Oui, Capucine était sur le point de quitter Rochebourg, maintenant qu'elle avait tout ce qu'il lui fallait de viatiques et d'équipement. Mais le destin devait la retenir encore un peu et l'ironie voulut qu'elle vécut sa première véritable aventure dans la bourgade même où elle avait grandit, ou peu s'en fallait.

En effet, elle venait juste de dépasser la menuiserie Feydonnet qu'une sorte de clameur lui parvint, une rue plus loin. Elle pressa le pas, poussée par la curiosité et remarqua qu'il y avait désordre sur la grand-place. En effet, là où se dressait quelques heures plus tôt le marché matinal, moult tentes, baraques et loges avaient été installées à l'occasion de la fête du fromage et du lait cru. La fête était en réalité un énième marché aux atours de célébration du terroir local et, d'habitude, une occasion de passer un bon moment en goûtant les nouveautés du coin ou en redécouvrant les grands classiques.

Mais cette fois, Capucine fit face à une scène bien étrange : les bonnes gens de la grand-place semblaient être devenues folles, parlant en langue, chantant à tue-tête, se roulant à même le sol ou encore dansant une gigue endiablée sans le moindre accompagnement musical. Les danseurs et danseuses, de tous âges, suaient à grosses gouttes et grimaçaient de terreur tandis que des forains aux biceps imposants tentaient par groupes de quatre de s'emparer d'euses pour les sangler un à un sur des portes dégondées, ce qui ne semblait pas avoir l'effet immobilisant escompté.

Capucine, les mains fermement agrippées aux bretelles de son barda, la longe de son âne nouée à sa ceinture, regarda le spectacle avec une rare circonspection.
« Dieux ma dame ! Mais qu'est-ce que c'est donc que cette follerie ! »

Juste à côté de Capucine, il y avait un jeune homme aux cheveux rouges qui soliloquait. Comme sa mère quand elle faisait le ménage. Mais, alors qu'elle avait déjà retourné son attention vers la scène de delirium, la jeune femme braqua un regard stupéfait sur le rouquin qui était en train de s'approcher du tumulte. Elle n'était pas folle, si ? Elle avait bien aperçu ses yeux rouges ? Lorsqu'elle vit la hache pendre à sa hanche, elle n'eut plus aucun doute : c'était le héros dont ils parlaient au village, le garçon qui avait occis des odöda. Elle était en présence d'une célébrité locale et, à en juger par son attitude, il était sur le point de se démarquer une fois de plus en aidant Rochebourg.

Elle ne devait surtout pas rester en arrière mais au contraire sauter sur cette occasion d'apprendre des meilleurs. Alors, combattant un trac qu'elle ne se serait jamais soupçonnée pouvoir ressentir, elle prit une grande inspiration et... Mince, il était déjà parti devant elle !

« Eh, attends ! Euh, moi aussi je veux aider. Je... Je veux mettre fin à cette exécration. » Fit-elle, le rattrapant en courant, les joues empourprées par sa propre audace. Le pauvre âne avait dû presser le pas, ce qui était plus d'émotion qu'il n'en avait connu en quinze ans ; il se permit une petite sieste pour la peine.

« Je veux dire... C'est parce que je suis une pérégrine (un peu), alors, c'est le genre de besognes qu'on fait, est-ce point ? Je m'appelle Capucine. Et toi, tu es le Rubis de Rochebourg, c'est ça ? » Demanda-t-elle, en lui tendant sa main habillée d'un gant un poil trop gros pour elle.

« Une idée d’où ça vient ? J’ai… Jamais vu cela avant !
— Ah, ça ! Si j'en ai la plus petite idée, c'est bien le déluge ! Mais peut-être qu'on devrait s'aboucher avec le chaland ? Après tout, si c'est un mal-dit, on aura bien esgourdi celui qui l'aura prononcé, non ? »

Capucine entra dans l'enceinte de la kermesse et alla au devant des forains pour leur demander ce qui s'était produit. On répondit seulement que les esprits s'étaient de plus en plus agités à mesure que les bonnes gens parcouraient les roulottes et les loges, et que l'intensité en augmentait progressivement jusqu'à ce que certains soient pris de vapeurs tandis que d'autre se mettent à se battre ou à danser comme ils pouvait présentement y assister.

La jeune femme se tourna de nouveau vers Aedan.
« Eh bien ! On dirait bien que le voile se soulève ici mais, je ne sais trop par où commencer... Peut-être qu'on devrait tout simplement ausculter les étals pour y déloger une défixion ou un talisman ? »