Quand un habitant me manque de respect, je peux l'ignorer. Quand un soldat me manque de respect, je peux lui faire prendre un blâme. Mais le Roi ? Je ne peux que ravaler ma frustration, hocher gentiment la tête, et attendre que ça passe. Comme là. Sa majesté m'a proposé de l'accompagner rencontrer une partie du peuple, et j'ai accepté pour nouer des liens avec lui et mériter ma place de Grand Inquisiteur. Le premier problème, c'est qu'il m'a interdit de faire venir le moindre inquisiteur avec nous. Il n'a aucun instinct de survie pour penser qu'il peut se promener ainsi, avec seulement un seul garde du corps -moi-. L'autre chose, c'est qu'il nous a fait quitter la ville alors qu'il m'a assuré que nous n'irions « pas loin ». Et que ça a duré. Encore et encore. Et je suis doué pour me repérer : nous sommes allé en plein vers Iter Caedis.
J'ai beau être calme d'ordinaire, cette épreuve me met particulièrement à cran. Quelle idée a-t-il eu, franchement ? Il nous fait prendre des risques complètement inconsidérés, à tout les deux. S'il se passe quoi que ce soit, je peux être sûr que ma tête va rouler. Et même s'il ne se passe rien... Pour quoi je passe, à ne pas protéger le Roi comme il le faut alors qu'il s'agit d'une de mes obligations ? Mais un ordre est un ordre, et je n'ai pas réussi à le faire changer d'avis.

L'envie de râler est énorme, mais je me suis tenu au mieux tout le long du trajet. Je ne peux pas me permettre de discuter ses décisions, une fois validées. Je n'ai qu'un rôle de conseiller. Iter Caedis est en vue, et j'en grimace d'avance. Cette ville me donne des frissons de dégoût. Elle englobe tout ce que je déteste à Clara Nocte : la violence, la précarité, le manque de beauté et de pureté... J'en suis au point de me sentir malade d'avance. Un seul regard de travers et je crains de me retrouver attaqué de toutes parts. Et évidemment, je crains l'accueil qui sera fait au Roi. Qu'espère-t-il obtenir, ici ?

C'est avec mille questions en tête qu'enfin, j'approche des écuries de l'entrée de la ville, accompagné de sa Majesté. Je met pied à terre et confie les deux Bellator Aries à l'homme qui gère les lieux. Qui sait si on les reverra un jour. Deux telles merveilles d’ingénieure feraient la fortune de bien des gens, ici. A commencer par l'homme-bête qui les accueille d'un air ravi, évidemment ; même s'il est bien intentionné et ne compte pas les voler, ça reste deux « bêtes » faciles. Inutile de les nourrir, de les brosser... il faut juste les « stocker » dans un box. Je m'occupe de le régler, sans particulièrement cacher mon dédain envers lui, avant de rejoindre le Roi qui attend à l'extérieur.

Je tire sur ma cape sur mes beaux habits pour mieux me couvrir, comme pour me protéger de la brume persistante créée par la fumée noire, tandis que mes yeux se lèvent sur la ville bien trop haute à mon goût. Je sens mon vertige me titiller, même si bien moins violent que lorsque je suis sur une hauteur. Ça reste assez pour que mon regard revienne vite au Roi, sans que je puisse cacher l'étincelle de dégoût dans mes yeux.

- Vous ne m'avez pas encore dit le but de notre visite ici, votre Majesté.

Je m'efforce à lui sourire calmement, poliment, même si je serre les dents. Je hais cet endroit. Je hais sa saleté. Son odeur. Ses habitants. Je ne compte que très peu d'elfes. Beaucoup trop d'inférieurs.

- Il commence à être tard. Nous devrions chercher un lieu où nous reposer.

Et propre, si tant est que ce genre d'endroit existe ici. Je ne veux pas d'un rat qui vienne visiter mon lit dans la nuit, ni de puces qui se glissent sur mes vêtements en profitant du festin que leur ferait le tissu de bonne qualité. Déjà que je vais devoir laver tout ça plusieurs fois pour faire définitivement partir l'odeur âcre de la fumée...

Déjà la présence du Roi ici attire quelques regards, et j'observe les gens avec beaucoup de méfiance. En tant que seul garde présent ici-même, je me dois d'être infaillible. Sous ma cape, à ma ceinture, j'ai d'ailleurs accroché mon arme à feu fétiche.

Sa Majesté est bien couverte, mais je ne demande pas si c'est par envie de rester inaperçu ou pour se protéger des émanations de fumée de la ville poubelle en face de nous. Son regard se pose sur moi et je hausse les sourcils, surpris d'être ainsi réprimandé. Je me sens gêné d'être ainsi coupable devant mon Roi et je m'excuse en lui offrant une petite révérence, loin d'être aussi poussée que lors de salutations formelles. Plus une courbette polie.

-Je vous prie de m'excuser, Votre Majesté. Vous êtes bien sûr de la meilleure compagnie. Mais vous avez raison, je suis tendu. Je connais mal cette ville.

