C'est le seul moment de la semaine où la renarde peut s'échapper un peu de son environnement. Ca reste prendre le temps de marcher dans la rue, c'est sûr. Mais au moins c'est son temps à elle. Luyên flane alors qu'elle devrait rentrer rapidement avant qu'on vienne s'enquérir de son retard, mais avec tout ce qu'il s'est passé elle ne veut plus être l'animal bien dressé qu'on attend qu'elle soit. Alors elle regarde dans les vitrines, baille devant un magasin rempli de jouets et termine sa marche en retenant ses larmes. Mais autre chose capte son attention, juste là vient d'entrer un homme.

Kang-Dae, d'Al Malaq.

Sans vraiment réfléchir, elle entre à sa suite.

— Kang-Dae ? Celui qui a participé à l'Ordalie ?

Elle reste devant la porte et gêne le passage. Ce n'est pas vraiment son problème après tout mais la femme derrière elle lui tape sur le système. Elle se retourne vers elle et montre les crocs. La femme recule un peu, décontenancée. Luyên en profite alors pour faire signe au géant de la rejoindre dehors. Elle espère vraiment qu'il va la suivre, alors elle passe devant la brune en lui jetant un regard mauvais et pose le dos contre un mur, les bras croisés. Elle vient de lui gâcher sa journée.

Urgent ? Pas vraiment et en même temps elle n'aurait pas pu attendre plus longtemps. Luyên connaît tous les noms de ceux qui ont participé à l'Ordalie. Ceux qui ont gagné, ceux qui ont battu vaillamment. Elle fouille dans sa mémoire, Kang-Dae, Kang-Dae ... Il aurait pu gagner, mais un trou dans l'histoire que son maître lui a raconté reste incomplète. Et puis dans quelques heures elle aura été retrouvée dehors, elle ne peut pas se permettre d'attendre qu'il termine ce qu'il avait à faire. Pire égoïste que toi, on ne fait pas. Mais il n'a pas forcément besoin de le savoir.

— On peut dire ça. J'ai besoin que tu me racontes comment c'était. Absolument.

La rose a été élevée uniquement dans ce but. l'Ordalie est sa vie, sa vie est Ordalie. Le pauvre homme ne sait pas dans quoi il met les pieds avec elle, ses oreilles pointent vers tout les bruits qu'elles entendent comme si elle avait peur qu'on la retrouve. Elle jette des coups d'œil dans toute les directions et fini par recouvrir sa tête par une capuche. Tant pis elle entendra moins bien mais au moins elle ne sera plus à découvert. D'ailleurs elle n'avait pas remarqué mais lui aussi se trouvent de petites oreilles sur sa tête. Ah mais oui elle avait oublié. Ils sont tout les deux Cluasans. Raison de plus pour Lu de tout connaître de lui. Espérons qu'elle ne soit pas trop déçue de sa réponse ...

Oubliée la rue et ses occupants. Oubliés les bruits de Fang. Luyên en perd sa capuche alors qu'elle se fige en écoutant la suite. Comment ça il lui a laissé la victoire ? Non, non, non, plus il parle, plus elle a l'impression qu'il prend l'Ordalie pour un petit tournoi, une chose que l'on fait pour s'amuser. Ses oreilles se baissent sur sa tête alors que la colère monte et qu'elle le regarde. Elle déteste sa manière de parler, à croire que tout ceci n'est qu'une grande blague. La rose à subit encore et encore pour pouvoir y participer. Pour gagner. Et lui, ce grand type aurait abandonné ?

— Y aller pour quoi faire ? Perdre encore ?

Le dégoût s'affiche sur son visage, les sourcils froncés, la colère au fond des yeux. Luyên n'aurait pas dû venir ici, encore moins rencontrer ce perdant. Elle le regarde de haut en bas, les bras croisés sur sa poitrine pour ne pas lui envoyer son poignard. Il mériterait de mourir, là, sur place. Alors la renarde fait ce qu'elle sait faire de mieux. Elle crache à ses pieds, il ne mérite plus son attention.

— Ah, tu m'as fait perdre un temps précieux. Tu devrais retourner chez toi et avoir honte, Kang-Dae.

Cette fois-ci c'est son nom qu'elle crache, comme si le prononcer lui avait sali la bouche. Et ce n'est pas loin de la vérité, elle devrait rentrer pour rayer son nom de la longue liste des participants honorables. Il aurait dû mourir la première fois, au lieu de demander grâce et fuir la queue entre les jambes. Ses queues bâtent l'air et ses doigts agrippent ses bras. Qu'est ce qui l'empêcherait de le tuer maintenant ? Pour que tout reprenne sa place, dans le bon cours des choses ?

