La cluasan se retourna, un peu surprise, et surtout, elle avait l'air, elle aussi, d'avoir vécu des instants difficiles dernièrement. Pourtant, alors que son regard envoûtant croisait celui de Laphe, l'elfe sentit une sorte de réconfort bienvenu, comme si le fait de se retrouver de nouveau en terrain connu, d'avoir quelque chose à quoi se rattacher après ce qu'elle avait vécu, lui faisait du bien. C'était assurément la seule raison, n'est-ce pas ? La question de l'étrangère - non, en fait c'est elle l'étrangère ici - semblait simple, et pourtant l'inquisitrice ne sut quoi lui répondre tant la situation était compliquée. Fallait-il tout lui dire, ou se contenter du nécessaire ? Lui cacher sa mission dans la tour ? Quoi qu'elle choisisse, cela ne se ferait pas ici au milieu de la foule, et comme si elle l'avait comprise sans qu'elles ne se parlent, Laphe lui saisit le bras pour l'amener à l'écart.

" A-ahh... gnn... "

Sous la surprise elle avait commencé à laisser échapper un faible geignement de douleur, la femme-oiseau l'ayant saisie par son bras blessé. Heureusement, Selae soutenait la douleur avec brio et se contenta de serrer la mâchoire pour contenir plus de bruit. Ha, cette cluasan et son contact facile à mille lieues de la distanciation respectueuse des elfes noctems... Et pourtant il y avait quelque chose d'appréciable dans ses gestes, dans la manière dont elle avait réagi en la voyant : La marchande s'inquiétait réellement de son état, et de manière visible, loin de ce dont elle pouvait avoir l'habitude dans sa vie à Munditia. Et la saveur d'une telle attention était étrangement douce aux yeux de l'inquisitrice.

" C'est long à expliquer mais... Je pense que ça va, maintenant. "

Elle ne présentait plus sa contenance noble et suffisante habituelle, probablement un contrecoup de ce qu'elle avait subi, mais aussi une raison liée à la demoiselle face à elle, Selae sachant bien qu'elle n'appréciait pas la manière d'être des noctems. Pourquoi remettait-elle en question son fonctionnement pour une cluasan ? La question lui effleura l'esprit avant d'être balayée par les considérations plus urgentes. De toute manière, bien qu'elle le cache habituellement, la porteuse d'Aurore était une personne plus franche qu'il ne faudrait pour la bienséance si chère aux yeux des siens.

" Disons qu'il y a encore une journée, j'étais à Ananda au nom de l'Inquisition, tu as surement entendu parler des attaques menées dans le territoire des dépéris par les forces conjointes des peuples d'Arathia ? "

Une journée, impossible donc qu'elle soit arrivée à Evren si vite, mais elle se gardait de parler de ce qu'elle avait vu dans la Tour. Pourtant, malgré la gravité de la situation, elle trouva le moyen d'afficher un sourire plus malicieux et amusé.

" Présomptueux de votre part de croire que je t'aurais prévenue si l'Inquisition m'envoyait ici. "

De toute manière, l'Inquisition n'opérait pas dans les autres pays, et aujourd'hui Selae payait ces années isolationnistes. Difficile à dire si elle mentait ou non, Selae avait tendance à faire passer son devoir avant tout, pourtant quelque chose lui disait que si ça avait été le cas, elle aurait trouvé un moment pour la voir. Et puis ce sourire mutin se mua en autre chose, peut-être plus doux, plus soucieux pour son interlocutrice qui avait elle aussi l'air d'être passée par de mauvais moments depuis leur séparation. Elle leva une main gantée et essuya une trace sur la joue de la demoiselle aux cheveux roses, lui remettant une mèche derrière son oreille duveteuse.

" T'as mauvaise mine, toi aussi... Tout va bien ? "

Beaucoup de choses avaient pu se passer depuis les mois qui les avaient séparées, et si Laphe traversait une mauvaise passe... Que ferait-elle seulement ? Elle ne se posait pas la question, mais la réponse avait de quoi l'inquiéter tant elle était différente de son comportement habituel. Et puis elle chancela un instant, sentant que ses forces la quittaient, sa vision se troublant juste un moment pour lui faire cligner des yeux et se rattraper un peu maladroitement.

