Elle avait passé la journée à se demander si elle voulait vraiment faire ce spectacle. Mais en même temps, elle savait qu'elle n'avait pas le choix. Après tout, elle s'était engagée... Cela dit, si elle voulait se séparer de son nouvel employeur, il lui suffirait de faire une mauvaise prestation. Et il la renverrait. N'est-ce pas ? Il n'était pas du genre à lui trouver des excuses. Du moins, elle l'espérait. D'un autre côté... Il avait un invité important. Les exigences face à lui étaient probablement plus importantes. Le fait qu'il ait fait appel à elle pour cela auraît dû lui sembler flatteur. Mais.. Elle ne le comprenait pas. Après tout, elle était grande débutante. Et le fait que lui ait aimé sa prestation ne signifiait pas que ce serait le cas de tout le monde. Et si son invité n'aimait pas la brume ?
Hum... Réflexion faite, si tel était le cas, il ne mériterait pas ses efforts. La brume... Elle faisait partie d'elle et était son but, Elliana ne vivait que pour elle. Si quelqu'un la rejetait, elle n'aurait tout simplement plus aucune raison de rester à ses côtés... D'autant plus qu'elle ne devait s'attacher à personne. Il fallait absolument qu'elle garde cela en tête. Elle ne faisait pas partie de ce monde, qui n'avait, en contrepartie, aucune raison de l'accepter. Elle ne devrait pas en vouloir à ses habitants de ne pas l'apprécier, en conséquence...

Enfin. Quoi qu'il en soit, elle pouvait tenter de mettre en place quelque chose de plus... Discret. De plus acceptable pour le commun des mortels ? Comme si elle connaissait leurs goûts ! Elle ne s'y était jamais intéressée, et ce n'était pas aujourd'hui que... Euh... Peut-être qu'en fait si, elle devait s'y mettre ? Cela valait la peine d'y réfléchir...

Et en effet, elle avait passé l'après-midi à réfléchir. Et à se renseigner. Des danses traditionnelles étaient prévues ? Voilà qui lui donnait une idée... Elle réussit à retrouver les danseuses originellement prévues et les avait convaincues de l'initier à leur art. En le mélangeant au sien, elle obtiendrait certainement quelque chose de... Différent, ça, c'était certain. Mais si elles avaient été renvoyées, c'était probablement parce que le patron voulait autre chose. Néanmoins, l'essence de cette ville resterait.. Un peu. Une simple initiation ne suffisait pas à maîtriser complètement cet art.

Enfin, peu importait, puisque comme d'habitude, la brume masquerait la plupart du spectacle. Devrait-elle prendre le risque de la faire visiter le public comme la veille ?
Finalement, elle décida qu'aujourd'hui, elle serait sage. Ses volutes se limiteraient à l'espace scénique qui lui serait réservé. En contrepartie, elle-même utiliserait tout l'espace qu'on lui offrirait, afin de faire tout de même ressentir sa présence à chaque spectateur, quelle que soit sa place dans la salle.

Son plan décidé, elle put rejoindre les lieux, escortée, évidemment, par ceux qui les connaissaient. Après un bref briefing sur la disposition des lieux, là où elle avait le droit d'aller ou non, ils lui laissèrent l'espace. Et, comme d'habitude, elle improvisa, drapée dans sa brume. Qu'elle devait retenir, ce qui la força à se concentrer un peu plus sur ce qu'elle faisait. Mais elle trouva également du plaisir dans ce tout nouveau style. Oui, vraiment, elle avait trouvé sa vocation. Et décida que dès qu'elle en aurait la possibilité, elle continuerait à apprendre. D'autres styles, d'autres visions... C'était tout un monde qu'elle pouvait découvrir. Et qu'elle soumettait au jugement de son public.

Alors, elle oublia tout. Où elle se trouvait, devant qui, même la brume finit par lui échapper. Elle s'amusait, tout simplement. Et c'était tout ce qui comptait. Hum... Finalement, elle resterait peut-être au service de cet homme qui, probablement inconsciemment, lui avait fait réaliser quelque chose de très important pour elle.

