La lune de Clara Nocte me manque. Le soleil est relativement agréable, oui, mais mon manque d'habitude me donne l'impression que ma peau me brûle. C'est de pire en pire alors que nous approchons lentement mais sûrement de Xing Alda et son désert beaucoup trop chaud. Oh, j'ai bien des habits adaptés à la chaleur oui, mais le manque d'habitude se fait sentir. Je plains ma garde avec leurs armures. J'ai aussi l'une des miennes, mais bien plus légères. Je voyage en ambassadeur et pas en guerrier, j'ai juste besoin de ne pas être une cible trop facile pour d'éventuelles créatures. Les bandits ne m'inquiète pas, avec la dizaine de soldats à mes côtés.

J'ai entreprit ce petit voyage entre les diverses nations pour me présenter en tant que nouveau Grand Inquisiteur noctem, mais aussi pour prendre un peu la température des divers dirigeants quant à nos relations actuellement. Les messagers font un très bon travail, mais rien ne vaut de venir sur place directement afin de rencontrer les puissants du monde. Voilà pourquoi, actuellement, je suis sur les routes du royaume d'Arvandor, ayant quitté la capitale pour me diriger vers Xing Alda. C'est assez agréable de quitter l'endroit. Ce n'est pas très étonnant mais j'ai une lourde rancœur envers ce peuple, comme bien d'autres noctems.
Quel culot, de profiter que l'on soit alliés pour user de notre technologie et créer une arme de destruction massive sans notre consentement...

De vrais sauvages.

J'ai gardé Xing Alda pour la fin volontairement, me disant que je serai fatigué du voyage. Ce sera sûrement le royaume le plus agréable à visiter, vu nos liens. Et puis la route que nous prenons semble relativement empruntée, puisque nous avons déjà croisé quelques voyageurs et marchands. Voilà d'ailleurs au loin un nouveau groupe qui approche, allant dans le sens inverse du nôtre. Ils sont étonnement nombreux, d'ailleurs. Et au fur et à mesure qu'ils approchent, il devient plus simple de distinguer leur silhouette.

Des ailes ?
Des célestes ?

Étonnant. Remarque, peut-être pas tant que ça... Après tout, là au dessus des nuages se trouve Elysium, leur cité. Eux aussi ont été victime d'Arvandor mais... pour le coup, Clara Nocte y a joué un grand rôle.
Evidemment, avant que je soit Grand Inquisiteur. Mais tout de même, je préfère me méfier. Nos tenues et armures sont clairement de Clara Nocte, personne ne pourrait s'y tromper. Je donne l'ordre à mon groupe de s'arrêter afin de laisser les célestes approcher. Il est évident qu'il s'agit d'une escorte. Un groupe de célestes féminines, entourant un homme...

Serait-ce le Roi ? Quelle coïncidence.

Peut-on encore parler de Roi, puisqu'ils sont régit par Arvandor ?.. En tout cas, je n'ai aucune raison de lui manquer de respect. Lorsque le cortège arrive à notre hauteur, c'est d'un pas que je m'avance, m'inclinant avec une main sur le cœur, ma cape touchant presque le sol.

- Si je ne m'abuse, vous devez être le Roi Aldoran. C'est un honneur de vous rencontrer.

Je me redresse en lui adressant un sourire calme et confiant.

- Permettez-moi de me présenter. Je suis le nouveau Grand Inquisiteur de Clara Nocte. Je me nomme Amset Lareya.

Évidemment, je cherche aussitôt à trouver des indices sur sa façon de se comporter et sur son visage, pour savoir ce qu'il pense, au fond. Je suis plutôt doué pour ça, il faut dire. Mais c'est un monarque, il doit avoir l'habitude de très bien cacher ses émotions...

- Je suis en voyage afin de rencontrer les dirigeants des nations, et j'allais vers Xing Alda. Je vous avoue ne pas avoir noté Elysium dans mes objectifs, pour la simple raison que nous n'avons pas d'ailes, mais... je serai ravi de discuter avec vous.

Mes gardes fixent leurs homologues ailés, sur la défensive mais pas agressifs. Ils le savent, nous sommes là en paix, pas pour chercher des problèmes à qui que ce soit.