" Excuse-moi... Tu aurais un endroit où on puisse se poser ? J'ai... Vraiment besoin de repos là. "

Laphe sembla soudain plus sérieuse, plus renfermée également, faisant naître en l'elfe un curieux mélange d'une satisfaction toute naturelle et de... Remords ? Pourquoi se sentait-elle soudain comme désolée d'avoir piqué la cluasan de la sorte ? Elle n'aimait pas la voir énervée ainsi, Laphe étant bien plus agréable à cotoyer alors qu'elle était souriante. Selae le savait, les colères de la marchande pouvaient être abruptes et désagréables. Elle ne se départit pas de son sourire pour autant, toujours un peu mutin, un peu joueur, mais aussi plus doux et chaleureux, comme elle l'aurait fait avec d'autres elfes... Non, un peu plus même. Quand elle reprit, c'était sur un ton certes exagéré, toujours un peu amusé, mais pas dénué de sérieux loin de là. Elle parlait à voix basse, presque à son oreille duveteuse.

" Pardonnez-moi cette mauvaise plaisanterie... Mais vous pouvez aussi me tutoyer vous savez, dame Paksireti. "

Si Laphe cherchait une moquerie dans ses mots, elle n'en trouverait aucune, au-delà du petit air malin de l'inquisitrice qui la prenait au mot en la vouvoyant. Son sourire était sincère quoiqu'un peu crispé par la douleur. Alors, finalement, la cluasan sembla lâcher le morceau. Selae savait qu'elle n'était pas revenue à Clara Nocte, elle l'aurait su, mais la perspective ne l'enchanta pas, celle d'être ignorée par la malaqii, elle sentit une pointe de vexation dans son cœur qui se dissipa quand celle qui était en train de la sauver mentionna une chose dont elle n'avait pas entendu parler, et son regard se fit plus curieux et alerte.

" Une tour, si près des royaumes ? Je ne comprends pas... "

Ca faisait l'air de rien un petit moment qu'elle avait quitté le siège de l'inquisition noctem, où les informations arrivaient en nombre. Peut-être le soudain éveil de la Tour Galate avait-il eu d'autres conséquences que celles qu'elle avait envisagé ? Et dans cette situation inquiétante - une inquiétude qu'elle avait beaucoup moins retrouvé chez la bourgeoisie noctem - Laphe disait aider elle aussi, et Selae la croyait, résolument. Elle avait bien jaugé la Paksireti lors de leur première rencontre quand elle avait jugé qu'elle n'était pas femme à se laisser porter par le flux, qu'elle était plus une battante qu'elle ne voulait bien le laisser croire, alors qu'elle vendait ses articles comme une jolie marchande exotique. Et son sourire à ses lèvres s'élargit un peu plus.

" Je crois qu'on a beaucoup de choses à se dire, votre maison, ce sera parfait. "

Elle se laissa donc guider, la rue n'étant pas un bon endroit pour aborder tout ce qu'elles avaient à se dire. Dans cette ville inconnue, blessée, on aurait facilement pu lui tendre un piège et la détrousser, et pourtant elle se sentait en sécurité avec la femme-oiseau. La suivre ne l'inquiêtait pas, elle aurait pu l'emmener où elle voulait, et cette pensée ne l'effraya pourtant pas. Et elle avait raison, car en un rien de temps elle se trouva dans une chaleureuse maison décorée de manière très atypique pour la noctem qu'elle était. Pourtant, tout était arrangé avec goût, soin, et classe.

" Merci, Laphe. "

Elle aurait bien aimé pouvoir dire non au médecin, mais elle sentait bien que le refus n'était pas une option valable. La perspective de se trouver avec une robe bien trop peu couvrante et peu pratique n'enchantait guère la porteuse d'Aurore, mais elle ignorait totalement ce que la marchande pouvait bien avoir à lui proposer comme vêtement en remplacement de sa chemise déchirée et ensanglantée. Une fois lavée, elle pourrait peut-être la remettre tout de même...

