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"....yiel..."

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Ils ne voyaient rien, n’est-ce pas ? Ils ne voyaient rien, n’entendaient rien, ne sentaient rien. Des coquilles vides, parées de soie, de velours, d’or et de cristaux. Des mains douces, qui n’avaient jamais tenu rien d’autre que des plumes, des verres et des flacons de parfum. Des gosiers habitués à glousser et chuchoter. Des larmes sur des joues. Des plumes teintées de rouge. Des farandoles de couleurs éclatantes qui disparaissaient dans l’ombre grandissantes.

Caliban… 

Caliban ouvrit les yeux. Sur son bras, une main fine et soignée s’était posée, inquiète. Celle de la conseillère Madriel, qui le scrutait désormais de ses grands yeux gris. Que voulait-elle donc ? « Votre Altesse, tout va bien ? » chuchota-t-elle, ses doigts se resserrant un peu plus autour de l’avant-bras de Caliban.

Non, bien sûr que non. Vous ne voyez donc pas ce qui approche ? voulait-il répondre. Mais seule sa tête dodelinant de haut en bas fit office de réponse. Ça n’était qu’un cauchemar, un simple cauchemar. Cryptique, comme d’habitude. Mais terriblement vivant. Juste un rêve.

Il avait dû s’assoupir brièvement. Oui, c’était probablement cela. La faute aux conversations ennuyeuses qui se tenait autour de lui et qu’il devait subir, le sourire aux lèvres. Ou à la musique lancinante qui montait derrière lui, censée adoucir l’ambiance. Ou aux vapeurs parfumées des vins mordorés qui luisaient dans les verres.

Caliban dégagea son bras de l’étreinte de Madriel, et parcourut l’assemblée des yeux. Certains avaient des ailes, des membres éminents des grandes familles nobles d’Elysium. Et les autres, les rampants… ils n’avaient rien à faire ici, bien entendu. Mais il fallait tolérer leur présence et leur adresser les mêmes égards qu’aux célestes.

Quelques convives l’observaient, certains discrets, d’autres moins. Avaient-ils remarqué son apathie soudaine ? Impossible, il ne s’était pas échappé plus de quelques secondes. Les regards s’échappaient au fur et à mesure que ses yeux venaient les croiser.

Tiens. Le jeune roi les mettraient-ils mal à l’aise ?

Un sourire étira ses lèvres. Que penseraient ses ancêtres en le voyant ainsi ? Seraient-ils consternés de le voir ainsi offrir pain et vin à leurs envahisseurs ? Verseraient-ils des larmes amères, comme le faisaient les figures qui ornaient les vitraux de la salle ?

Des larmes sur des joues.

Caliban leva les yeux vers l’immense fenêtre qui lui faisait face, à l’autre bout de la table. Son vitrail brillait de milles feux dans la lumière du soir, projetant ses lueurs chatoyantes sur les invités, qui, s’ils s’étaient peut-être extasiés en arrivant, s’étaient rapidement désintéressés.

Et ils ne voyaient rien. Ni les lumières, ni l’ombre qui grandissait derrière.

Caliban ne pouvait en détacher les yeux. Ce n’était pas qu’un rêve. C’était un avertissement. Sombre ? Peut-être. Inévitable, c’était certain. Il ne pouvait qu’attendre, et fermer les yeux.

L’ombre percuta la fenêtre, et le vitrail vola en éclats. L’atmosphère explosa dans un concert de verre brisé et de hurlements de terreur. Caliban entendit des cavalcades éperdues, des chaises tomber au sol, des épées tirées de leurs fourreaux… puis, soudain, le silence.

A nouveau, il ouvrit les paupières. Un oeil rose croisa le sien, rose comme le vin de sa coupe. Attendez, pourquoi rose ? Le vin ne devrait pas être rose.

Oh.

Oh.

Un murmure s’échappa des lèvres de la valkyrie blessée. Caliban avança la main, et du bout des doigts, vint cueillir une goutte de sang qui roulait sur son visage meurtri. « Je suis là. » chuchota-t-il, assez bas pour que seule la guerrière puisse l’entendre. Les valkyries étaient ce qu’il avait de plus précieux, et voir l’une d’entre elle ainsi brisée lui perçait le coeur.

Autour d’eux, les spéculations commençaient à fuser. Qui ? Comment ? Pourquoi ? Les valkyries et les gardes de la salle pointaient sur l’inconnue leurs lames hésitantes. Ils reconnaissaient l’une des leurs. Les invités braquaient de grands yeux sur les ailes sanglantes et l’armure brisée qui avait troublé leur repas. Caliban leva une main en signe d’apaisement.

Les épées regagnèrent leur place, les exclamations reprirent de plus belle, délivrée du choc initial.  La voix de Madriel couvrit le soudain tumulte. « Allez chercher un guérisseur ! 
- Non ! »
Caliban s’était redressé brusquement. Son regard se détacha de celui de la valkyrie, pour se poser sur Madriel. « Je m’en occupe. Restez avec nos invités, faites en sorte que la soirée se poursuive sans accrocs. Je vous fais confiance. » déclara-t-il d’une voix radoucie.

Madriel s’inclina, et Caliban se pencha sur la Valkyrie. Ce n’était pas l’une de celles du palais. Elle devait venir d’en bas. Mais que faisait-elle ici, et dans cet état ? Caliban contempla les ailes abîmées de la céleste, et un éclair douloureux traversa son regard. « Je suis là. » répéta-t-il mécaniquement, alors que ses bras vinrent se glisser sous ceux de la blessée pour tenter de la relever. « Tout va bien. Aidez-moi. » continua-t-il, tout en faisant un signe de tête à deux autres valkyries présentes, qui vinrent les entourer, leurs ailes dissimulant la scène au reste des regards. Avec précautions, elles vinrent appuyer Caliban, aidant leur soeur blessée à se remettre debout. « Je vous emmène avec moi à l’infirmerie. » dit-il doucement, mais fermement.

C’était bien réel, ça n’avait rien d’un rêve, cette fois. Mais la valkyrie n’avait rien d’une ombre. Et elle avait prononcé son nom, Caliban en était certain. Il espérait que ça ne soit pas là un sombre présage.