Le céleste me dévisage, mais je ne vais pas le juger pour ça. Autant son propre rang est facile à deviner, autant je pourrais être un simple lieutenant de Clara Nocte. Encore plus avec ma nomination récente qui fait que mon visage est inconnu du plus grand nombre -d'où l'importance d'effectuer ce petit voyage et me présenter-.

Quel joli ton, tiens. Lui aussi est doué pour parler, rendre bien. Nous sommes donc deux. Il a bien dû ressentir l'ironie dans ma voix, lorsque j'ai mentionné manquer d'elle. En réalité... je n'ai tout simplement pas l'envie de rendre visite au moindre petit peuple annexé. Ce serait une perte de temps ainsi qu'un possible affront aux royaumes dominantes. Arvandor aurait pu voir une rencontre officielle entre lui et le jeune Roi d'Elysium comme une façon de sapper leur autorité. Évidemment, je ne le dis pas, C'est bien plus drôle de trouver une excuse comme les ailes. S'il a compris l'ironie, je me délecte de savoir qu'il a remarqué la moquerie. S'il ne l'a pas compris, il doit se penser supérieur, plus intelligent, et risque donc de faire quelques petites erreurs qui peuvent s'avérer intéressantes dans son discours.
Les Valkyries, derrière ? Très impressionnantes. Qu'elles soient une force armée puissante n'est pas un mensonge. Mais... quel dommage que la plus grande partie ait été massacrée. Sans ironie cette fois.
Une nouvelle guerre entre Elysium et Arvandor serait un spectacle amusant. Mais avec armée si réduite ? Impossible.

Je secoue la tête lorsqu'il prétend s'en vouloir à l'idée d'interrompre mon voyage, et lui offre un sourire cordial.

- Oh, ne vous en faites pas, votre Altesse. Vous ne me dérangez absolument pas. C'est plutôt à moi de m'excuser de vous demander de votre temps.

Répondis-je, ma main sur le cœur. Pas d'ironie dans le titre, je ne fais que lui montrer tout de même un signe de respect. Même s'il n'est pas le roi régent, il reste une figure importante. J'aime m'amuser à le tourmenter un peu, mais je ne souhaite pas créer encore plus de haine pour Clara Nocte de sa part. Ce serait stupide.

-Mhh... Je suis habitué en effet à plus de luxe, je suppose que vous aussi. Mais peut-être peut-on faire une exception, cette fois. J'allais justement sonner la pause repas pour mes hommes. Que diriez-vous de nous installer ensemble ?

Pendant un instant, je me demande ce que peuvent être les spécialités culinaires d'Elysium. Elles sont sûrement bien différentes des nôtres. Le Royaume de la Nuit contre celui le plus proche du soleil... Tout doit être très différent.

-L'herbe semble agréable, par ici. A moins que vous craigniez de salir vos habits.

Je continue, désignant un carré d'herbe sur le côté de la route. Quelques arbres produisent une ombre bienvenue sous ce soleil dont je n'ai décidément pas l'habitude. J'avoue que pour le coup, je n'aime pas l'idée de me retrouver avec les fesses colorées de vert mais... ma cape aidera à cacher ça, s'il le faut. Je préfère sacrifier un pantalon que de laisser passer une occasion comme celle de parler au Roi Caliban.

C'est amusant de le voir lancer un regard ferme à ses troupes. Nul doute qu'il a encore de l'autorité, malgré tout, et que les autres célestes présents ne la conteste pas. Elysium semble ne pas accepter son annexation. En témoigne les conseillers arvandiens que je reconnais à leur tenue. Une façon de surveiller le céleste, aucun doute. Et sûrement aussi la raison pour laquelle il est contraint de voyager au sol au lieu de profiter de ses ailes.

-Bien sûr, vous êtes bienvenus également, messieurs.

Dis-je à leur attention.

Oh, pour le coup, Caliban pourrait voir ça comme une façon d'appuyer l'étau arvendien dans lequel il est. Mais non. C'est plus... pour assurer mes arrières. Que pourraient dire ces conseillers s'ils rentraient dire à leur roi que le Grand Inquisiteur de Clara Nocte fait ami-ami, seul avec le Roi d'Elysium ? Ça pourrait se retourner contre moi.

