signe non-affectueux. Et ta responsabilité miniature est terrorisée, alors… Alors tu secoues deux bras et les ailes, pour avoir l’air plus imposant.

“Shoo, shoo !! Vas-t’en vilain volatile !! J’ai déjà une nébuleuse semi-apprivoisée ça suffit !”

Quel manque d’efficacité ! Un regard vers Sinxsis, et il se demande s’il peut simplement vider le volatile de son sang. Ca le fait moyen...

“Vouuus avez quelque chose contre la magie pas très légale ? Je demande pour un ami. Ou des armes cachées ? Vos yeux qui font des rayons lasers. Roses de préférence.”

L'enthousiasme à voir les capacités de l'automate, la curiosité, prend le pas sur le reste.