Selae ne fit cependant pas de scène devant la demande - ou plutôt l'ordre, la dame semblant encline à diriger les opérations - de son hôte, et retira sa veste de cuir qu'elle entreposa à côté du petit canapé oriental sur lequel elle avait pris place. Elle grimaça en serrant les dents au moment de retirer la chemise, car si ses blessures n'étaient pas graves et avaient pour la majeure partie déjà commencé à cicatriser, le sang avait collé le tissu à sa peau. Retirer son chemisier n'avait rien d'agréable, et elle le posa de sorte à ne rien tâcher de son sang, restant uniquement avec son sous-vêtement en haut, sans vraiment de gêne de s'exposer ainsi. Après tout, si un médecin devait l'ausculter, elle n'avait pas vraiment le choix. Elle ignorait quand le médecin arriverait, mais dans le doute, il valait mieux parler dès maintenant à la marchande, avant qu'il n'arrive et ne puisse entendre. Elle avait besoin de parler, et sentait qu'elle pouvait se confier librement à la demoiselle sur qui ses yeux restaient un peu trop accrochés.

" Ecoute, ce que je vais te dire, il ne faut pas que tu le répètes ailleurs qu'ici, je ne voudrais pas répandre plus de panique... J'étais dans la tour Galate, hier, enfin je pense que c'était hier... J'ai porté Aurore au cœur de notre ennemi aux côtés de l'inquisition, pour faire cesser ce rayon de mauvais augure, et... Je me suis réveillée ici. Je pourrais aussi bien être morte, ou en train de rêver dans une illusion faite par la Tour. Mais si tu es là, alors ça ne peut pas être le cas. "

Que voulait-elle dire avec cette énigmatique conclusion ? Elle-même ne le savait guère. Peut-être Laphe la prendrait-elle pour une folle avec ses élucubrations, mais Selae pressentait que ce ne serait pas le cas. Pourquoi serait-elle arrivée précisément ici, de tous les endroits de Arathia où elle aurait pu se trouver ? Quand la cluasan revint avec de l'eau et un chiffon, elle leva péniblement le bras, juste ce qu'elle pouvait sans gémir de douleur. Epaule démise ou bras cassé ? Elle n'était pas médecin, elle.

Elle n'avait rien besoin de préciser, si la Tour Galate était apparue, du moins en jumeau, ici à Al'Malaq, alors c'était une véritable catastrophe. Cela signifiait que la corruption s'étendait, que bientôt on aurait plus que jamais besoin d'elle et d'Aurore pour défendre ce qui doit l'être... Clara Nocte était en conflit avec Ananda depuis bien longtemps, ce combat, c'était celui de la défense de sa patrie, désormais il risquait de prendre une autre dimension plus globale qui lui faisait revoir ce qu'elle pensait. Non, ce serait véritablement terrible, inenvisageable même.

Pour le moment, rien ne laissait à penser qu'une telle chose allait se produire, pour le moment, elle était chez Laphe, peut-être la seule personne en qui elle ait assez confiance pour pouvoir se reposer sur elle. La confiance... Elle ne l'avait jamais accordée à quelqu'un d'autre qu'un elfe, et pourtant, elle était naturellement accordée à la marchande et ce, avec du recul, dès leur première rencontre. Pourquoi ? Et Laphe le lui rendait bien, elle l'avait accueillie chez elle sans discuter ni faire d'histoires, et là, le regard de l'elfe se perdait sur la chevelure rose ondoyante alors qu'elle préparait de quoi la nettoyer. Elle était choyée, et ça lui faisait plaisir, au fond.