Et je suis loin de vouloir lâcher ma place pour une erreur si bête.

Bien. Il faut que je mette mon envie de confort de côté, mais au moins je vais pouvoir discuter avec Caliban. Je hoche donc la tête pour commencer à l'accompagner, réfléchissant un instant à comment s'installer avant qu'un de mes gardes ne vienne de lui-même m'offrir sa cape pour que je puisse m'asseoir. Je le remercie d'un sourire et attrape le vêtement. Là, j'observe le Roi céleste indiquer -ordonner- aux conseiller d'Arvandor de venir eux aussi. L'interaction me confirme que malgré son statut dominé, Caliban garde un semblant d'autorité. Ce n'est pas plus mal qu'Arvandor n'ait pas absolument tous les droits.
J’ai alors droit au très joli spectacle du céleste étendant ses ailes, sûrement pour se mettre à l'aise. Une sacré envergure, ça oui, plusieurs mètres et... et est-ce qu'il vient de bousculer ce conseiller volontairement ou par erreur ? Non, il doit avoir l'habitude de sa taille quand même. C'était clairement voulu. Je ne peux retenir un sourire clairement amusé devant l'air courroucé de l'homme avant de revenir au visage du Roi. Il me propose de m'installer en face de lui, et je dépose donc tranquillement la cape pour m'asseoir en tailleur dessus, à l'aise.

Mes gardes s'installent de leur côté pour déjeuner tranquillement, après que l'un d'eux m'ait passé ma part de nourriture, proprement empaquetée dans un joli tissu. Je ne mange pas énormément à la base, et même avec mes goûts de luxe... j'avoue apprécier partager la même nourriture que les soldats. Peut-être une forme de nostalgie, au fond ? Et uniquement en expédition du genre. A la capitale, hors de question de même regarder ce genre de met. C'est donc avec surprise que je vois Caliban récupérer du vin. Oh, tiens, finalement lui aussi se permet du confort, même en voyage.

- Avec grand plaisir. D'où vient-il ?

J'aime l'alcool, quand il est bon. C'est même assez rare, un repas sans un bon vin pour l'accompagner. Juste un verre, jamais plus. Juste pour le plaisir sur les papilles gustatives. Ce qui m'intrigue, c'est la provenance. Arvandor, ou bien Elysium même ? Font-ils du vin, là haut ?
Je déballe tranquillement ma part du repas, qui est loin d'être de la grande cuisine mais qui reste très joliment présentée en plus de proposer un bel étalage de mets, en petite quantité chacun. Je tiens à ce que les soldats qui m'accompagnent profitent d'un bon repas plutôt que de grignoter quelque chose qui ne leur plaît pas. Je dépose tout ça devant Caliban.

- Je vous en prie, si vous souhaitez goûter à ce qu'on peut manger à Clara Nocte. Bien sûr, ce ne sont que des plats qui se mangent froids.

Je le remercie pour le vin, dans lequel je trempe le bout des lèvres pour goûter tandis qu'il me questionne sur Arvandor. Je prend quelques instants pour y réfléchir, feignant de m'intéresser à la couleur du liquide dans mon verre. Puis je baisse mon verre et dépose mon regard sur le Roi à nouveau.

- Je ne peux pas dire que je déteste, sûrement pas en présence de représentants. Mais j'avoue que j'y trouve bien plus d'inconvénients que d'avantages. Rien que ce soleil, c'est si... enfin, ceci existe dans toutes les nations à part Clara Nocte, il faut dire. Mais fini les blagues, je reprend plus sérieusement. C'est difficile d'avoir un réel avis. Vu mon rang, j'ai eu un accueil de choix, et des discussions réglées au millimètres près. Vous savez comme les relations entre nos nations sont difficiles. Tout est donc toujours soigneusement prévu, d'un côté comme de l'autre. Difficile donc de juger d'une nation entière sur un aperçu aussi petit...

Et comme bien des noctems, j'en veux profondément à ce Royaume d'avoir abusé de notre confiance pour créer une arme de destruction massive grâce à notre technologie. Évidemment, hors de question d'aborder ce sujet précis avec quelqu'un d'aussi important sans m'être préparé avant, mais Caliban n'est certainement pas stupide, il doit très bien savoir que c'est ce que j’entends par « relation difficile ».

