Il ne voulait pas la renvoyer ? Ah ? Vraiment... Ou alors, cela cachait autre chose.

- Je ne veux pas de votre pitié. Vous savez, je n'aurais pas l'audace de dire que je vous connais parfaitement, mais... Je pense savoir comment vous fonctionnez. Rien n'est gratuit. Et une seule prestation de temps en temps ne me semble pas assez cher... Est-ce que vous me cacheriez encore quelque chose ?

Voilà qui ne l'étonnerait pas. Et qui ne lui plaisait. Elle avait été honnête, plus tôt. Elle accordait beaucoup d'importance à l'honnêteté. Elle avait ses défauts, et ne le nierait pas. Mais elle tenait à l'honnêteté et à la loyauté. Malgré son attitude, son habitude de jouer la comédie, elle n'aimait pas le mensonge... Appelez ça hypocrite si vous le voulez. Pour elle, c'était juste normal.

Elle réfléchit. Puis finalement, la solution se présenta comme une évidence.

- Pourquoi ne pas augmenter la fréquence des prestations ? Ou... Autre chose. J'imagine que quelqu'un comme vous n'a pas vraiment besoin de grand-chose, mais je suis sûre que vous pouvez trouver une autre contrepartie en complément.

D'accord, elle le traitait peut-être un peu trop comme un égal. Mais elle avait également sa fierté. Elle pouvait accepter de se plier à sa volonté... Jusqu'à un certain point. Et puis, elle ne pouvait pas trahir qui elle était réellement. Une indépendante. Qui avait toujours vécu seule. Elle n'avait même pas de famille, s'était forgée seule. À partir de cela... Il lui était difficile de s'en remettre à quelqu'un d'autre. Mais elle essayait. Simplement, le résultat n'était pas garanti.

Donc cette fois, c'était lui qui payait. Bien. Voilà au moins une chose qui n'était pas à sens unique dans son monde. Ils avaient peut-être moyen de retrouver un accord... Et puis, elle ne pouvait honnêtement pas dire qu'elle détestait sa companie... Du peu qu'elle en avait vu. Même si, évidemment, il ne serait jamais irremplaçable. Elle tenait également à sa tranquillité.

Néanmoins, elle ne put s'empêcher d'être déçue lorsqu'il lui indiqua ne pas vouloir lui faire faire plus de représentations. Bon... Elle devrait donc continuer à chercher à amuser les habitants ou voyageurs de passage dans des auberges ou petites salles de spectacle... Finalement, elle aurait peut-être dû accepter ce contrat. Certes, elle n'aurait probablement pas besoin d'argent, puisque cet homme, riche, semblait tenir à la garder à portée de main. Mais ce n'était pas pour l'argent qu'elle chercherait d'autres contrats. Simplement, danser lui plaisait, il ne fallait pas aller chercher plus loin.

À elle de trouver sa contrepartie, donc. Bien. Il n'était pas inspiré... Mais elle ne pouvait pas vraiment dire qu'elle l'était plus que lui... Après tout, elle ne le connaissait pas. Une contrepartie était censée aller dans le sens de celui qui la demandait... Même si dans ce cas, c'était elle qui l'avait offerte. Qu'aimait-il ? Elle avait affirmé l'avoir cerné, mais... Etait-ce vraiment vrai ? Oui, elle s'était reconnue en lui. Mais pour autant, ils n'étaient pas des copies conformes. ll avait forcément des spécificités...

Il choisit ce moment pour interrompre ses réflexions. Ses premières impressions ? Elle ne réfléchit pas avant de répondre :

- Elle est très différente de Cerah. Je ne la connais pas encore parfaitement, mais... J'avoue avoir du mal à m'y repérer. Et surtout... Je ne comprends pas l'intérêt de la monnaie. Le troc est bien plus efficace. Au moins, on sait contre quoi on échange... Ce qu'on échange. Quant à la ville en elle-même... Honnêtement, je ne m'intéresse pas à l'architecture ou quoi que ce soit. Je cherche les miens. Et tant que je ne les aurai pas trouvé... Rien ne m'intéressera à l'extrême.

"Les siens"... Comprendrait-il seulement à qui elle faisait référence ? Et si un jour il les découvrait, ses semblables brumeux, serait-il seulement capable de comprendre ce qu'ils représentaient pour elle ? Elle avait affirmé ne pas avoir de famille. Et c'était vrai. La brume était ce qui se rapprochait le plus d'une mère pour elle, les nuages brumeux étaient ses frères.