" J'en ai eu un aperçu, des monstres immenses effrayés par la lumière, de la sorcellerie innomable, et une chose plus terrible encore dans les bas-fonds. C'est peut-être lui qui m'a téléportée ici, tu as raison, mais pourquoi faire alors qu'il aurait pu nous affronter ? "

Elle était passée au tutoiement de nouveau, mais il n'avait en rien une valeur de rabaissement ou de mépris. C'était purement dû à leur rapprochement, et finalement, le vouvoiement était devenu le jeu, et le tutoiement la norme entre elles pour Selae qui ne s'en rendait même pas compte. Laphe est une hôtesse vraiment parfaite, et si l'inquisitrice avait tendance à faire des efforts avec ses invités, elle était bien plus cavalière que la femme-oiseau qui revenait vers elle. Elle glissa sur le côté du canapé pour lui faire de la place, sentant qu'elle voulait s'installer. L'idée de partager un siège avec une sous-race aurait dû la dégoûter, alors pourquoi avait-elle cette curieuse sensation de sérénité ? Sans faire de remarque, elle la laissa passer le linge sur sa peau claire, nettoyant les quelques filets de sang séché qui s'y trouvaient. Laphe était douce et appliquée, attentive...

" Merci, vraiment, mais ça va aller, je me reposerai plus tard, après que le médecin soit passé. "

Elle était si proche, et pourtant respectueuse. De là, Selae pouvait sentir son parfum, et mieux se perdre dans ses yeux dont il fallait qu'elle se détache. Mais, prise par une soudaine envie qu'elle qualifierait de pure tauqinerie, tout en sachant au fond qu'elle se mentait, elle se pencha pour lui embrasser la joue.

" Quelqu'un m'a dit un jour qu'ici, c'était ainsi qu'on remerciait les gens... "

Elle s'apprêtait à subir des représailles de toutes sortes, mais il n'en fut rien, car on frappa à la porte. Le médecin venait d'arriver pour la tirer - au moins temporairement - de ce mauvais pas dans lequel elle s'était elle-même fourrée... Sans en regretter une seule seconde. La peau de Laphe était douce sous ses lèvres et... Pourquoi pensait-elle encore à cela alors que le médecin commençait à l'ausculter ? Il ne lui fallut pas longtemps pour rendre son verdict, que l'elfe avait attendu en quelque sorte. Après lui avoir nettoyé les plaies et s'être assuré qu'elles ne s'infectent pas, il passa au bras de l'inquisitrice qu'il banda à défaut d'avoir de quoi le plâtrer. Un peu de magie curative pour accélérer le processus, certes, mais il n'y aurait pas de miracle.

" Ses blessures ne sont pas graves, Laphe, mais veille bien à ce qu'elle garde le bras en écharpe pendant au moins deux semaines ! Elle n'en gardera pas de séquelles si elle ne force pas trop. "

Manifestement, il se demandait ce que la Paksireti faisait avec une elfe, mais était suffisament consciencieux pour ne pas poser la question. Selae, elle, avait les yeux rivés sur la cluasan, un peu de rose aux joues. Deux semaines... Le temps allait être long, et pourtant, ça aurait pu être bien, bien pire. Ici, elle ne se sentait pas si mal qu'elle l'aurait imaginé.

Selae avait rompu la distance les séparant toutes les deux, le temps d'une petite boutade, d'une petite écartade... Mais l'expression qui naquit en réponse sur le visage de Laphe la désarma tant qu'elle n'en regretta pas un seul instant. Et ce regard... Pourquoi lui faisait-il tant d'effet ? Le sourire de la cluasan devait être contagieux, car un léger sourire malicieux naquit aux lèvres de l'elfe également, malgré sa douleur, et ce moment de flottement ne fut sauvé que par l'intervention du médecin qui arriva pour lui remettre le bras en place et lui appliquer les premiers soins.