- Et pour ce que j'aimerais vous demander... c'est simple, je suis curieux de savoir la place à laquelle vous avez droit à Arvandor. Lorsque notre nation était fermée, je ne me suis pas spécialement renseigné sur ce qu'il a pu se passer en dehors. J'ignore donc comment votre situation a évolué...

Et puis il n'y avait eu qu'un an entre la prise d'Elysium et la fermeture de Clara Nocte. Qui sait ce qui avait pu se passer en... C'était en 71, donc en quatorze ans. Déjà quatorze ? Le temps passe décidément bien vite. C'est assez affligeant, de réaliser qu'on vieillit...
Enfin, j'ajoute avec honnêteté :

- Je ne veux pas reproduire les erreurs de mes prédécesseurs qui ont produit à des désastres comme dans cette guerre entre Arvandor et Vollheim. Pour ça, j'ai besoin de comprendre les liens qui unissent les royaumes... et leurs annexés.

Tout au long, je jette quelques coups d'oeils aux conseillers. Je suis curieux de savoir ce qu'ils peuvent bien en penser.

Ce n'est pas le roi qui me répond en premier, mais l'un des conseillers. Mon regard trahit une pointe d'agacement lorsqu'il vient se poser sur lui, vite remplacée par un air plus neutre en accord avec mon sourire poli. Je hoche la tête malgré la réponse venue de quelqu'un à qui je n'ai rien demandé. Sûrement un humain qui se juge important, dans son rôle de chien de garde beaucoup trop bien dressé par la couronne.  Tout ça pour être aussi insignifiant qu'un cafard à mes yeux : juste une nuisance qui m'empêche de me concentrer sur l'objet de mon attention actuellement.

Je préfère revenir poser mes yeux sur le jeune céleste, car c'est bien lui qui m'intéresse. Je me demande bien ce qu'il pense en son fort intérieur, mais je suppose qu'il ne doit pas manquer de noms d'oiseaux très colorés pour nous désigner, les arvendiens comme les noctems. On lui a volé son héritage, ou plutôt on l'a empoisonné en lui liant les poings.
Je l'écoute, tandis qu'il raconte son histoire d'un ton que je trouve étonnement enjoué. Je dois bien l'avouer, ça me rend un peu confus. Mais le récit continue, expliquant en bonne partie comment il vit sa situation, et je fini par me dire que cet amusement cache juste une moquerie envers Clara Nocte, et peut-être envers moi pour mes questionnements. Je ne manque pas vraiment d'empathie, c'est bien ce qui fait d'ailleurs que je me débrouille plutôt bien pour diriger une discussion ; je manque plutôt de compassion. Si je n'ai aucun mal à imaginer ce que vit Caliban, m’imaginant moi-même privé du moindre pouvoir après avoir vu mon peuple se faire massacrer, je n'éprouve pas de sentiment larmoyant pour lui.

Et pourtant, l'envie me vient de me justifier.

- A l'époque, je n'étais qu'un exécutant dans l'armée. Je recevais des ordres et les transmettais à mes hommes. Notre façon de vivre nous pousse à nous remettre au jugement des dirigeants. Nous sommes quatre, chacun avec nos rôles. Il y a moi, bien sûr, mais aussi mon Second Maître Inquisiteur, pour diriger l'armée. Le Grand Évêque s'occupe du côté religieux... Bien sûr, c'est notre Roi qui aura toujours le dernier mot. Je suppose que celui qui régnais à l'époque jugeais qu'aider Arvandor était à ce moment là dans notre plus grand intérêt.

Un petit coup d'oeil aux conseillers, avant de revenir à lui.

- Et qui peut en vouloir à un peuple d'agir selon ses propres intérêts ?

