Tu étais là, avec elle.

Ou plutôt elle était restée là-haut et toi, tu étais descendu, pratiquement habillé en civil. Au seuil de la porte de ce bâtiment qui vous servait de logis à Munditia. Cela se voyait que le royaume de la nuit n’était pas habitué à recevoir des invités. De plus que votre présence en ces lieux se devait de rester secrète, anecdotique dans le pire des cas. Il aurait fallu que l’on te prenne pour humain noctem, l’un de ceux qui résidaient ici avant la fermeture des frontières, resté bloqué dans ce pays par amour de la nuit.

C’était un petit bâtiment sur trois étages. Avec des chambres vides à côté d’une caserne inquisitoriale. Typiquement le genre d’endroit où personne ne se promène une fois la lune devenue blanche. C’est ironiquement au plus proche du roi que les regards indiscrets se font le plus rare. Munidita semblait déjà peu peuplée aux heures ou Lava Proditores baignait dans la foule. Mais de nuit, c’était un véritable désert d’argent reflétant l’astre lunaire. Ta présence devait rester, comme ta mission ici, secrète. Les frontières du royaume demeuraient closes, vous étiez pour ainsi dire avec ta moitié, l'exception qui confirmait la règle. Où plutôt une entorse aux règles elfiques que le roi s'était permis. Il ne fallait donc pas que ça se sache. Tu devais d'ailleurs rencontrer l'intermédiaire de sa majesté dans les jours à venir pour en apprendre plus sur la raison de votre venue ici.

Mais toi, que faisais-tu dehors ? C’était à cause de l’autre dragonne, bien entendu. Vous vous étiez encore disputés. C’était tous les soirs ces temps-ci. Alors tu avais décidé de prendre l’air… Ou elle t’avait mis à la porte ? Peu importe. Tu ne comptais pas rester accoudé à l’entrée du dortoir. Ce qui te semblait être une ville fantôme te restait à découvrir. Tu te dis alors que n’ayant pas âme qui vive, tu n’aurais peut-être pas d’autres occasions dans ta vie humaine pour visiter l'emblématique ville ouest de Clara Nocte.

Lorsque la lune est argentée, peu de monde s'aventure hors de leur demeure. Ce n'est pas vraiment le cas pour toi, occupé à te faufiler hors des murs du palais pour profiter d'un peu de liberté. Tu ne cours que bien peu de risques avec cette politique de pureté, avec les frontières qui sont fermées. Et dans le pire des cas, si tu as des informations à faire remonter à la couronne, c'est sans hésiter que tu le feras.

Certaines rues sont agitées, les derniers retardataires souhaitent rentrer chez eux. Ils se pressent, t'empêchent parfois de passer et tu trouves d'autres endroits où aller. Et voilà que tu te retrouves là, à observer une scène assez particulière. Il y en a un plus loin qui n'a pas l'air de vouloir rentrer chez lui. Tu connais bien ce bâtiment, tu sais que les dortoirs ici abritent n'importe qui, mais cette silhouette qui se détache du décor ne rentre pas.

Alors qu'est-ce qu'il veut ?

Tu t'approches, tu détailles tout, observateur, avant de réaliser quelque chose. Cette personne correspond à des échos que tu as entendus, mais tu es persuadé qu'ils sont supposés être un duo. Un duo atypique, pour atteindre des objectifs particulièrement tus pour le bien du royaume.

« Où est votre partenaire ? »

Avançant dans les rues désertes de Munditia, tu observes cette architecture unique. Elle ne ressemblait à aucune autre en Arathia, bien plus raffiné que les bâtiments Vollhyr taillé dans la roche à même la main, plus encore que la résidence de la reine Octavia. C’était de toute beauté, il fallait le reconnaître. L’envie te prend de toucher ce lampadaire… Juste parce qu'il est… Différent. Cela t’intrigue. Mais une voix te fait sursauter !

Tu te tournes alors, constatant que tu n’es plus seul. Un elfe se trouvait dans ton dos. Le visage à demi couvert, tu deviens ses traits fins, quelque peu efféminés. Si au départ, tu veux feindre l'innocence de te tenir au rôle que tu es censé jouer, tu t’aperçois vite du ridicule de te faire passer pour un Noctem, alors qu’il te parle manifestement d’elle. Tu fronces alors un peu le sourcils. Par réflexe, tu prononces la première syllabe de son nom avant de te reprendre.

« Alors vous savez qui je suis ? »

Il semble savoir que tu n’es pas d’ici, malgré le fait que les étrangers ne sont plus les bienvenus ici. Mais tu ne veux pas trop lui en dire. Tu avais suivi un brief sur la situation ici. On t’avait mis au courant que certains habitants, ceux d’en bas, n’étaient pas dignes de confiance et qu’ils chercheraient à causer du tort au roi. Et que pour cela, ils n'hésiteraient pas à se servir de toi.