Décidemment, elle ne savait plus que penser de lui... Il avait été agaçant le matin, et à présent redevenait attentionné... Néanmoins, elle accepta le verre, et allait lui expliquer qu'elle avait simplement essayé d'apprendre autre chose et de se faire plaisir, quand elle eut le réflexe de s'écarter... Enfin, elle l'aurait eu s'il ne l'avait pas forcée à faire l'inverse. Et elle découvrit un nouveau sentiment : la culpabilité. Elle aurait peut-être pu le prévenir, pour qu'il esquive aussi... Après tout, même si elle avait de la difficulté à l'admettre, il était vrai qu'il lui avait offert bien plus que tout ce qu'elle aurait pu demander... Autrement dit, c'était à elle de lui être agréable, à présent. Même si elle ne savait pas quoi faire pour atteindre ce but. Mais elle lui faisait confiance pour le lui faire savoir... Il n'avait pas la langue dans sa poche.

Pour autant, cela ne lui donnait pas le droit de s'imposer dans son espace vital. Dès que ce fut possible, elle le repoussa.

- C'est à vous qu'il faudrait poser la question. Hum...

Elle hésita. Ce qu'elle s'apprêtait à proposer ne lui ressemblait pas. Mais c'était de sa faute s'il s'était fait arroser...

- Si je peux vous aider, ou me faire pardonner, n'hésitez pas à demander...

Puis elle adressa un regard noir au serveur. Il ne pouvait pas faire attention ? Après tout, c'était son métier, non, de ramener les commandes en bon état ! Là, il en avait gâché au moins trois. Il mériterait au moins le renvoi...

Lorsqu'il lui indiqua la douche, elle le remercia et le regarda disparaître de son côté, avant d'en faire autant dans la pièce qui lui avait été désignée. Et dès que l'eau chaude commença à couler... Elle fut prise d'un espoir. Il y avait de la vapeur, ici. La vapeur... En quelque sorte, c'était sa cousine. Etait-elle en train de s'approcher de son but ? S'il y avait bien un endroit où elle ne pensait pas y arriver, c'était ici. Comme quoi, le destin pouvait se montrer farceur.

Soudain, elle secoua la tête. Elle n'était pas là pour ça. Elle devait se débarasser de la transpiration et se détendre au maximum, pour être prête pour... La suite du programme. Dont elle ne savait rien, cette fois. Autrement dit, il lui fallait être prête à tout et n'importe quoi.

N'ayant pas pensé à emporter d'autres vêtements, elle fut contrainte de rénfiler son costume de scène. Mais elle s'amusa à changer de coiffure, laissant ses cheveux plus libres, pour leur permettre également de finir de sécher rapidement. Et puis, ainsi, elle se serait quand même un peu changée... Même si elle doutait que qui que ce soit s'en rende compte. D'ailleurs... Etait-il prévu qu'elle voie d'autres personnes ? Que voulait-il faire pendant la fin de soirée ? Rha, ne rien savoir lui donnait également l'impression de ne rien contrôler... Et ça, ça ne lui plaisait pas. Mais avait-elle vraiment le choix ?

Elle était donc très peu sûre d'elle lorsqu'elle le rejoignit. Elle avait envie de l'interroger sur le programme, mais au lieu de cela, ce fut autre chose qui sortit :

- ça va mieux ?

Tiens, pourquoi sortait-elle ça, elle... Cela ne lui avait même pas paru naturel lorsqu'elle l'avait dit. Au point qu'elle se demandait si elle avait bien compris le sens des paroles qu'elle avait pourtant prononcées elle-même...

Ah bon, elle n' était pour rien ? Bon, c'était vrai, mais elle aurait aussi pu au moins essayer d'empêcher l'incident. Et puis...

- J'ai bien vu que vous avez voulu me protéger... Ou alors... Serait-ce votre faute pour avoir été trop prévenant ?

Cette fois, c'était une plaisanterie sincère, qui ne cachait rien. À voir s'il accepterait ce début de complicité. Dans le cas contraire, elle n'aurait probablement aucun souci à garder ses distances. Si au contraire il l'acceptait... Elle ne savait pas si elle pourrait continuer. Enfin. Elle le saurait très vite dans tous les cas.