Même si l'histoire nous a donné tord. Arvandor a trahit notre confiance, après tout. Je ne suis pas en position de juger notre Roi et le Grand Inquisiteur de cette période. Je n'étais pas assez rentré dans les petits papiers de chacun pour connaître les tenants et aboutissants de cette histoire. Je préférais continuer de juste me concentrer sur ma carrière et sur le développement de mes connaissances, pour justement mieux me placer. Pour mes propres intérêts, donc.
J'évite bien sûr de mentionner que l'isolation de Clara Nocte après les crimes d'Arvandor m'a beaucoup aidé à monter en hiérarchie. La perte du jeune roi avait été ma bénédiction. Je me tourne plutôt vers les conseillers désignés par le céleste.

- Et je n'ai pas besoin de flatter ces hommes. J'ai déjà rencontré la haute société d'Arvandor, j'ai suffisamment donné en courbettes pour l'instant.

Un moyen dédaigneux de leur faire comprendre qu'ils ne m'intéressent pas.

- Je préfère justement écouter votre histoire, Majesté. Aucune nation n'est garantie de durer éternellement, qu'elle ne finira pas écrasée. Votre témoignage est intéressant à prendre en compte.

Oh, je l'imagine grincer des dents. Pourtant, c'est juste une vérité. Même si je doute que Clara Nocte puisse chuter, vu notre supériorité sur bien des points, ne serait-ce que technologique. Je prend une bouchée de nourriture noctem, accompagnée d'une gorgée de vin arvendien. C'est plutôt agréable, au final, de déjeuner ainsi, posé dans l'herbe (ou presque, puis que je suis encore assis sur la cape) tout en profitant du léger vent. Je pourrais presque aimer les pique-nique.

- Avez-vous l'autorisation de quitter le territoire arvendien ? En étant bien sûr accompagné, j’entends. Clara Nocte est une superbe nation à visiter, si vous ne craignez pas l'obscurité de la nuit.

Je me demande comment notre propre roi accueillerait le céleste. L'envie de les faire se rencontrer me plaît beaucoup, mais il me faudrait déjà l'avis de Lise, bien plus expérimentée...

Le céleste semble las de la discussion, et je ne peux pas lui en vouloir. J'ai choisi d'avoir un rôle à responsabilité, lui en a hérité : peut-être aurait-il aimé faire autre chose de sa vie. Je l'observe donc lorsqu'il ferme les yeux et lève le nez au ciel, et je réfléchis à une façon de changer le sujet de la discussion. J'opte pour sous-entendre une invitation à Clara Nocte, après avoir pesé le pour et le contre. Après tout, Sa Majesté le Roi Elior avait rendu clair son souhait de renouer avec certains peuples, notamment les célestes. Après en avoir discuté en privé avec lui, il avait confirmé voir vouloir naître une entente entre leur royaume et Elysium.

Et ça marche. Le roi rouvre les yeux pour m'observer, l'air étonnement heureux. Je ne m'attendais pas à ce qu'il réagisse ainsi et je ne retient pas le sourire sincère qui me vient à l'idée qu'il ait envie de voir notre si belle nation. Le dénommé conseiller Mediem se voit accordé un geste désobligeant de la part de la part de Caliban et je trouve ça très amusant. C'est que le céleste se montre soudainement plus intéressant, à résister ainsi à son « escorte ». J'accorde mon attention au Roi, ignorant comme lui Mediem et répondant finalement à sa question avec une voix accueillante.

- Bien sûr. Après ces années d'autarcie, Clara Nocte a à cœur de se rouvrir au monde. Notre Roi s'est montré généreux en acceptant que des représentants étrangers se rendent à la capitale. Vous êtes évidemment bien assez important pour pouvoir visiter Munditia.

J'ai encore un peu de mal à accepter que nous ayons ouvert le Royaume, car à mon humble avis tout fonctionnait très bien pendant ces quelques années ; mais je ne peux nier qu'il est toujours utile de se faire des alliés solides. Le genre d'allié qui ne va pas nous trahir en usant de notre technologie pour commettre des actes aussi sordides que ceux de l'histoire récente d'Arvandor. Elysium... Ils n'ont peut-être plus vraiment d'armée, les Valkyries étant largement réduites en nombre depuis l'annexation du royaume, mais je n'ai aucun doute que la colère gronde en eux : il suffit de voir leur roi.
Si un jour, un soulèvement de masse se produit sur Arvandor, je préfère que Clara Nocte soit compté parmi ceux qui auront aidé que parmi leurs anciens alliés. Indéniablement. C'est peut-être ce que Sa Majesté a en tête, d'ailleurs.

