Carmin qui perle ta cuisse, une plaie à vif, douleur vivace comme réminiscence de ta dernière bataille quelques jours plus tôt, au grand barrage d’argent. Il était évident que tu ne franchirais pas la frontière aussi facilement, les voies marines t’étaient interdites, toi qui fuyait illégalement ce royaume. Nation maudite sous le joug de la lune et d’un roi dément. Mais tu étais loin de te douter que tu te retrouverais confrontée à des combattants aussi chevronnés là-bas. Tu étais loin de te douter que Clara Nocte cachait de telles lames, loin de la civilisation. Ce n’est que de justesse que tu parvins à échapper à leur justice expéditive. Déjà usée de ton voyage jusqu’à présent. Désormais, la pestilence d’Ananda s’ajoutait à ton calvaire. Une atmosphère lourde dont tu avais entendu parler que dans quelques ouvrages. Ignorant tout de la cruelle véracité de ces quelques écrits sur ces terres maudites, ayant jadis appartenu au peuple des Sirens. Mais peut être que parmi ses êtres damnés habitant les lieux, rejetés pour les plus anciens par les cités jumelles, tu pourrais trouver un refuge. Un idée obsédante, c’est ce qui anima ta course folle jusqu’ici. C’était le seul espoir, aussi sinistre soit il, que tu possèdes hors de la nation elfique, la seule chose à laquelle tu étais capable de te raccrocher, de toutes tes forces. Car au fond, tu es victime de ta nature orgueilleuse, tu ne te vois pas te mêler aux peuplades humaines, indignes du sang qui coule dans tes veines.

Mais au lieu de rencontrer un potentiel messie, tu fais face à une nouvelle épreuve. Comme si le monde entier te condamnait à la mort. La faune impie des lieux t’avait prise en chasse, certaine tu semblais assez goûteuse pour ces créatures rongées par la corruption. Les iris voilés par le néant, un soupir qui effleure tes lippes. Le corps tremblant légèrement, la fatigue s’installant pas à pas. Tu ne comptais plus le nombre de jours où tu ne t’étais pas accordé un instant de repos, tu ne comptes plus les semaines qui te séparent de ton existence au sein de l’Inquisition, auprès d’elle. Et la distance qui t’éloigne désormais de ce destin maudit qui est tien. Tu ne peux abandonner, pas aujourd’hui, ni demain. La poigne ferme sur la paume de ta lame, la furie qui est tienne se manifeste à travers tes flammes. Brasier affamé, tout comme toi. Tu es assoiffée de destruction, insatiable de vengeance. La magie parcourt ton corps, plus intense que jamais, au rythme de tes émotions qui s’embrasent.

« Je ne céderai pas maintenant. » un éclat monotone, un murmure craché à toi-même comme une promesse, un serment. Une volonté que tu enchaînes aux caprices de ton enfant intérieur. Il est trop tard pour reculer. Trop tard pour revenir en arrière. C’est le prix de ta liberté, un voyage sans retour. Et tu l’as accepté, dès le premier instant. Ce n’est pas aujourd’hui que la mort viendra te prendre. Tu le refuses. Tu es prête à te battre pour. Les flammes t’entourent, ne font plus qu’une avec toi. Un manteau ardent, plus intense que jamais. Tu les attends, ces bêtes qui guettent dans l’ombre. Qu’elles tentent de te dévorer, elles se brûleront les crocs.

Les cris, les mouvements abominables des bêtes impies, leur agressivité, tout sonne comme une mélodie à tes oreilles pendant que tu t'engouffres dans les terres corrompues. Les aventuriers ont peur de ces terres pendant que tu te sens à la maison, l'esprit probablement aussi tordu que l'apparence de certaines des bêtes. Elles devraient se jeter sur toi, déchiqueter tes chairs maudites pour s'en repaître ; mais elles t'entendent, te comprennent.

Elles sont agitées par autre chose. Une odeur de sang s'est mêlée à la puanteur des lieux et elles traquent, repèrent l'intrus. Les flammes leur font peur, elles restent des bêtes sauvages malgré tout. Elles ne connaissent pas tout ça, elles fuient autant qu'elles observent et guettent. C'est rare de se mettre quelque chose de tel sous la dent et les plus téméraires emboîtent le pas de l'âme chaleureuse de loin en attendant de saisir leur chance.

