Le voilà qui en transpire, comme je peux le voir à la goutte qui coule le long de sa tempe. Il a besoin de se concentrer tant que ça pour rester « droit », « fidèle » ? Son indignation concernant ma comparaison me fait sourire. Est-ce qu'il réalise à quel point le mur qu'il a construit autour de lui l'évite de voir la beauté des choses ? Ce serait comme vivre sans jamais sortir pour profiter du ciel magnifique de Clara Nocte sous prétexte que respirer de l'air frais serait un pêché. Pour moi qui me détache de plus en plus de la religion, ça semble particulièrement stupide d'être si fermé.

- Pourquoi donc ? L'une essaie de rendre immorales les autres. J'ai bien le droit de les comparer si ça me chante.

Il parle du peuple, me questionne sur ma venue ici, sur de possibles projets... Il a envie que cette entrevue se finisse, c'est évident. Je pourrais partir, oui, mais je serai bien embêté d'avoir fait le trajet pour être mis à la porte aussi vite.

- Allons allons, je vous trouve bien peu accueillant. La Sainte Lune n'apprend-elle pas à être bienveillant et accueillant envers chaque elfe ? Vous semblez ne suivre que les fondements qui vous intéresse, Grand Évêque.

Il soupire, ramène ses mains à son front, l'air franchement fatigué de la discussion. Mhh... peut-être est-il temps de jouer un peu plus, avant qu'il ne se ferme totalement. Il ne peut pas me mettre à la porte, puisque les gens qui protègent les lieux continueraient sûrement de suivre les ordres du Grand Inquisiteur.

- C'est étrange de considérer qu'un simple débat d'idée est déjà proche du blasphème, Grand Évêque. Est-ce pour vous protéger ? Que craignez-vous ?..

Je me lève, faisant le tour du bureau tranquillement pour approcher mieux de lui et me pencher près de son visage, à une trentaine de centimètres. Trop prêt sûrement à ses yeux.

- Auriez-vous peur que vos arguments ne tiennent pas la route ? Craignez-vous que votre vie perde du sens si vous apprenez à vivre pour vous et pas pour votre culte ?

Son comportement me rappelle celui de certaines personnes que j'ai rencontrées, qui étaient douloureusement en mal d'affection, d'amour, sans même parler de relation charnelle. Pour vérifier mon hypothèse, je glisse simplement une main sur le haut de sa tête, venant déposer une caresse douce dans ses cheveux si longs et beaux. Il ne vit peut-être pas pour lui, mais je l'ai toujours vu prendre soin de lui. Il est magnifique, je suis loin de l'ignorer. Si Amadeus n'était pas aussi fermé, ce serait un vrai plaisir de me rapprocher de lui.
Ma main se retire tandis que je me redresse, souriant.

- Sans même parler de coucher avec quelqu'un, je suis persuadé que vous gagneriez beaucoup à apprécier la chaleur des interactions humaines, Amadeus.

Amadeus priait sans cesse. Même si ses lèvres ne bougeaient pas, il n'y avait que dans son sommeil qu'il n'implorait peut-être pas la grâce de la Sainte Lune. Et, désormais baigné dans des responsabilités qui le poussaient à être irréprochable sur sa piété, il préférait s'enfermer dans son dogme sectaire en y emmenant progressivement les autres religieux. S'il ne pouvait pas convertir le Grand Inquisiteur, alors il cherchera peut-être à, au moins, le pousser à moins bouder la religion.

« Vous jouez avec les mots et avec moi, je n'apprécie pas. »

Son regard pourrait une fois de plus foudroyer sur place. Il y avait presque un air prédateur dans ses yeux, prêt à se jeter à la gorge de l'elfe pour le mettre à mal. Mais il savait se tenir, et ce n'était sûrement qu'une stupide impression qu'il laissait à mesure qu'il s'était entraîné à mal regarder les autres.

Il souhaitait ardemment que tout ça se termine. Sa jambe valide tremblait légèrement, signe d'une envie d'impulsion. De se lever, de l'amener jusqu'en dehors du temple de la nuit. De lui souhaiter une bonne soirée avant de retourner s'enfermer dans son étude. Car il avait tant à faire, et si peu de temps. On lui demandait déjà beaucoup de choses alors qu'il n'avait pris le poste que depuis peu de temps.

« Je crains que notre piété disparaisse, avec l'ouverture des frontières, avec l'effacement de la religion. Que devient notre royaume, quand deux des trois assistants du Roi préfèrent se perdre dans les bras d'un autre plutôt que de se confier régulièrement au temple ? »

Amadeus n'avait décidément pas avalé la pilule. Il allait radoter un long moment sur ça, persuadé que tout changera à mesure qu'il continue de rabâcher la faute sur les autres. Il n'y avait pas vraiment de malveillance derrière ses paroles, seulement une réelle envie de redorer la religion, qui se traduisait par une certaine agressivité.

Perdu dans ses pensées, il lui aura fallu un moment pour comprendre ce qu'il venait de se passer. Il avait simplement ouvert les yeux en grands, sans repousser le Grand Inquisiteur. Il ne comprenait pas ce qu'il se passait, étonné de sentir une main chaude dans ses cheveux si bien coiffés. Il était plus outré par le fait qu'il devra se recoiffer plutôt que par le geste, fixant simplement l'homme en fronçant les sourcils. Il n'avait aucun mouvement de recul, ni même quoi que ce soit de vraiment négatif, prouvant bien qu'il manquait cruellement de quelque chose dans sa vie. Mais il avait choisi d'être retenu.

« À quoi bon, Amset ? Ce que vous venez de faire ne m'a pas chamboulé, et le geste ne changera absolument rien à ma vie. Vous voyez ? On peut très bien vivre sans. »

Pourtant, ses joues s'étaient empourprées. Il se pensait tellement maître de son corps qu'il lui était tout bonnement impossible de savoir qu'il était capable de rougir. Maintenant, il était perturbé. Gêné ? Pas vraiment, mais ses gestes étaient désormais imprécis, alors qu'il se contentait de maugréer entre deux psaumes.

« ... Mais si vous recommencez, je ne vous demanderai pas de quitter la pièce. »

Il se mit immédiatement à racler sa gorge, comme pour effacer ce qu'il venait de dire. N'importe quoi.