Et le verdict n'était pas vraiment pour l'enchanter, elle qui espérait rentrer au plus vite à Clara Nocte pour s'entretenir avec ses supérieurs se retrouvait désormais alitée pour deux semaines, et Laphe y veillerait assurément. Elle raccompagnait le médecin alors que l'elfe se demandait ce qu'elle allait bien pouvoir faire. Rester profiter de l'hospitalité de la marchande n'était pas une perspective déplaisante, mais elle ne voulait rien lui devoir, c'était après tout la raison pour laquelle elle lui avait fait visiter son pays, pour s'excuser de l'erreur inquisitoriale dont elle avait été l'objet...

" Je peux aussi aller dormir en auberge tu sais. " Mensonge, avec son argent actuellement sur elle elle tiendrait au mieux trois jours. " Mais je ne veux pas déranger ta famille, le canapé m'ira très bien ne t'en fais pas. Je suis habituée à... Dormir dans des conditions spartiates. "

Elle avait failli se montrer plus piquante, dire que comparativement aux matelas noctems les autres supports faisaient pâle figure, ou plutôt qu'elle supporterait un mode de vie dégradé... Mais elle s'était retenue. Depuis quand l'opinion de son interlocutrice avait-elle la moindre importance à ses yeux ? Elle ne voulait assurément pas voir Laphe boudeuse ou en colère, et voulait la voir... Avec ce sourire aux lèvres et cette lueur si particulière dans le regard, quand elle s'était amusée à poser ses lèvres sur sa peau. Elle rougit un peu alors que le châle était déposé sur ses épaules. Il jurait avec sa tenue, mais il était doux, de bonne facture comme tout ce que la cluasan possédait visiblement, et surtout l'attention la touchait. Elle ignorait pourquoi elle se montrait si avenante avec elle, aucun elfe n'aurait fait de même probablement, car elle n'avait que peu d'amis, mais elle voulait assurément que cela continue...

" Oh, tu sais, si j'arrive à bien dormir je serais surement assez ressourcée pour bouger. Le souci est plutôt que j'ai l'impression d'avoir passé deux jours sans dormir, en plus de la légère perte de sang... " Elle lui sourit, sincèrement, chaleureusement aussi. " Si ça ne te dérange pas, je visiterais Evren avec plaisir. "

Elle n'en avait rien à faire de la ville, de son exotisme ou de sa culture, ce serait tout au mieux des informations dont elle pourrait se resservir. Mais c'était pour elle qu'elle voulait sortir, pour profiter de la présence de Laphe qui la rassurait dans ces moments de trouble. Elle prit la tasse de thé de son bras valide, finalement, souffla dessus, et y goûta une gorgée qui resterait dans sa mémoire. Elle se sentait bien, curieusement, et malgré les épreuves.

" Merci pour le thé, il est bon... Et du coup, tu ne vis plus avec ta famille ? Tu vis seule ici ? "

Et en quoi la réponse pouvait-elle l'intéresser ? Pourtant, elle sentait qu'elle voulait savoir, qu'elle devait savoir, que cette réponse avait toute son importance.

" Ne te donne pas cette peine, je ne vais pas être si longtemps que ça en convalescence ici. "

Elle disait cela sincèrement, pour éviter que Laphe ne se mette en tête de dépenser pour elle, mais ne semblait pas réaliser que ses mots pouvaient être mal interprétés. D'autant que, pour une fois, l'idée de rester coincée dans ce pays étranger de répugnait pas Selae. Ou plutôt, l'idée de rester un peu plus longtemps avec Laphe. Un petit sourire en coin, l'inquisitrice regardait son interlocutrice cluasan avec douceur.

Elle écouta alors son récit, sa mine se faisant plus soucieuse, plus désolée, à mesure que la Paksireti parlait et lui expliquait la relation compliquée entre elle et son frère - une chose qu'elle n'aurait jamais pu imaginer entre eux vu l'affection qu'elle semblait lui porter - et sa décision de vivre seule. Et pourtant, ce fait fit quelque chose à l'elfe, sans qu'elle parvienne à le décrire, comme un soudain... Soulagement ? Comme si une crainte déraisonnée s'était effacée de ses épaules. Elle finit sa tasse tout en l'écoutant sans mot dire. Malgré ce qu'elle racontait, sa voix avec quelque chose de doux à l'oreille pointue de la noctem. Et finalement, elle posa une main sur sa jambe.