Quand il y en a une qui sort de l'ombre, tu es là. Tu te dresses fièrement, aussi curieux que les bêtes qui ne semblent aucunement intéressées par ta présence familière. Il faut du temps aux moins habituées pour réaliser que tu n'es pas une menace contrairement à l'inconnu qui éclaire la zone différemment. Tu t'approches, sors du décor noueux et maudit pour faire connaître ta présence.

« Mais que faites-vous ici ? Ce territoire est dangereux… Vous devez être imbattable ! »

Les cris ont cessé l'espace d'un instant. La pression continue, tu offres à peine un répit à ce qui se dresse plus loin. Tes ailes massives remuent pendant que tu gardes une paire de bras croisés contre ton corps. Ta mine semble être curieuse, un sourire se voulant accueillant sur les lèvres.

Comment peut-on être aimable dans un tel endroit ?

Faune hostile, implacable. Au cœur de ce paysage hostile, il se distingue de la furie impie qui émane des lieux, des créatures présentes. Silhouette vaguement humanoïde qui se détache de cette parade monstrueuse. Tes iris azur, aux aguets, ne peuvent lâcher cette forme en approche, comme si une grande menace s’approchait, comme si le maître des lieux allait faire son entrée en scène. Tu fantasmes déjà le plus sombre des scénario, entacher d’une certitude vulgaire que ta situation allait certainement empirer. Psyché parasiter par les récits sur ces terres hostiles, était-ce une telle folie de penser trouver une lueur en ces lieux ? Détermination ébranler, et tes flammes qui ne font que ponctuer le doute qui s’installe dans ton esprit. La magie en osmose avec chacune de tes pensées, le feu ardent devient un peu plus fébrile de seconde en seconde. Ton astre solaire de fortune qui se manifeste par ta lame faiblit légèrement. Provoquant rugissement de satisfaction de la part des monstrueux impies qui t’encerclent. La peur rampe, se mêle à l’ichor bouillonnant qui parcourt tes veines, se diffuse à travers ta magie, écrasant la frustration, cette rage de vivre qui t’habite. Sensation inconnue jusqu’à présent, alors que cette silhouette qui se détache des ombres apparaît de plus en plus concrète, face à toi, une vérité s’impose. Terrifiante réalité qui distille une funeste angoisse à travers tout ton être. Son unique présence était écrasante, tu n’avais aucune chance. C’était l’infini qui vous séparait certainement.

Mais lorsque que la chose ouvrit la bouche, articula quelques mots. Ce fut une surprise, une inexplicable sensation qui vint te frapper, qui fit naître au coin de tes lippes un léger rictus, qui créa un éclat surprenant venant de toi. Gloussement cristallin et nerveux qui s’arrache à ta bouche tandis que le calme s’abat sur la faune hostile. Poigne plus légère sur la garde de ton épée, les flammes s’apaisent, ne laissant qu’une infime lueur pour éclairer les lieux. « Excusez moi, comment ça ? » Impossible de voiler la surprise dans ta voix, délicieux éclat enchanteur vivace, ponctué de soulagement. Angoisse volage, comme si la crainte de finir déchiqueté s’était évaporée. Certainement était-ce le premier être qui prend la parole, sans cracher de menace, avant de prendre les armes. Cela restaure cet espoir ébréché qui demeure dans un coin de ton âme. « Pour vous répondre. Je cherches des habitants d’ici, pouvant me guider jusqu’à la tour Galate. Je cherches un refuge. » Sincérité ardente qui brûle tes lèvres, tu t’interdis le mensonge aujourd’hui. Tu refuses d’abandonner une nouvelle fois ton individualité, une nouvelle fois de jouer le rôle d’une autre. Tu refuses les destins montés de toutes pièce.