« Qu’est-ce qui m’a trahi ? »

Tu commences à jouer la dérision. Tu ne sais pas si ton interlocuteur sait réellement qui tu es. Alors tu ne voudrais pas en dire trop par mégarde. Seulement… Quel genre de personne pourrait être mis au courant de la présence d’étrangers sur le territoire de la nuit. Un inquisiteur ? Il n’a pas vraiment le physique d’un soldat… Un espion de l’Iter Caedis ou un assassin peut-être ? Cela expliquerait le visage masqué. Ou bien, la réponse qui t’aurait su le plus, un politicien, proche de la mission qui t’attendait avec ta compagne.

« C'est la perle, c’est ça ? »

Un léger sourire étire tes lèvres. C'est vrai que tu n'es pas censé être aussi informé, tu dois passer pour quelqu'un de bien louche sur le coup. Tu aurais pu mieux préparer ton coup mais la curiosité t'a poussé à ne pas beaucoup réfléchir. Tu n'es pas sûr d'être au courant de tout, car bien que tu sois un des membres le plus proche du Roi, ses secrets sont souvent bien gardés pour que rien ne fuite et ne ternisse le royaume. Et sa majesté a bien raison d'agir de la sorte. De faire comme il l'entend.

Tu ne réponds pas, si ce n'est avec un hochement de tête un peu timide. Tu te dresses un peu sur la pointe des pieds pour le détailler, obligé de relever légèrement ce qui masque ton faciès. Tu n'as pas l'air loquace, le laissant s'imaginer ce qu'il veut en grimaçant de tes lèvres. Qu'est-ce que tu as le droit de lui dire ? Tu ne devrais probablement même pas lui adresser la parole.

« Être proche du Roi a ses avantages, j'imagine. »

Et tu hausses les épaules, un peu timide et renfermé. Tu ne veux pas trop lui en dire, qui sait ce qu'il compte bien faire de ces informations ? Même si tu as probablement plus de raisons et de chances de l'humilier, mieux vaut ne pas se montrer trop hostile envers lui. Mais la méfiance règne.

« Mais je ne sais pas tout. Vous faites tache au milieu de la capitale. Quelle est votre prochaine destination ? »

Tu ne sais pas si l’elfe doit t’inspirer confiance ou non. Tu essayes de déceler le maigre flux d’information que son visage daigne te communiquer. Une petite pointe de gêne commence même à t'envahir. Chose qui d'ordinaire sembles-tu être immunisé.

Dois-tu seulement le croire lorsqu’il affirme être proche de sa majesté ? Pourquoi t’aurais autant mis en garde sur les dangers de la ville, si pour que le premier venu siège à la cour du régent elfique. Tes doutes s’intensifient lorsqu’il te questionne a propos de ta prochaine déstination.

« Ma foi, je comptais sur vous pour m’en apprendre davantage. »

Ni une vérité, ni un mensonge ! Tu ne savais effectivement pas où est-ce que tu étais censé opérer. Tu ne connaissais en cet instant pas même la nature de la mission qui allait vous être confiée. Toujours un petit sourire narquois dessiné sur tes lèvres. Tu décides finalement d’essayer de reprendre le contrôle de cette conversation. Peut être par peur de perdre les pédales et te laisser happé pour finalement finir avec une dague en argent entre les homoplates.

« Est-il seulement de coutume chez les noctems d'accueillir vos invités avec autant de questions? »

Ô, certes. Des invités ils n’en avaient pas beaucoup. Mais tu oses espérer qu’ici aussi, les habitants aient le sens de l’humour. N’est-ce pas? Par pitié, dites-nous au moins qu’ils connaissent le second degré chez les elfes !

« Puis-je seulement savoir avec qui j’ai le plaisir de converser ? »

Tu l’invites a répondre a ta question d’un geste de la main. Le genre de discussion non verbale bien pompeuse tant apprécié par la bourgeoise Arvandienne. Hélas, ont-ils seulement les mêmes codes sociaux que toi au pays de la nuit?

Ce n'est vraiment pas possible pour toi de lui en dire plus pour le moment. Tes cordes sont mises à rude épreuve et tu le fais savoir d'une petite quinte de toux faiblarde, qui t'agresse encore plus. De quoi t'arracher la gueule, mais tu gardes ton calme et la face toujours plus insondable.

« Je suis juste curieux. Je ne sors pas souvent du palais. »

Trop de tâches, ou alors trop de pression sur les épaules. Il faut être parfait en tout temps, imperturbable, personne ne doit savoir ton petit secret. Personne ne doit être au courant du défilé monstrueux de la cour, et ce n'est sûrement pas dans tes intentions d'être châtié ou renié. Retourner dans les eaux n'a pas l'air d'être dans ton programme pour le moment, tu jouis trop du confort pour t'en séparer.

« Je suis Vesper. Un simple servant du Roi, autrefois Prince. Et vous ? »

Que dire de plus ? Tu n'as pas à étaler ce que tu vis depuis des années au sein du palais. Tes yeux captent un mouvement de sa main et tu te contentes de la regarder, grimaçant légèrement en retenant des plaintes sur les douleurs constantes qui t'habitent. Bouger est parfois un véritable calvaire. Vivre aussi, par extension.