Luyên bout sur place, elle décroise les bras et serre les poings. Il ne connaît rien d'elle, ne sait pas tout ce qu'elle a vécu, enduré pour pouvoir ne serait-ce avoir une demi après midi de libre rien que pour elle. Elle est née pour gagner l'Ordalie, née pour tuer et arracher. Et ce n'est pas un imbécile comme lui qui pourra dire le contraire. Elle en a battu des bien plus grands.

— Je ne pense pas le faire, je le fais. Je crève des hommes bien plus hauts et forts que moi, tu crois que la seule chose dans la vie c'est la force ? Ah ! Idiot, utilise donc tes muscles sur une chose que tu ne peux pas attraper.

Combattre depuis vingt ans ? Elle ne rebondit pas dessus, elle est trop en colère pour lui expliquer qu'on lui a volé sa vie, qu'elle ne sait faire que ça. A quoi bon de toute manière ? Il a l'air d'être le genre à tout casser, pas à calculer.

— Les divins ? Ce sont les étoiles qui guident mes pas, elles qui me poussent sur ce chemin. Les étoiles brillent pour moi et ce sont elles qui ont choisi mon nom : Luyên. Et tu parles sans rien savoir.

La renarde en a plus qu'assez de l'entendre bavasser, ses paroles vide de sens. Alors poussée par sa colère, elle envoie une étoile vers lui qui explose juste assez pour cacher sa présence derrière celle-ci. Rapide, elle vient entailler le bras de Kang-Dae avec la dague qu'elle a toujours sur elle, oh rien de bien méchant, juste assez pour tracer un trait fin et de faire goutter quelque gouttes de sang. Puis un autre bond pour se mettre à l'abris des grandes mains du perdant et le tour est joué. Son plan est sans failles, elle peut l'exécuter à la perfection. Elle s'est entraînée des années et des années pour des moments comme celui-là. Espérons que tout se déroule comme elle l'espère.

Fluide comme le vent, son enchainement est parfait. Elle se fiche bien de ce qu'il pense, Luyên à touché Kang-Dae, Luyên est plus forte que lui. C'est déjà une victoire qu'elle compte ajouter à son palmarès.

— Sais-tu faire autre chose que parler ? Ce n'est pas comme ça que tu vas arriver à gagner une Ordalie. A moins que ce ne soit une technique spéciale ?

Luyên le nargue, sourit à Kang-Dae, effrontée. Oh il faut dire qu'elle s'amuse bien et joue avec sa dague au bout de ses doigts. C'est une extension de son être. La renarde la jette en l'air avant de la rattraper agilement en le regardant se mettre en place. Voilà une nouvelle danse qui promet d'être divertissante. Sauf qu'elle n'avait pas prévu qu'il se jette sur une poubelle pour lui envoyer. Décontenancée, Lu perd le tempo de la danse qui n'a pas encore commencée, fais un pas de trop sur le côté et se prend les pieds dans une ordure. Elle se jette tout droit dans ses bras. Agacée elle ne lui laisse pas le temps de faire quoi que ce soit et elle se transforme en renarde pour se glisser hors de son étreinte. Le renard hérisse le poil, grogne et grimpe sur ses épaules pour lui mordre une oreille. C'est dangereux, elle le sait. Sur lui elle est bien plus en danger, il suffirait qu'il l'attrape pour que ce soit terminé. Elle n'aime pas prendre ce corps ci. Il faut dire qu'il ne peut pas tanker autant que sous sa forme humaine. Mais l'instinct du renard est trop fort et croquer les oreilles est un bon passe temps quand on est en colère.

Peut-être que le coup du renard n'était pas une bonne idée. Elle n'a pas pu se faufiler entre ses doigts, trop occupée à croquer. Alors quand elle se retrouve entre le sol et lui, elle retrouve son corps humain sous le coup de la douleur. Rien de bien méchant non plus, elle a connu pire, mais c'est la brûlure de la honte qui fait le plus mal. Elle se revoit encore à terre, le visage du maître d'armes au dessus d'elle. Prise d'une rage féroce, c'est à son tour d'agir. Oh la fureur la porte et sans même se relever, elle lui fauche les jambes. Elle profite de la surprise pour l'aider à chuter en arrière, venant prendre position sur son torse, la lame de sa dague sur son cou.

— Plus grand que moi ? Ah ! Que fais-tu dans le sable alors ? Tu fais la sieste ?

Elle vient ranger sa lame et après un rictus effronté elle se redresse pour ne pas rester au contact du raton.

— Un partout j'imagine. La taille n'est pas un facteur de victoire, tu vois.

Elle se recoiffe et c'est à son tour d'épousseter ses vêtements salis par le sable. Elle n'a pas gagné mais elle n'a pas perdu non plus, la prochaine fois elle fera mieux et c'est le grand Kang-Dae qui mordra la poussière sans pouvoir se relever.