Ton sommeil est troublé, assailli par des pensées sur lesquelles tu n’as plus aucun contrôle, des images que tu ne parviens pas à oublier, mais il y a pire ce sont les hurlements qui bercent tes nuits. Il est difficile de passer outre les horreurs de la guerre, du fantassin au mage de bataille de toute évidence.. Un sourire amer traverse quelques secondes ton visage alors que tu ordonnes que l’on te fasse couler un bain et que l’on te prépare une tenue.

Une de tes servantes se penche sur toi pour brosser la longue cascade mêlant l’obsidienne et le mercure, venant te tirer de tes rêveries tandis que tu t’amuses avec ta magie, produisant de délicats papillons fait de tes flammes sombres. « Madame, il paraît que la lune est très belle ce soir, peut-être devriez-vous faire une balade ? » L’idée pourrait être agréable, à condition de ne pas être seule. « Si Lorcan est encore debout, ma foi pourquoi pas. » Ta fidèle épée-lige, tu serais bien incapable de faire un pas dehors sans sa présence rassurante.

L’un des avantages des automates est qu’il permettent d'accéder à toutes les institutions civiles qu’importe l’heure de la journée ou de la nuit, et toi en parfait oiseau nocturne, du temps aux heures sombres tu n’as que ça à offrir, à la recherche de quoi maintenir tes pensées sombres à l’écart ainsi tu te rends donc à l’extérieur, simplement armée de ta lige et d’un garde et de bien peu de détermination, prête à faire demi-tour si ton courage se perd en chemin.

La flamme noire que tu te dois d’incarner fait bien peine à voir depuis ce printemps, faible et presque éteinte, et tous espèrent que ce n’est qu’une passade, que tout reviendra à la normale.. Mais tu es bien placée pour savoir que dans les jeux du Pouvoir, même les pièces les plus humbles peuvent parfois ne pas faire le mouvement que l’on attend d’elle, malgré toutes les sollicitations. Et que fait-on d'un pion désobéissant ? On le fait sortir du jeu. Et c’est une pensée qui te déplait, surtout lorsque tu estimes avoir déjà reçu un avertissement et pourtant pour l’heure, tu ne sais faire autrement.

Mais où te rends-tu de ce pas si peu pressé ? Dans la plus grande bibliothèque de la capitale - une idée suggérée par Lorcan -, située dans les plus beaux quartiers de la ville, non loin de ta demeure qui fait davantage office d’antre depuis quelques mois, tant tu n'oses pas en sortir. Simplement en deux siècles tu as fait le tour de tous les ouvrages de la tienne et tu espères un peu de fraîcheur et puis peut-être que tu croiseras une personne intéressante en chemin ? De quoi faire un semblant de conversation, si cette dernière ose t’aborder. Il faut dire que tu ressembles davantage à un fantôme qu’à quelqu’un de réellement accessible.

Vêtue comme à ton habitude d’une robe sombre brodée de motifs stellaires, évanescente et légère qui convient parfaitement maintenant que l’été est là, dévoilant tous tes tatouages sur tes bras et dans ton dos qui sont loin de te faire honte. Il n’y a longtemps que le bruit de tes escarpins résonnant sur le marbre une fois entrés dans le bâtiment. L’endroit étant aussi désert que l’on pourrait s’y attendre.

Tu te tournes vers ce qui te semble être l’archiviste en chef pour lui accorder une salutation amicale et accueillante. « Bonsoir. » Tes yeux argentés se posent un instant sur le créature, dans la curiosité naturelle de ceux qui n’ont pas l’habitude de fréquenter des automates.

Trop fatiguée pour faire attention aux quelques détails qui auraient dû te sauter aux yeux concernant ton interlocuteur qui après quelques coups d'œil ne ressemble pas réellement à un bibliothécaire, mais qui es-tu pour juger l’apparence des autres ? Même si tu as vécu toute ta vie aux côtés des automates tu t’avères être assez mal à l’aise vis à vis du principe même de créer des êtres parfois sans conscience, destinés à la servitude éternelle et ouvrant sans rétribution pour la société. Sans parler de leur docilité et avance qui te semble presque forcée par leurs créateurs..

Puis vint la question fatidique, celle du choix et tu n’as jamais été très douée pour ça. « N’importe quoi qui puisse occuper mon esprit. » D’ordinaire tu demandes à ta lige d’aller te chercher quelque chose, il revient toujours avec quelque chose d’intéressant, il faut dire que tu n’es pas particulièrement difficile ou peut-être est-ce simplement que les employés commencent à bien te connaître depuis deux siècles ? Il y a bien longtemps que la prière ne suffisait plus à t’occuper, à te plonger dans autre chose et pourtant ce n’est pas faute de t’y obliger chaque jour, avec de plus en plus de scepticisme, cependant. Ta foi va toujours à la Sainte Lune, bien entendu, c’est le reste qui pèche.

Puis cela te vient, tu te tournes vers l’être mécanique dans le bruissement de la soie. « L’horloger de l’aube peut-être ? » C’est un conte philosophique que tu lisais il y a bien longtemps à tes enfants, une histoire au sujet de la liberté et du libre arbitre. Le sujet peut prêter à rire alors que tu es un soldat de plomb face à un automate qui semble dénué de toute personnalité.

Tu as conscience de ne pas être très claire sur ce que tu désires, ça a toujours été plus ou moins la cas, tu n’as pas l’habitude de faire ce genre de choix, tu préfères qu’on le fasse à ta place et ce depuis toujours réfléchir est une étape désagréable, à laquelle tu n’as pas été programmée. Choix intéressant de mot, un sourire s’affiche péniblement sur tes lèvres.

Une nuit éternelle, vous avez les plus belles, inévitablement. « Que la Sainte Lune éclaire. » C’est la phrase qu’il faut dire, n’est-ce pas ? Mais où est le coq d’or incarné par une petit garçon pour faire revenir le jour ? Les têtes blondes que tu as élevées sont bien grandes à présent, hormis le dernier né, et tous ont pris le même chemin que vous : l’inquisition. Te rendant compte que tes pensées s’égarent en de bien dangereuses contrées.

C’est une lecture presque interdite pour ton esprit si bien éduqué à ne pas sortir des sentiers battus, la liberté c’est quelque chose de particulièrement dangereux, surtout lorsqu’on la cherche. Mais y a t’il réellement du mal à se questionner sur les pires aspects de l’Humain et des sociétés qu’il construit ? « Je la connais. J’ai simplement besoin de me plonger dans mes souvenirs. » Et surtout dans quelque chose de réconfortant. C’est un sentiment très humain de se rassurer comme l’on peut dans des choses connues, n’est-ce pas ?

T’accoudant sur le comptoir jusqu’à croiser tes mains tatouées, ce n’est pas un peu étrange pour une elfe d’être ainsi tatouée et de manière aussi ostentatoire ? Mais à présent ils font pleinement partie de ce que tu es, et un moyen clair de te distinguer. Puis quelque chose te tire de tes pensées. « Vous n’êtes pas vraiment l’un de automates travaillant ici, n’est-ce pas ? » Il faut dire qu’en y faisant plus attention, il n’a pas vraiment la tête de l’emploi, sans offense..