Pourquoi Cerah ? Pourquoi, diable, irais-je me fourrer là-bas ? Moi-même je n’osais répondre à cette question tant la réponse était honteuse. Après ma dernière aventure en Al’Malaq, j’avais comme à mon habitude, trouvé refuge dans un de ces établissements à débit pour m’abreuver le gosier et fumer les meilleures herbes à narguilé de la capitale. Jusque là, grand classique de mon existence. Il fallait enchaîner quelques jours de beuveries avant de reprendre le travail. J’avais une cour de citadins que j’avais acquis à ma cause, car avides de connaître mes dernières épopées dans le désert, ou mes combats contres les monstres dont j’avais croisé le chemin sur l’île. Alors j’exposai mes exploits, en prenant soin de les narrer avec panache. Hé ! Je tiens à faire reluire ma réputation, il faut rester professionnel, même lorsque l’on est ivre.

Un de ces foutus badauds m’avait cueilli en pleine diatribe, me faisant lorgner monts et merveilles si j’acceptais de venir avec lui à Cerah. J’acceptai sans sourciller, confiant en ma bonne étoile, et confiant au sujet des promesses de mon nouvel interlocuteur, concernant un contrat juteux pour une chasse au monstre dans les forêts les plus luxuriantes du continent. C’était sans compter le mauvais tour qu’il m’avait joué. Ni une ni deux, une fois sur son rafiot, je me retrouvai à fond de cale en compagnie de plusieurs esclaves, direction l’enfer. Et dans mon malheur, les pirates malaqiis se livrent aussi souvent que possible des escarmouches, conséquentes de l’âpre concurrence qui se joue entre ces hors-la-loi des mers. Voilà une histoire rocambolesque, puisque mes nouveaux comparses et moi-même profitions d’une de ces batailles navales, d’un tout nouveau genre pour moi, pour faire une révolte, et rejoindre les assaillants. Une fois l’issue du combat arrivée, nous n’avions guère le choix, nous joindre à nos sauveurs, ou être balancé par-dessus bord. J’embrassai alors la glorieuse carrière de pirate pendant deux jours et demi.

Dès qu’un bout de terre fut en vue, je plongeai à la mer pour nager vers le rivage. Adieu les matelots de mauvaise augure, et à moi la côte ! La mer de Sylve offre son lot de petites îles, et celle que j’avais gagné, par chance, abritait un comptoir pour les pêcheurs de Cerah. Et une semaine plus tard, je posai pied sur le continent, enfin ! Je n’avais que mon glaive « Martyr » avec moi, ainsi que mon arc. J’avais été dépioté de ma bourse. Mes pas me menèrent dans un village nommé Galran, à l’atmosphère moribonde.

Cerah était un territoire certes magnifique de par la densité des végétaux qui en recouvrait la surface, mais le sud-ouest était en proie à la corruption. Et comme Galran bordait cette région dangereuse, on pouvait déceler une ambiance de mort dans le village. Quelque chose clochait de toute évidence, et les péquenauds du coin avaient certainement du travail à refourguer pour un costaud comme moi. J’avais revêtu un habit en peau de bête, bon marché qu’on m’avait donné en échange d’un jour de travail dans une ferme, cinq jours plus tôt. Le vêtement, trop petit, ne faisait qu’accentuer ma silhouette massive, ce qui n’aidait pas pour passer inaperçu. L’auberge du village, bien qu’animée, me paraissait décadente comparée à la chaleur naturelle et humaine des tavernes d’Evren. Je me postai un peu à l’écart, prêt à biberonner une bière et déguster un ragoût de porc.

Débarqua alors un étonnant énergumène. Un homme-bête, très vraisemblablement. Il était immense, par rapport à moi ou à tout autre humain de taille très moyenne. Il était élancé, et de par ses habits, je devinai que j’avais affaire à un voyageur. En tout cas, pas un gars du coin. La créature avait tout d’un être humain, mis à part sa couleur de peau sombre, ses yeux à l’éclat marron-or, ainsi que ses immenses oreilles de lapin (ou de lièvre) qui se dressaient au travers de sa chevelure sombre et aux mèches rebelles. Les hommes-bête ne me dérangeaient guère, j’avais été élevé par l’un d’entre eux, après tout. Au contraire, ils avaient quelque chose de rassurant. Il se tint devant moi, prononça ces paroles :



« Bonsoir ! Je suis de passage dans ce village, connaîtriez-vous les alentours par hasard ? J'aurais bien besoin d'aide, moyennant argent sonnant et trébuchant bien sûr ! Rien d'insurmontable, simplement une petite quête. »

D’un coup pied grossier, je poussai le tabouret que j’avais devant moi et lui fit signe de prendre place.


« Assieds-toi, l’ami. On va discutailler toi et moi parce qu’on est pas d’ici, et que la compagnie des Cluasans, je sais l’apprécier. Je m’appelle Khalidar. T’as de l’argent à proposer ? J’en suis. De quoi t’as besoin ? »