Puis il lui lâcha un compliment, comme si c'était parfaitement naturel. Hum. Etait-il sincère ou cherchait-il à... À quoi, d'ailleurs ? Elle n'était pas d'un rang assez élevé pour qu'il se soucie de l'impression qu'il lui faisait. Même si elle le détestait, il n'y avait que peu de chances que cela change quoi que ce soit. Et puis... Elle ne savait toujours pas quoi penser de lui. Avait-elle eu raison d'accepter leur accord ?

Enfin, dans tous les cas, il lui expliqua la suite du programme. Ah. Ne pas faire de vagues...Il était donc vraiment temps de jouer le gentil toutou. Avant de revenir dans le champ de vision des invités, elle se rapprocha pour lui confier :

- Je ne peux rien vous promettre. À part d'essayer.

Puis elle reprit une distance respectueuse. L'employée qui ne se montrait pas trop complice avec son employeur, voilà un rôle que, lui, elle savait pouvoir jouer à la perfection. Car ce n'était pas vraiment un rôle.

Ils arrivèrent au milieu d'un débat au sujet de sa brume. Ils se demandaient si elle était réelle ? Elle n'eut pas à se forcer pour laisser apparaître un sourire amusé.

- Revenez donc nous rendre visite. Vous finirez par le savoir, je vous le garantis !

Evidemment, elle n'avait pas changé à ce point. Il était toujours hors de question qu'elle révèle ses secrets. Et puis, elle donnait la possibilité au pays de recevoir de nouveau ces invités... C'était une bonne chose, non ? Ou aurait-ils dû se consulter avant ? Quoi qu'il en soit, il était désormais trop tard. La proposition avait été faite. Elle ne connaissait rien à la politique, on ne pouvait donc pas lui en vouloir de faire des erreurs à ce sujet.

Et encore une fois, elle se fit ensevelir sou une pluie de compliments... Vraiment, pourquoi ne pouvait-elle pas se dissoudre dans l'air, et ne plus être visible, afin d'échapper à ces humains qui ne savaient rien de ce qu'ils compimentaient. Diraient-ils toujours la même chose s'ils savaient qui elle était vraiment, ou ce qu'elle pensait réellement d'eux ? Probablement pas. Mais elle se devait de continuer à jouer le rôle qu'on lui avait assigné.

Si les humains passèrent une bonne soirée, ce ne fut pas vraiment son cas. Elle s'ennuyait, sans le montrer. Décidemment, elle n'était pas faite pour côtoyer les hautes sphères. Et encore, heureusement qu'elle ne servait que de faire-valoir... Oui, car malgré tout ce que pourrait dire son employeur, c'était ce qu'elle était. Un joli ornement qu'il arborait en société... Et qu'il complimentait probablement uniquement pour se donner bonne conscience. Enfin. Elle se contenterait de ne pas y réagir, ce n'était pas si compliqué.

Puis vint enfin le moment où il se déclara disposer à la laisser partir. La ranger au placard jusqu'à ce qu'il en ait encore besoin, en gros... Et si elle venait le déranger pendant la semaine, "sans faire exprès", simplement pour lui montrer qu'elle aussi pouvait prendre des initiatives ? Mais avant qu'elle n'aie réussi à mettre un plan en place, ils furent de nouveau interrompus... Et, contrairement à ce qu'un regard extérieur pourrait penser, cette femme lui plut. Voilà enfin quelqu'un qui n'avait pas peur de dire ce qu'elle pensait !

Lorsqu'elle lui parla, Elliana ne put retenir un rire :

- Je l'ai bien remarqué, rassurez-vous. Et... Merci. Merci à vous de ne pas avoir peur de parler honnêtement.

Néanmoins, elle lui confirmait son impression. Un fils trop gâté qui ne se souciait qu'en apparence d'autrui... Bien ! Si elle trouvait un moyen de le brosser dans le sens du poil tout en servant sans le savoir des intérêts qui n'étaient pas les siens... Oh ! Il avait dit que sa famille voulait le marier, non ? Et il lui avait affirmé qu'elle lui servirait de bouclier contre cela... Si elle trouvait le moyen de se faire entremetteuse pour qu'il accomplisse malgré lui le souhait de sa famille, tout en feignant de rester ce bibelot bien docile... Il y avait moyen de s'amuser. Elle aurait une semaine de congé ? Ce serait l'occasion de mettre tout cela en place. Et pourquoi ne pas faire de cete femme sa complice ? Selon toute évidence, c'était sa sour. Elle devait donc parfaitement connaître les souhaits de la famille. Mais comment lui parler sans que l'homme ne s'en rende compte ? Hum... Il lui faudrait probablement apprendre où vivait cette soeur, pour aller la voir.. Cela ne se ferait donc probablement pas aujourd'hui.

