Son regard effrayé le hante et l'idée de la perdre le terrifie.
Faire le deuil de ses souvenirs et des morts est bien difficile, mais infiniment plus aisé que de pleurer les vivants et une amitié perdue.
Ne peut s'en prendre qu'à lui-même, les faits sont là : ce sont ses griffes qui ont lacéré sa chair, mues par l'intention de tuer.
Une part, plus rationnelle, cherche désespérément à se conforter, ses actions avaient été contrôlées contre son gré, volonté arrachée.
Dominée.
Se hérisse encore, lorsque son esprit s'aventure sur les événements de ce jour fatidique.
N'imagine pas son expérience à elle.
Il lui avait laissé de l'espace, s'assurant que la draconide arrive bien à Handrist en un seul morceau, restant à retrait aux abords de la capitale, suffisamment loin pour qu'on ne le remarque pas.
À observer silencieusement sa silhouette et celle de son Ulvgrim s'éloigner, avant de prendre son envol.
S'était laissé porter par les vents -son coeur-, vers une grotte bien trop familière et s'y était cloîtré une nouvelle fois.
Et les montagnes avaient veillées sur lui, quand le sommeil l'attrape.

C'est quelques jours plus tard que le courage de croiser ses iris de nouveau se manifeste.
Si les blessures bariolant son corps sont pansées, celles de sa trahison involontaire restent fraîches.
Sa queue traîne au sol, bout de ses ailes effleurant la pierre -ne voit plus l'intérêt de les dissimuler-, toujours aussi replié sur lui-même, Víkka, tente de se faire plus petit qu'il ne l'est réellement.
Il lève l'oeil vers la demeure, en même temps que sa main, toque.
Coups brefs sur le bois.

— Lilienthal ?

Son appel ne reçoit aucune réponse.
Ça ne l'étonne pas le moins du monde.
Pose le front contre la porte, inspiration tremblante.

— Pouvons-nous parler ?

Tentative de paix fragile, offerte avec toute la délicatesse dont il peut faire preuve.

— Je...

Voix lui faisant défaut, serre les dents.

— Je suis désolé.

L'orgueuil est resté enfoui dans la neige recouvrant les vestiges de la Cour, ne reste que la culpabilité.

Silence. On pourrait même penser qu’il n’y a personne dans la maisonnette, tant elle semble sans vie. D’ailleurs, rien ne répond à Vikka, pendant un moment. Ni au prénom, ni à la demande, ni même aux excuses soufflées contre le bois de la porte.

Rien.

Si ce n’est, au bout d’un moment, le bruit du portillon. Un pas feutré, lent, Moro qui semble observer le dragon redevenu draconide. Sa gueule est maculée de sang, il a chassé de toute évidence, puisqu’il ramène entre ses crocs ce qui semble être une cuisse d’un quelconque ongulé. L’ulvgrim le jauge, de toute évidence, avant de se dresser brièvement sur ses pattes arrière pour abaisser, sans délicatesse, la poignée et pousser la porte. S’il avance comme chez lui, c’est simplement pour déposer sa chasse sur le plan de travail du coin cuisine. Et il lance un regard, vers le lit, dans la pénombre.

“J’ai ramené de la viande… Vikka pourra se charger de la préparer.”

Un nouveau regard vers le “draconide”, et Moro sort, les laissant tous les deux.


Le sol de ta maison est jonché des pansements de la dernière fois que tu t’es soignée ; tu n’as pas vu l’intérêt de les retirer, tu n’as pas l’intention de recevoir qui que ce soit, ici. Même ta gemme de lien, si précieuse, est posée sur ta table de nuit, à côté de la cheminée éteinte.

Les jours sont passés, épuisants. Tes poignets n’ont toujours pas guéri, ton bras gauche te fait souffrir, les différentes plaies ont laissé des marques, pas encore des cicatrices, sur ton abdomen et tes jambes. Les hématomes, eux, sont encore douloureux mais dissimulés par la teinte de ta peau.

Mais tu as tout de même fait ce qu’il fallait pour tes parents. Prévenir le clan, tenir les rites adéquats pour ce qu’il restait de tes parents, rentrer. Tu n’as pas contacté Evane, depuis trop longtemps, et tu ne saurais plus quoi lui dire. Même à Moro, tu ne parles plus.

Et lui, tu le fixes. Blottie contre le mur, les cheveux devant les yeux, tu n’arrives pas à faire le tri. Colère ; frustration ; peur. Sensation d’abandon, culpabilité. Ton bras droit est serré autour de tes genoux, le gauche pend, enroulé dans des bandages qui se soient à peine, car tu ne portes qu’une chemise volée à ton amant, trop grande pour toi, rassurante.

Il partirait, tu en es sûre, si tu lui disais de partir.

Mais alors, tu serais réellement seule.

