Les ruines sont comme ils les avaient laissées, n'y trouve qu'un manteau blanc en plus.
Ce qui fût le théâtre des décisions politiques du peuple draconide, devenu tombeau pour ceux qui avaient eu le malheur de s'y trouver lors de ce jour fatidique, est terriblement silencieux.
Plus de brouhaha animé par les vivants, ni de lamentations discordantes des morts ramenés de force.
Même le vent est absent, ne soulève pas la poudreuse et ne s'infiltre pas entre les interstices des vêtements, prêt à mordre la chair.
Ne reste qu'une ambiance lourde, en dépit du Soleil qui fait miroiter ses rayons sur les flocons cristallins.

Attends simplement, Víkka, comme convenu plus tôt.
Elle lui avait foi en lui, et par extension, lui-même porte une certaine confiance au géant. Les verraient en personne : ses expressions, ses réactions, face au récit que la plupart avait jugé trop rocambolesque.
Ça lui tire un sourire glacial, sans joie, de se remémorer l'accueil de leur histoire. Ne fait qu'attiser les braises qui ne se sont jamais éteintes, bien qu'une saison s'était écoulée depuis.
L'Arbre était toujours debout, visiblement preuve irréfutable qu'ils n'avaient que fabulé l'événement et les menaces de l'inconnu.
Il les envie, d'être aussi ignorants, échangerait la vision des macchabées pour une existence tranquille sans la moindre hésitation.
Forcé de les voir, imprimés sur sa paupière, ne trouverait repos que lorsque le sang aura coulé.
Oeil pour oeil, dent pour dent.

C'est toujours immobile, assis sur le rocher qu'il les observe avancer vers lui.
Pas besoin de les héler, silhouette facilement reconnaissable sur le fond immaculé offert par le paysage paisible, bien que lugubre au vu des circonstances.
Il aurait pu les accompagner dans la montée, mais l'appel du ciel avait été plus fort, épaulé par le besoin d'être seul, de se préparer à ce qui allait arriver.
Le plan n'était pas le sien, en partageait seulement l'envie, laisserait à Lilienthal le soin de préparer proprement les choses — si ça n'en tenait qu'à lui, même son nouveau poste ne l'aurait pas empêché de franchir les limites de Vollheim.
D'enfin entamer la traque.
Mais pour l'instant, il n'y a qu'eux trois, avec leur rage intérieure, et les cimes environnantes, forces tranquilles, pour témoins.
Le calme avant la tempête.

Tu aurais aimé que les choses soient différentes. Juchée sur Moro, silencieuse, tu apprécies la présence de Varin à tes côtés sans pouvoir le lui exprimer. A cet instant, tes pensées ne peuvent réellement se focaliser sur lui comme elles l’ont un peu trop fait ces derniers temps ; tu essaies de ne pas sombrer dans les souvenirs de cette journée-là, que vous vous apprêtez à revivre.

Au fond, tu n’étais jamais venu souvent à la cour des Ecailles. Trop occupée par tout sauf te focaliser sur ton peuple, tu n’avais jamais embrassé ce qui faisait la fierté de tes parents. Et à présent, c’est un pan de ta culture qui t’a été arraché, avec cette impression sourde qu’il ne réapparaîtra jamais.

“C’est… Bien que tu sois là.”

Dans d’autres circonstances, tu aurais aimé avoir l’avis de Vikka sur le géant. Parler de ce que tu ne cerne pas bien… Mais tout s’éteint, progressivement, alors que vous vous rapprochez des ruines de la Cour.

Il est déjà là.

Descendant de Moro, tu t’approches d’un pas solennel, comme pour marquer le respect à des morts qui n’en ont plus rien à faire.

“Vikka.”

Ton regard s’égare dans les ruines de tout ce que vous avez perdu. Plus tôt, tu n’aurais pas été capable de faire face à tout ça, mais à présent que tes blessures ne sont plus que des lignes de plus sur ton corps, tu peux enfin faire cesser l’attente. Le dernier dragon vollhyr a droit à des réponses, tu as droit à la vengeance.

Et Varin dans tout ça ? Sans réellement réaliser ton geste, tes doigts volent, effleurent les siens. La chaleur que vous échangez brièvement a quelque chose de profondément rassurant.

“L’idée… Ce serait de voir s’il y a des traces.”, tu ne te sens pas “chef” aujourd’hui. “Si ça vous va.”

C'est vraiment une drôle de journée.

Lilienthal lui a proposé d'aller retrouver Vikka dans les ruines de la Cour des Ecailles, et il a évidemment accepté, autant pour la soutenir que pour Vollheim. Toute cette histoire d'homme chevaucheur de dragon voulant brûler l'Arbre Millénaire l'a fait pas mal réfléchir et s'inquiéter ces derniers jours.
Puisque la draconide fait confiance au soldat et qu'il a lui aussi vu cet homme de ses propres yeux, Varin espère en apprendre plus et avoir son propre point de vue sur tout ça. Est-ce que Lili' en a rajouté sans s'en rendre compte, s'imaginant certaines choses à cause du traumatisme de ce jour funeste ? Ou est-ce que tout est vrai, aussi incroyable que ce soit ? Un dragon... Varin aurait ricané au nez de n'importe qui lui ayant dit en avoir eu, il y a encore peu. Mais avec tout ça il ne savait plus trop quoi croire.

C'est pour ça qu'il est là, marchant avec Lilienthal et lui offrant une caresse sur le haut de la tête quand elle le remercie à demi-mot d'être venu. Il marche, s'avançant enfin dans les ruines. Rapidement, il reconnaît la carrure de Vikka plus loin, installé sur un rocher. Varin s'entend plutôt bien avec lui, même si leur relation restaient jusque là celles d'un maître d'armes avec un apprenant. Un apprenant doué, ceci dit.

Il hoche la tête pour le saluer quand ils arrivent près de lui, essayant de faire abstraction du paysage désolé autour d'eux. C'est quand il sent les doigts légers de Lili sur les siens que son regard quitte enfin Vikka des yeux, venant plutôt observer les alentours.
Il n'a pas vu ce qu'il s'est passé, mais il en ressent toute la lourdeur. Il n'imagine même pas ce que les deux autres peuvent penser en voyant ces ruines. Sa main se ferme sur celle de Lili, l'englobant totalement vu leur taille respective. Il veut l'aider à tenir bon. Elle n'est clairement pas comme d'habitude, depuis cette journée. Il a hâte de la voir aussi vivante qu'avant, une fois tout ça terminé.

Car évidemment qu'ils « gagneront », dans cette histoire qui lui semble si compliquée pour eux trois. Il refuse de penser autrement.

- Où est-ce que le dragon était posé ? Il a peut-être laissé des écailles, quelque chose... Un dragon, c'est plus simple à traquer que son cavalier, je suppose.

Il se sent stupide, un peu. Il ne sait rien, c'est eux qui ont toutes les clefs. Il a envie de poser mille questions, ça lui brûle les lèvres, mais il se force à tenir sa langue pour ne pas remuer le couteau dans la plaie.