« Vous vous méfiez. Moi aussi. Je voulais juste… Une petite conversation. On va vous confier une grande responsabilité. »

Ton cerveau tic lorsque, plus tôt, il avait affirmé jouir de privilèges grâce à sa proximité royale. Pour que d’instinct, il sut où te trouver. Tu te dis que tu ne parles peut-être pas à n’importe quel serviteur. Tu penses néanmoins que votre rencontre n’est que le fruit du hasard. Peut-être te trompes-tu ?

« Je me prénomme Raja. Moi et ma compagne, sommes des mercenaires de renom. Au-delà de vos murs d’argent, le monde s’arrache nos services. Visiblement même Son Altesse, le roi des elfes a entendu parler de nos exploits. »

Tu ne taris pas d’éloges sur toi-même. Pourquoi s’en priver après tout. Ce que tu dis, tu le penses et ne sommes-nous pas au pays de l'orgueil ? Dans ce sens, tu y es un peu chez toi…

« Peut-être que vous-même êtes au courant de notre arrivée ? Les étrangers qui passent la frontière se font rares depuis les guerres arvandiennes. »

Peut-être te laisses-tu avoir trop facilement puisque tu décides de te détendre et de relâcher ta garde. Tu oses même te tourner face à ce Vesper. Loin d’être un manque de respect, un acte de confiance. S’il était l’un de ses assassins, il aurait pu te poignarder aisément.

« Vous souhaitez un peu de compagnie ? Très bien, je ne comptais pas dormir. Si bien que… Est-ce vraiment l’heure de dormir ? Est-ce que le soleil est toujours levé dans les royaumes voisins ? »

C’est, en effet, très déroutant lorsque l’on n'est pas habitué. Ici, nuit comme jour, les étoiles sont apparentes. Tu te dis que les astronomes de l’étoile doivent se mordre les doigts de ne pas pouvoir passé la frontière.

La curiosité prend le dessus et tu fronces machinalement les sourcils. Tu l'écoutes d'un oreille attentive, serrant le bois du bâton avec qui tu t'aides parfois pour tenir debout. Qu'il soit populaire semble peu t'importer, tu roules même les yeux l'espace d'un instant, comme si tout ça te passait au-dessus.

« Je ne doute pas que si Son Altesse vous a mandaté, c'est parrrce que le travail a besoin d'être de qualité. »

Mais le savoir qui se mousse de la sorte, ça attire ton animosité. Tu es même un peu dégoûté, tu pourrais tirer la langue et être ignoble, mais tu gardes la tête froide pour continuer de bien représenter la royauté. Même si tu es hors du palais, tu restes responsable. Tu secoues cependant la tête ; tu n'es pas au courant de leur arrivée. C'est peut-être pour ça que tu es là, ou alors tu fais semblant de ne pas savoir. Au moins, c'est bien de confirmer leur présence, tu vas pouvoir le dire au Roi une fois rentré.

« Regardez la couleur de la lune. Est-elle argentée ? » Tu souris, tu veux le prendre pour un petit con pour le faire redescendre l'espace d'un instant. « Si oui, alors il est temps de dorrrmir. Sinon, vous pourriez traverser la frontière rapidement pour… Aller voir ailleurs. »

Finalement, c'est une méfiance commune qui t'habite. Tu pourrais représenter à merveille le peuple noctem et le jauger, l'insulter dans son dos, appeler des renforts pour l'humilier un peu. Mais tu n'es pas extrême à ce point, tu l'es pour d'autres choses.

« Je n'ai pas beaucoup d'énergie pour marrrcher. Vous pourriez me conter vos récentes missions, et vos pires défaites. J'aime les histoires qui se finissent mal. »

Alors que tu écoutes celui que tu penses alors être un elfe, tu t'exécutes et contemples la lune argentée, alors emblème de ce pays. Tu bois ses paroles et n’imagines pas une seconde qu’il puisse essayer de se payer ta tête. Alors tu hoches la tête, presque l’air benêt.

« Avec grand plaisir, je prends plaisir à parler de moi-même. Mais avant cela, j’aurais une petite question… Dites-moi, comment est la vie ici, confiner dans la nuit ? »

Tu marques une légère pause. Tu songes à ton état et celui de ta conjointe. Mais aussi à ta vie d’avant, tes anciens amis, ceux qui s’en sont allé ou ceux qui sont devenus des traîtres pour toi et ton entourage. Ces derniers mois tu n’étais que l’ombre de toi-même, un amas de mélancolie ambulant se dissimulant dans l’humour, comme un masque souriant qui dissimulait un mal-être palpable.

« Après avoir vécu plus d’une décennie sur les mers, je parcours désormais la terre avec ma compagne. Pourtant, alors que je suis l’un de rares natif Arvandien à fouler le sol de votre royaume, je me sens cloîtré et prisonnier dans mon mode de vie. Ne devrais-je pas au contraire me sentir encore plus libre et privilégié ? »

Tu as le sentiment que la vie t’offre ce que tu avais désiré, mais d’une manière différente… Comme si tu avais fait un vœu il y a longtemps, mais que ta bonne étoile l’avait mal interprété.