Enfin, trêve de pensées inutiles. Elle devait proposer une contrepartie... Soudain, elle eut une idée.

- Pourquoi ne pas reprendre notre petit jeu de tout à l'heure ? Chaque jour, je pourrais vous raconter quelque chose à mon sujet... À condition que ça reste à jamais entre nous.

J'ai déjà dit qu'elle adorait jouer ?

Elle avait certainement fait une bêtise. Elle n'avait pas assez réfléchi avant de parler, voilà l'explication. Mais il leur épargna à tous les deux le devoir de s'expliquer lorsqu'il enchâina rapidement. Malgré elle, elle lui en fut reconnaissante. Néanmoins, ce qu'il lui proposa la fit hésiter.

- Hum... Je me doute que vous aurez plus de victoires que de défaites, mais... Honnêtement, je ne pense pas avoir tant de questions que ça à vous poser. Du moins, si on se limite à ce sujet... Enfin, j'imagine que nous verrons bien.

Puis il lui proposa de prendre congé. Etrangement, cette perspective ne la réjouissait pas autant qu'elle l'aurait dû. Pourquoi voulait-elle le retenir ? Et surtout, comment ? Alors que son regard furetait dans les recoins de la salle qui s'offraient à son champ de vision, elle eut une illumination. Sautant de sa chaise, elle commença à s'éloigner... Enfin, sa destination l'amenait à passer près de lui. Et lorsqu'elle le dépassa, elle déclara :

- Mais quelle hôtesse je fais ! Vous faire venir comme ça sans rien vous offrir ! Voulez-vous quelque chose à boire ? À manger ?

Et qu'y avait-il dans ses placards, d'ailleurs ? Elle n'avait pas regardé... Pitié, faites qu'il reste quelque chose du locataire précédent, ou qu'on lui ait déposé quelques provisions... Et le lendemain, elle irait faire des courses, cela devenait indispensable.

Ah. Oui, elle avait sûrement oublié ce détail. Mais rien n'était trop exigeant pour le retenir... Pardon ? Pourquoi voudrait-elle qu'il reste ?!

Enfin, dans tous les cas, il avait exprimé un intérêt pour de la boisson. Evidemment, l'eau n'était pas une option, c'était bien trop simple. Alors, tout en fouillant dans les placards, elle énuméra au fur et à mesure ce qu'elle trouvait :

- Qu'est-ce qui vous ferait plaisir comme thé ? Menthe ? Jasmin ? Fruits rouges ? Simple thé vert ? Oh, j'ai tout ça, moi ?

C'était une agréable surprise, après tout. Il n'y avait plus qu'à le laisser faire son choix, et elle l'accompagnerait en prenant la même chose. Ce serait aussi plus facile à faire, songea-t-elle en sortant la théière.

Puis vint une question qui la figea. C'était vrai, ça. Elle aurait dû tomber de fatigue. Après tout, ce corps ressentait. Et ce simple fait pouvait être ennuyant, car s'il lui permettait d'éprouver de la satisfaction en mangeant ou en écoutant une jolie musique, il la faisait également souffrir par la faim... Ou la fatigue. Mais pas cette fois. Etrangement, elle était motivée. Maintenant, venait une nouvelle question : devait-elle lui répondre honnêtement ou inventer une excuse quelconque ?

Finalement, elle opta pour la vérité. Après tout, elle n'aimait pas le mensonge... Et puis, ce n'était pas comme si la vérité était très précise, dans ce cas-là.

- Honnêtement ? Je n'en sais rien. J'imagine que j'ai simplement envie de vous faire plaisir...

"Simplement" ? Etait-ce vraiment une motivation "simple" ? Hum... Elle avait encore des choses à apprendre au sujet de l'échelle des valeurs dans ce monde...

Du thé à la menthe... Très bon choix. Durant son siècle passé à Cerah, elle avait appris à beaucoup apprécier la menthe. Ce fut donc avec plaisir qu'elle l'accompagna. Mais ils n'eurent pas le temps de vraiment en profiter qu'il manifesta l'envie de partir... Serait-il irrespectueux de le retenir ? Et puis... S'il devait se lever tôt, il devait aussi se coucher tôt, c'était vrai que les humains avaient des besoins... Attendez. Qu'elle arrête de penser comme cela. Elle aussi avait ces besoins, qu'elle le veuille ou non.