" Je suis désolée, je ne voulais pas me mêler de vos histoires de famille. Mais tu aimes ton frère et je suis sûre qu'il t'aime en retour tout autant, les choses finiront par se tasser entre vous, je n'en doute pas. "

Depuis quand s'inquiêtait-elle des histoires de famille d'autrui ? Ce n'était qu'avec Laphe qu'elle était ainsi, comme cette main trop osée qu'elle retira, ses joues rosissant d'une gêne qu'elle ne comprenait pas. Elle avait peur, ou du moins ce qu'elle ressentait s'y apparentait, alors qu'elle n'avait pourtant aucune raison. Aucune, si ce n'était celle d'être mise à la porte par la Cluasan qui la rassurait dans ce moment troublé. Et alors que ses yeux se perdaient sur son plumage, remontant jusqu'au regard de la demoiselle qui lui donna l'impression de vertige qu'elle n'avait jamais ressentie avant, elle commença à comprendre que ce n'était pas seulement dû à la situation incroyable dans laquelle elle se trouvait. Alors à la remarque de son hôte, elle se contenta de hocher la tête.

" Merci beaucoup, Laphe. "

Selae ne pensait pas qu'une fois qu'elle l'aurait laissée seule, elle arriverait à dormir, cependant. Non pas que son lit de fortune ne soit pas confortable, au contraire, Laphe avait du goût, mais elle avait trop à penser avec ce qu'il s'était passé. Et puis, elle n'arrivait jamais vraiment à dormir chez des étrangers, déformation professionnelle, peut-être ne se sentait-elle nulle part en sécurité. Cette fois pourtant, il ne lui fallut que quelques minutes pour sombrer dans le sommeil.

Quand elle se réveilla, tout était noir, il faisait nuit, le problème de s'endormir au milieu de l'après-midi. Pendant une fraction de secondes, elle faillit prendre peur en ne reconnaissant pas l'endroit où elle était, et puis la discussion de la journée lui revint, avec la marchande malaqii. Elle n'était pas en danger, au contraire... Elle la revit dans ses pensées, et de nouveau fut prise de cet étrange malaise, aussi agréable que perturbant. Elle se sentait... Non, c'était impossible, cela lui semblait inimaginable. Son devoir envers les noctems, sa place d'Aurore, elle n'avait toujours cherché que cela à l'exception de toute autre chose. Pourquoi elle, une étrangère, une sous-race ? En vérité, cela faisait déjà un moment qu'elle avait cessé de la voir ainsi.

Soudainement prise de panique, elle se leva en douceur, ressentant le besoin de respirer. Son bras toujours en écharpe, toujours sans haut, elle entreprit de chercher un peu de la fraicheur nocturne en espérant trouver une terrasse dans la maison de Laphe. L'Aurore n'eut pas à chercher bien longtemps, car elle voyait par les ouvertures de la cuisine une sorte de cour fermée, où elle ne risquait pas d'être vue. Elle s'y rendit d'un pas un peu fébrile, mais plus à cause de l'épuisement, et franchit la porte. Le froid nocturne la saisit, lui rafraichit le corps soudain bien chaud et, elle l'espérait, les idées.

Après avoir fermé la porte, elle se mit à regarder le ciel, la lune, espérant y trouver une quelconque réponse à son tourment. Mais ses pensées étaient ailleurs. C'était impossible, ce qu'elle pensait. Elle ne pouvait pas être si bête, tomber si bas, si ? Pourtant, n'était-ce pas ce qu'elle ressentait, et ne fallait-il pas suivre son cœur quand il agissait ainsi ? D'un coup, elle frappa la pierre du mur d'enceinte de son poing valide, serrant les dents sous l'impact et les quelques égratignures que cela générait. Sa raison, son orgueil et son racisme noctem affrontaient un ennemi bien insidieux qui semblait avoir pris possession d'elle.