Et je reste persuadé que nous aurions dû emmener des gardes. Évidemment, je tiens ma langue au lieu de râler plus et m'efforce de répondre au sourire du Roi par un autre rictus. Ses yeux m'interdisent de me plaindre, de toute façon. Je ne peux pas dire le contraire, cet homme a l'étoffe d'un roi, rien que par sa prestance et sa capacité à montrer exactement ce qu'il pense par un simple regard. J'ai beau regretter notre précédent monarque, j'ai hâte de voir ce que celui-ci va donner, que je sois d'accord avec ses décisions ou non. De toute façon, il sera le seul souverain à ma carrière de Grand Inquisiteur : soit je prend ma retraite tandis qu'il est encore aux commandes, soit il meure assassiné et ma tête roulera avec vu mon rôle de protecteur. Je ne vois pas vraiment d'autre issue possible vu le peu d'importance qu'il porte à sa propre sécurité.

Le repos, un luxe, hein ? Je sens que cette ville n'a vraiment rien pour me plaire. Je ne sais combien de temps il souhaite que nous restions ici, mais je n'ai qu'une hâte : retrouver le calme et le silence de mon manoir et m'étaler sur mon lit si confortable. Je ne fais que hocher docilement la tête même si mon regard trahit la peur qui reste ancrée en moi à l'idée de mettre les pieds dans cette ville. Toutefois, une précision s'impose.

- Je reste votre protecteur. Si quelqu'un vous menace, laissez-moi agir, Votre Majesté.

Puis je réalise que c'est la première fois qu'il me nomme par mon prénom et je hausse les sourcils, l'air soudainement surpris. Est-ce une manière de me menacer ? De sembler plus amical ? Mon instinct ne m'aide pas à cet instant, car le Roi est illisible. Il reprend d'ailleurs en me précisant de ne pas l'appeler Majesté et me voilà à pincer les lèvres. Ignorer la bienséance ? C'est... difficile. Surtout face à une personne telle que notre monarque.

- Comment dois-je m'adresser à vous, dans ce cas, Vot--...

Je me sens stupide et claque ma langue à mon raté. J'ai beau avoir de l'assurance habituellement, je sens bien que mes nerfs sont mis à rude épreuve ici. Au point que je commence à penser que Sa Majesté cherche réellement à me tester en tant que Grand Inquisiteur. Une façon de voir s'il peut compter sur moi pour suivre ses ordres même si je ne suis pas d'accord avec, par exemple.
Malgré tout, fini par suivre ses pas, le suivant de près mais très légèrement en arrière pour le laisser mener. Le voilà qui retire sa capuche, affichant son visage au grand jour et montrant surtout sa couleur de cheveux si remarquable. S'il voulait être discret, c'est raté. Cherche-t-il sciemment à me taper sur les nerfs ?

Plutôt que me replier sur moi-même, je préfère observer la ville. Je fais attention à où je met les pieds, mais je lève parfois le nez pour observer l'architecture, les devantures de boutiques, les visages autour. Tant d'humanoïdes qui ne sont pas des elfes. Tellement de brassage synonyme de problèmes de cohabitation. Tellement de saleté, aussi. Des traces noires à cause de la fumée. Ces gens ne prennent-ils donc pas soin de leur ville ? Je note que beaucoup de maisons semblent abandonnées voire carrément en ruines. Tout est si... si... Urgh.
Pourtant, rien ne semble perturber le Roi. Il semble tellement à son aise ici, je me demande comment il fait. Rien que les odeurs qui arrivent parfois à mon nez me soulèvent le cœur. Mes yeux repèrent quelques étals me permettant d'avoir quelques petits aperçus de la vie des gens ici, chose qui je dois l'avouer est intéressante. Je pourrais l'apprendre tout aussi bien à mon sens grâce à un livre que je pourrais étudier dans le confort de mon bureau, mais maintenant que je suis là, hors de question de me refermer. Surtout qu'il n'y a plus aucune chance que Sa Majesté change d'avis et fasse demi-tour -s'il y a eu un jour une chance du moins-.

Je garde cependant toujours un œil sur mon Roi, et je fini par voir quelques personnes poser son regard sur lui. Il ne passe pas du tout inaperçu, en effet. Instinctivement, je m'approche un peu plus de lui pour lui souffler quelques mots à l'oreille.

- On vous observe. Nous devrions presser le pas.

Impossible de me défaire de l'idée que personne ici n'a de bonnes intentions. Je sens d'ailleurs quelques yeux se poser sur moi. Sûrement suis-je trop bien coiffé, trop bien habillé, trop luxueux pour eux. Gardant ma cape solidement fermée sur moi, je lève une main en camouflant ma tête un court instant le temps de détacher mes boucles d'oreilles bien trop précieuses. Cela fait, je remet la cape en place alors que je glisse mes bijoux dans ma poche. Hors de question qu'on me les vole.

Je sens que je vais avoir du mal à dormir, entre le bruit, la puanteur, et ma hantise à l'idée qu'on vienne faire du mal à mon Roi dans notre sommeil.
Encore s'agirait-il de trouver un lieu où se reposer. Et manger. Idéalement quelque chose qui soit... comestible.