« Si ce n’est pas indiscret, ni irrespectueux. En faîtes vous partie ? » Tu ne pouvais faire l’idiote face à la scène qui se présentait face à toi, tu devais voir l’évidence. Ces bêtes, abominations de la nature, l’ignorait… Non, elle semble même se soumettre à la présence de cet être étrange. Tu n’y voyait qu’une explication, un pouvoir inexplicable, peut-être même lié à cette fameuse tour. Tu ne pouvais voilée ton espoir qui débordait de tes iris étincelants. Était-ce la bonne fortune qui frappait à ta porte ? Tu avais bon espoir, ce voyage t’avait épuisée, blessée. La réalité, tu étais à bout de force, mais tu faisais tout pour le cacher, un signe de faiblesse pouvant signer la fin de ton voyage. La fin de cette liberté durement acquise, la fin d’un rêve. Ou peut être d’un cauchemar.

Les animaux aiguisent leurs griffes, leurs bouches multiples, la myriade d'yeux se posant sur elle, puis sur toi. Qui sait ce qu'il va bien se passer, tu hausses les épaules et tu comprends assez vite que si tu ne gagnes pas sa confiance, tu prends des risques pour tout le territoire ? Les monstres pourraient s'en occuper rapidement s'il t'arrivait malheur mais qui sait ce qui pourrait réellement leur arriver si tu n'es pas là pour leur suggérer un plan d'attaque ou de défense ?

« Ici, c'est le territoire des bêtes impies. Personne n'en sort vivant. »

Personne à part les personnes les plus influentes de l'immense tour qui se dresse, visible d'un peu partout à Ananda. Tu en profites pour la toiser, estimer sa puissance, ses intentions. Mais tu n'as aucun outil pour t'aider, toutes tes pensées ne sont que des questions, des suggestions sans queue ni tête pendant que tu viens caresser ton menton du bout d'un doigt.

La dangerosité du lieu ne semble même pas t'affecter, depuis ta corruption, plus rien n'a l'air de t'affecter. Certains prient pour ne jamais croiser de chose impie de leur vie, c'est presque le quotidien pour toi. « Les Dépéris ne sont pas réputés pour leur hospitalité. », et c'est pire quand on cherche à atteindre la tour Galate. « Mais la tour Galate pourrait en effet vous accueillir. Vous venez de Clara Nocte j'imagine. »

Ses oreilles ne trompent pas. Est-elle rejetée de ses semblables ? Ça ne t'étonnerait même pas, ils sont si extrêmes qu'ils se jettent des pierres en permanence, menés par un roi à la réputation sans précédent. De quoi t'arracher un sourire tandis que tu prends le risque de t'approcher. Sa lumière t'attire, elle dégage quelque chose qui t'intéresse.

« Je ne suis qu'un pauvre diacre de la tour. Mais ce serait un plaisir d'être votre guide jusqu'à la tour. Vous avez de la chance d'être tombé sur moi, les bêtes impies ont tendance à m'ignorer. »

Tu tends une main, tu espères bien ne pas te brûler. Mais la curiosité te pousse à aller bien trop loin.

« Il y a des réfugiés de la tour Galate qui ne vous égale pas, j'en suis persuadé. On va devoir s'avancer dans le pays un long moment vous et moi. Quel est votre nom ? »

Tu ne perçois aucune hostilité dans ses mots, bien que ceux-ci revêtent des échos menaçant. Nul ne sort vivant de ces terres. Celle des bêtes impies, un léger frisson parcourt ton échine, tu n’as nul doute quant à la véracité de ses dires. Mais il apporte aussi un chant qui résonne délicatement à tes oreilles, une mélodie qui apaise les démons qui rampe dans les abîmes de ta psyché. Ce n’était donc pas un fantasme, tu peux espérer trouver un refuge au sein de cette colossale tour, celle qui hante des récits bien atroces. Berceau d’une magie obscure. Peut-être y trouverais tu même le pouvoir pour libérer celle que tu aimes de ses chaînes, cette pensée t’effleure délicatement, fait naître au coin de tes lippes un discret sourire. Et les épreuves annoncées par l’inconnu ne te découragent pas, qu’importe ce qui se dressera sur ta route. Qu’importe l’avenir. On pourrait te prédire chaos et désolation, que cela n'entacherait nullement ta volonté. Les fantasmes de la môme égoïste, un délicieux festin pour les monstres de ton cœur, pour tes abîmes insatiables. Et cet être mystérieux, qui se tient face à toi, qui ne fait qu’attiser le brasier de ta gloutonnerie, de tes ambitions, avec ses mots mielleux, les promesses silencieuses d’un demain.