Le céleste reprend la parole pour répondre à ma question concernant l'obscurité, penchant la tête en haussant un sourcil d'un air amusé à sa remarque sur le soleil. Oh, je ne prend pas ça mal du tout, c'est une réalité que j'ai du mal à supporter l'astre.

- En effet, je manque d'habitude. Sans compter qu'il me brûle les yeux. Je dois avouer avoir hâte de regagner Munditia.

Je m'étire un peu, non seulement pour détendre mes muscles mais aussi pour me replacer et m’asseoir différemment, déployant mes jambes pour les reposer un peu et les laisser sur un de mes côtés. Une main me permet de me maintenir droit. C'est peut-être moins gracieux, mais ça m'évite d'avoir mal au coccyx. Le céleste doit bien se moquer, lui qui semble bien plus habitué que moi à se poser en pleine nature. En tant normal, ne sortant jamais de la ville ou presque, mon seul contact avec la nature sont mes plantes vertes.
Mais il faut bien le dire, cette odeur de fleurs est bien agréable. Tout comme la caresse du soleil, bien que je m'en plaigne quand je reste dessous un moment. Je ferme les yeux pour apprécier encore un peu les lieux, bien plus doux à mon sens que la prochaine étape de ce voyage : Xing Alda. J'avais bien emmené des vêtements assez légers, mais c'était évident que j'y aurai bien trop chaud.

Si seulement je pouvais tout faire en aéronef. Ce serait bien plus rapide et confortable... si seulement mon vertige n'était pas aussi violent. Je préfère m'infliger tout ça que de me faire violence pour mettre un pied sur ces machines infernales. Et puis je souhaite garder une bonne image face à mes hommes. Que penseraient-il de voir le Grand Inquisiteur recroquevillé sur l'une des banquettes en priant la Lune pour arriver le plus vite possible ?

- Bien entendu, si vous acceptez de venir, il est très probable que vous puissiez rencontrer sa Majesté. Il met un point d'honneur à être proche des gens, son peuple comme les autres.

Loin d'un Roi fermé. Si j'ai bien des choses à lui reprocher bien que je tienne ma langue, je ne peux pas nier qu'il est très disponible et ouvert à la discussion. Une fois mes fonctions plus assumées et à l'aise dans mon rôle, j'espère pouvoir débattre avec lui des points où nous ne sommes pas d'accord. J'aime discuter et je pense qu'avec lui, ça ne peut être qu'enrichissant.
Sûrement autant qu'avec Lise, d'une certaine manière.
Je réfléchis, en triturant mes bagues sans trop y faire attention. Peut-être suis-je un peu nerveux, puisque ce voyage est la première occasion que j'ai de discuter avec des puissants étrangers à Clara Nocte.

Le céleste est vraiment un cas spécial. Sa situation est ce qu'elle est en grande partie par notre faute ; pour autant, il semble très motivé à venir visiter la nation. Je doute que ce soit par envie de voir notre technologie et acclamer notre supériorité manifeste.
Peut-être cela vaudrait-il le coup de le faire surveiller lors de sa venue, pour éviter qu'il ne se venge discrètement ? Sans parler de la logistique liée aux arvandiens qui l'accompagneront sans aucun doute. Autant de gens pour lesquels je refuse d'endormir totalement ma méfiance.

Mon regard se pose ensuite sur les Valkyries, admirant leurs armures et leurs ailes parfois aussi impressionnantes que celles de leur Roi.

- Bien sûr, vous serez libre d'avoir votre garde personnelle.

Après avoir jaugé les valkyries et avoir laissé mon regard revenir au roi, pourrais jurer voir le céleste se décomposer devant mes yeux tandis qu'il réfléchit à la proposition. Comme si à force de juger le pour et le contre, il réalisait qu'il n'a pas grand chose à y gagner. Il faut dire que sa situation est extrêmement délicate, et que le moindre pas de travers pourrait faire rouler sa tête déjà en sursis. Je le laisse réfléchir, prendre son temps, tandis que je fini le verre de vin et goûte enfin au plat proposé. C'est bon, plein de légumes que je connais pas car ils nécessitent sûrement de se gorger de soleil. Ça me change, même si la cuisine noctem reste ma favorite, peut-être par habitude.