L'apprécier... Hum. ça, c'était un grand mot. Mais avait-elle le droit de le détromper ? Du moins, en "public" ? Certes, s'ils étaient seuls, elle ne se serait pas gênée. Mais là... La tension entre les deux humains était palpable. Et lorsque la femme reprit la parole, le sang de l'élémentaire ne fit qu'un tour.

- M'assimiler à des humains ?! Vous plaisantez, j'espère !

Elle avait mis tout son mépris pour cette race dans ses paroles. Dans ces conditions, pourquoi donc avoir accepté la tutelle de l'un d'entre eux ? Question légitime. Mais elle avait simplement vu l'intérêt d'obtenir un logement gratuit. Quant aux insinuations de la demoiselle... Elle ne lui fit même pas le plaisir d'y réagir. Il était évident que tout cela était impossible, inutile d'insister sur ce fait.

Puis les voilà qui se disputaient. Et lui la défendait... Elle soupira.

- Je ne veux pas être inclue dans vos problèmes de famille, merci de ne pas m'y intégrer. Si c'est ça, une famille... Je suis heureuse de ne pas en avoir.

Puis elle tourna les talons. Elle n'avait décidemment plus rien à faire ici. Finalement... Elle quitterait peut-être son logement dès le lendemain. En y laissant la bourse qu'elle n'avait pas utilisée. Elle gagnerait sa vie autrement. Elle pouvait jouer les compagnes sages, mais dès lors qu'elle servait de prétexte à une dispute qui ne la concernait même pas... Elle n'y avait pas sa place. Alors, à moins qu'il vienne s'excuser le soir même, Monsieur n'entendrait plus jamais parler d'elle. Elle quitterait également le royaume. Pour aller où ? Elle n'en savait rien. Peut-être du côté d'une ville maritime. Ou de retour à Cerah. Elle verrait bien.

Elle ne tarda pas à entendre toquer. Elle ne savait pas trop pourquoi, mais elle s'y attendait. Et elle savait parfaitement qui était là.

- C'est ouvert.

En effet, dans l'espoir qu'il vienne lui apporter les explications qu'elle attendait, elle n'avait pas fermé la porte à clé. Et puis... Il ne fallait pas oulier que ce logement lui appartenait. Il possédait certainement un double des clés. Elle doutait de vraiment pouvoir l'empêcher d'entrer s'il le voulait réellement. Mais peu importait. Ce soir, elle voulait discuter. C'était nécessaire. Elle le rejoignit donc dans la pièce principale. Et lança d'emblée :

- Si vous voulez me renvoyer, vous n'avez qu'un mot à dire.

Et... Quelque part, peut-être que cela l'arrangerait. Elle ne s'attendait pas à faire de telles rencontres lorsqu'ils avaient parlé de leur "contrat". Evidemment, tout n'avait pas non plus été à jeter. Il y avait du bon, et du mauvais... Mais elle ne pouvait décemment pas s'attendre à être acceptée dans un monde qui n'était pas le sien. Toujours ce décalage... Oui, elle allait sûrement devoir poursuivre son voyage. Peut-être, quelque part, trouverait-elle un lieu qui pourrait l'accepter le temps qu'il faudrait. Voilà ce qu'on gagne à s'attacher. Elle avait apprécié ses prestations, ce qu'elle avait obtenu sans demander... Et elle le regrettait. Voilà qui ne faisait que prouver une fois de plus qu'elle ne pouvait rien considérer comme acquis.

- Vous avez essayé de me donner une chance... Visiblement, je ne suis pas faite pour rester ici. Je vous promets de partir dès demain. Je ne vous embêterai plus après ça.