Flammes volages, magie diffuse qui s’évanouit peu à peu, ne laissant que le mystérieux éclats des cieux comme source de lumière, et l’acier d’un acier rougit par la chaleur. Armure éthérée qui s’évapore, te laissant à la merci des ténèbres, de cette faune impie. Mais tu demeures confiante. « Je m’appelle Elysia. Et vous avez vu juste, je suis une une Noctem. Enfin, je l’étais. Je ne souhaite plus avoir à faire avec cette nation. Et vous, monsieur le diacre, puis-je vous demander votre nom ? » Un chant éclatant aux notes chantantes. Entre la glace et le feu. Rythmique absurde qui résonne dans ta voix, entre les éclats de l’ancienne marionnette et ceux de l’enfant rebelle. Tu marques une brève pause, répondant à son appel. Tu tends aussi ta main libre vers lui, comme pour signer cette rencontre d’une poignée entre deux camarades.

« Et c’est avec plaisir que je m’en remets à vous pour me guider jusqu’à la tour Galate. » Tu conclus avec un large sourire, animé d’un espoir inébranlable et énigmatique. As-tu raison de lui offrir ta confiance ainsi ? Tu l’ignores, tu t’en fiches bien. Incapable d’être pleinement lucide, ses mots sont séduisants, ils te plaisent. Comme s’il possédait les clés pour laisser éclater ta soif de vengeance, comme s’il connaissait le chemin pour combler ta démesure. Pauvre petite que tu es, tellement malléable. A la fois immuable et si fragile. Autant inaltérable que brisée. Et aujourd’hui, t’offrais ton âme au diable pour quelques mots douceâtre.

L'acier de la lame attire ton regard comme si tu n'étais qu'un simple insecte devant une lumière. Elle irradiait de cette même lumière tout à l'heure, te guidant jusqu'à elle pour, tu l'espères, lui éviter un tragique destin. Si on peut se débarrasser facilement de la vermine, avec un peu de malchance, elle peut tomber sur des créatures bien moins faciles à défaire.

Elle ne souhaite plus être rattachée à ce royaume, et elle a bien raison. Tu hoches la tête, tu approuves ses dires. Il est inaccessible, difficile à corrompre et dévorer. Les oreilles pointues sont très coriaces et tu en as conscience, même s'ils n'ont pas réussi à débusquer tous les éclaireurs postés dans leurs vastes terres. Pour le moment.

« C'est bien de vouloir s'en défaire. C'est le meilleur choix à faire. Cette nation ne vous mérite pas, et je suis ravi de savoir que vous souhaitez résider ici, ne serait-ce que pour quelques jours. »

Ton sourire est sincère, ou du moins passe très bien ainsi. Vos mains se scellent l'espace d'un instant pendant que tes yeux se fixent sur elle, ignorant les cris lointains des bêtes qui n'ont visiblement pas encore reçu le mot.

« Je m'appelle Jofrta. Si j'avais su, j'aurais dompté un Umbra pour arriver plus vite à la tour. »

Mais si tu n'en croises pas, impossible de les contrôler. Alors pour le moment, il va falloir marcher au milieu des corps, du sol pourri, ignorer le reste du monde. Il y aura sûrement des habitants curieux d'observer l'étrange duo qui s'est formé.

« Nous allons devoir passer près des cultures sanguines, vous connaissez le vin de sangvine ? Ce sera un peu plus sûr après ça. »

Tu marches déjà, tressautant d'impatience. L'accueillir au sein de la tour semble être une très bonne idée. Lui faire découvrir le pire tréfond de l'humanité également. Peut-être même qu'elle se laissera doucement corrompre par la mystérieuse magie du royaume, qui sait ce qui pourrait advenir d'elle ?