Puis il s'excusa encore pour la scène qui avait eu lieu plus tôt. Elle détourna le regard.

- Je... Je pense que je n'ai pas le droit de vous en vouloir... Ou plutôt de l'exprimer. Et puis... Il faut impérativement bien traiter ses supérieurs, non ? En tous cas, c'est comme ça que je l'ai compris.

Elle s'interrompit un instant, puis, prenant son courage à deux mains, elle reposa son regard sur lui alors qu'elle avouait :

- Et puis, je ne pense pas pouvoir un jour vous donner une contrepartie suffisante. Le simple fait de me loger... Ce n'est peut-être rien pour vous, mais pour moi... Vous savez, je ne possédais rien jusqu'à hier. Quelques vêtements, sans plus.

Certes, elle ne possédait pas ce logement non plus. Quoi qu'il puisse dire, elle s'estimait toujours comme étant une invitée chez lui. Elle ne faisait qu'emprunter l'un des nombreux logements qu'il devait avoir à sa disposition, et qu'il pouvait lui reprendre n'importe quand si cela lui chantait. Si une telle situation se produisait, elle ne résisterait pas. Après tout, elle était habituée à un mode de vie précaire et ne considérait jamais rien comme acquis. C'était nécessaire pour vivre comme elle l'avait fait jusqu'à présent.

Et lorsqu'il avoua vouloir lui faire plaisir... Elle secoua la tête.

- Non. Vous ne me devez rien. Au contraire, je vous dois tout. Vous m'avez déjà fait un cadeau pour lequel je suis incapable de trouver une contrepartie suffisante, ne rajoutez pas à ma dette, je vous en supplie !

Si elle n'arrivait déjà pas à payer sa dette, comment le pourrait-elle si elle devenait plus importante ? Et elle avait encore du mal avec le concept de cadeau qui n'attendait rien en retour...

Comment ça, il n'était pas son supérieur ? Elle n'avait donc rien compris ? Ou était-il trop modeste ? Non, étrangement, cela, elle n'y croyait pas. Et il le lui confirma bien vite en déclarant qu'il profitait également de son succès... Elle ne put retenir un petit rire, qu'elle réprima dès qu'elle le put. Qu'il ne croie pas qu'elle se moquait de lui... Même si, elle devait bien l'admettre, c'était un peu le cas. Mais jamais elle ne l'admettrait à voix haute. Elle avait sa fierté, non mais !

- Proches ? Vraiment ?

ça, elle n'y croyait pas. Après tout, il n'arrêtait pas de le dire, il ne la connaissait pas. Comment pouvait-on se sentir proche d'une inconnue ? Et... Peut-être était-ce l'une des raisons pour lesquelles elle refusait de donner des informations la concernant. Pour ne pas créer de véritable relation avec qui que ce soit. Mais d'un autre côté... Cet homme lui avait offert une vie, tout simplement. Et cela comptait énormément pour elle. D'autant plus qu'elle lui avait déjà promis de le récompenser avec les informations demandées...

Puis il sous-entendit qu'elle avait des proches... Ah. Il avait mal compris. Pour autant, était-ce le moment de le détromper ? Elle décida que ce serait plutôt la première information qu'elle donnerait en cas d'échec au jeu.

- Des "proches"... Je vous préviens, ce n'est probablement pas ce que vous imaginez. Mais si vous voulez en savoir plus... Vous allez devoir me battre demain !

Une lueur de défi s'alluma dans ses yeux. Tiens, elle ne se savait pas compétitive...

Puis il parla de son arrivée le lendemain... Il était donc peut-être temps de se dire au revoir. Et... Elle se doutait qu'elle se ferait encore massacrer au jeu. Simplement, elle espérait pouvoir jouer au moins un ou deux coups, ce serait déjà un certain progrès. Elle se servirait de leurs soirées jeux pour apprendre à mieux jouer. Il était certain qu'avec lui, elle apprendrait certainement des techniques imparables. À condition qu'il accepte de les lui enseigner et ne se contente pas de gagner. Enfin, on verrait tout cela le lendemain.

- Très bien, dans ce cas... À demain ?

Sauf s'il avait autre chose à lui dire. Mais s'il s'en allait, elle l'accompagnerait jusqu'à la porte. C'était la moindre des choses.