Il me questionne sur sa sécurité et je souris, amusé qu'il puisse remettre en cause la sûreté de Munditia. Je pourrais presque mal le prendre, mais je choisis de répondre dans le même ton calme que lui, quoiqu'un peu taquin.

- Voyons, votre Altesse. Vous ne risquerez évidemment rien. Je représente et dirige l'armée, alors croyez bien que la venue d'un représentant étranger me ferait prendre les mesures nécessaires. Je propose à votre garde de se joindre à vous pour que vous ayez au moins le repère de ces visages connus.

Le voilà qui joue avec une fleur jaune, toute petite, très jolie, si pigmentée que le soleil y rebondit et produit un petit halo jaune sur une joue du céleste. Je l'observe faire, tandis qu'il la glisse dans ses cheveux d'un air nonchalant. Je ne me rappelle pas d'une quelconque tradition consistant à se décorer ainsi la tête chez les célestes, et ce geste presque enfantin me fait rappeler comme il est jeune, encore plus pour une race à l'espérance de vie si élevée. A-t-il au moins eu un mentor pour lui apprendre, ou a-t-il dû se débrouiller seul dès le début ? Le seul soucis de notre fermeture au monde est que peu d'informations rentraient, y compris celles concernant les grands de ce monde. Même si Elysium est annexée, Caliban reste l'héritier de tout un peuple. Tant de choses sur de si frêles épaules.
Sa question me fait réfléchir pendant un instant pour formuler une réponse convenable, lui laissant le temps de reprendre en appuyant sur la nature de notre rencontre. Cela me surprend un peu, et je suis bien incapable de cacher ma confusion cette fois. Je me reprend dans la seconde, affichant ce sourire faux et tant de fois répété tandis que je répond enfin.

- Je ne peux affirmer savoir ce que sa Majesté pense réellement, mais je peux vous assurer qu'il a à cœur de rassembler des peuples autrefois repoussés par les elfes.

Ça m'arrache un peu la bouche, pourtant c'est la vérité, comme j'ai pu le constater lors de réunions aussi longues qu'intéressantes pour mieux comprendre son point de vue, partager sa vision, entrechoquer nos idées. Il ne voit que le peuple noctem là où je vois des elfes, des hommes-bêtes, des mécaniques, chacun avec leurs besoins et leurs envies. Il regroupe là où je juge qu'il serait bon de gardes des barrières afin de protéger l'identité de chacun. Mais qui suis-je pour refuser de transmettre ses envies à un peuple qu'il a mentionné vouloir rencontrer afin de renouer ? C'est Sa Majesté qui commande, pas moi.
Je remarque que ma mâchoire s'est crispée alors que je réfléchissais et je dois faire un effort pour la desserrer avant de reprendre, mon regard froid plongé dans les yeux du céleste.

- J'ai beau ne pas être d'accord avec cette décision, il souhaite rencontrer un maximum de personnes éminentes dans le monde. Qu'il s'agisse de souverains comme ceux d'Arvandor ou de ceux représentants de plus petits groupes. Il veut que Clara Nocte puisse s'informer de ce que le monde est devenu pendant son autarcie.

L'idée de voir Munditia accueillir des gens de tout horizons ne m'enchante pas. C'est le meilleur moyen pour que les habitants se sentent envahis dans leur intimité ou qu'ils aient l'impression que leur roi ne met par son peuple au dessus des autres. Mais si telle est sa volonté...
Conscient que j'ai déjà trop montré mes désaccords avec mon souverain, je glisse un regard sur Mediem qui ne manquera sûrement pas d'en faire part à ses supérieurs. Tssk. Je reviens m'installer convenablement, jambes un peu moins fatiguées de la position, puis me permet de me servir un nouveau verre de vin -tout en en proposant au céleste-.

- Si vous avez d'autres questions concernant cette invitation, je ne peux que vous conseiller de contacter directement Sa Majesté. Je ne suis qu'un messager dans cette affaire.