Retiens sa respiration, Víkka, attends patiemment.
Le manque de réponse le fait toutefois douter, s'appuyer un peu plus fort contre le bois.
À ouvrir la bouche puis la refermer, une fois, puis une seconde.
Mais un bruit derrière lui le fait sursauter, se retourne pour croiser le regard de l'Ulvgrim.
Gueule tâchée de rouge, morceau de sa proie fraîchement chassée entre les dents. Il l'intimide plus que de raison — une version de lui-même, d'une autre époque, animale et brute, se serait dit qu'elle pourrait aisément se battre contre lui et en sortir victorieuse. Celle d'aujourd'hui, fatiguée et rationnelle, sait pertinemment que l'approbation du loup est infiniment plus importante qu'un vulgaire combat d'égo.
Se décale lorsqu'il avance, reste immobile une fois la porte ouverte, incertain.
Ce n'était pas Lilienthal qui l'avait invité à entrer, mais Moro le fait de façon implicite, s'avance à l'intérieur sans un retard en arrière.
Et il le suit prudemment.

Il se fige toutefois bien vite.
Regard alternant entre les bandages éparpillés au sol, le bazar qui règne et la silhouette appuyée contre le mur.
La culpabilité est écrasante, lui arrache une expiration sifflante et l'impression de voir son coeur être broyé par cette dernière.
Puis, bien trop vite, ils ne se retrouvent que tous les deux — oeillade paniquée lancée à la créature qui s'éloigne, referme derrière elle.
Elle ne dit rien.
Lui non plus.
Son expression est crispée.
Il est loin, le fier dragon, ne reste qu'une ombre se fustigeant d'avoir été trop faible.
Se tire de sa torpeur, Vikka, se dirige vers le plan de travail, inspecte ce que Moro avait déposé sur ce dernier.
Autant s'occuper, canaliser l'énergie nerveuse qui menace de déborder.

— Je suis un piètre cuisinier.

C'est soufflé pour meubler le silence.
Il incline la tête de côté, sourcils froncés, alors qu'il s'affaire à nettoyer la pièce de viande.
N'ose toujours pas la regarder, ni détailler l'étendue des blessures qu'il lui avait infligées.
Bien forcé de l'avoir en périphérie de sa vision quand il doit s'approcher de la cheminée, pose un genou au sol -ignore ses muscles endoloris, la douleur qui ne s'est pas encore estompée- et tend sa main libre pour raviver le feu agonisant, éclaire plus pleinement la pénombre dans laquelle elle s'était réfugiée.
La tension de ses épaules s'affaisse en même temps que celle de ses ailes, ramène son bras contre lui.

— Je suis tellement désolé.

Sa voix est à peine plus audible que le crépitement des flammes.

— Je ne-

Elle s'abîme, se casse.
Ferme l'oeil, Vikka, inspire.

— Je ne voulais pas te faire du mal.

On l'avait obligé de le faire.

— Si tu le demandes, je vais partir.

Lui laisserait tout l'espace dont elle avait besoin.
Et si Lilienthal décidait que sa présence était trop difficile à supporter, qu'elle ne souhaitait plus le voir, il s'assurerait d'honorer son souhait.

Sa voix te tire un frisson. C’est viscéral, ancré au plus profond de ton esprit. Tu ne veux pas avoir peur, mais quand même, c’est là. Tu sais que tu devrais parler, passer au-dessus de tout ça, à autre chose, mais tu n’y arrives pas. C’est encore la tempête dans ta tête, dans ton coeur. Et en reflet de tout ça, ton corps est en morceaux…

Tu acquiesces quand il parle d’être mauvais cuisinier. Tu t’en fous. Tu n’as pas faim, mais tu sais que tu dois manger, alors tu avaleras ce qu’il proposera, qu’importe le goût. Tu observes ses ailes, basses, vaincues. Nouvelles. C’est étrange pourtant, il devrait être vainqueur, mais tu comprends. Ce n’est pas face à toi qu’il a perdu, mais bien pire. Vous avez tous perdu.

Tu ne vaux rien.

Ses excuses s’écoulent difficilement, les pensées se télescopent, celles qui tournent en boucle, les souvenirs, la transformation, la sienne. Si tu n’étais pas sûre de ce que tu as vu, c’est de plus en plus dur de penser le contraire, maintenant qu’il est face à toi.

Tu ne dis toujours rien, le laissant dans la mélasse épaisse de ses excuses. Tu devrais en faire, toi aussi. Parce que tu as merdé, parce que tu l’as blessé, et le voir encore meurtri par tes coups. Tes pieds bruissent à peine sur les couvertures lorsque tu les ramènes un peu plus vers toi.

Si lui arrive à s’excuser, pourquoi pas toi ?

“Tu n’avais pas le droit de me retenir.”, mais toi, c’est ta manière de le faire. En lui demandant sans le dire de ne pas partir.

Tu ne le regardes toujours pas, pourtant. Ta voix est rauque, plus que d’habitude, de ne pas avoir parlé pendant longtemps. De toute évidence, même Moro a droit à tes silences plus que tes paroles. Tu tousses, jette un oeil à l’eau, sur la table de nuit. Se rapprocher de lui, non, pas tout de suite.

“Je sais pas si ça aurait changé grand chose ; je m’en fous. C’est mon droit de décider quand me battre. Personne”, pas même la générale, pas même le roi : quand tu es dans cet état, le berserk est souverain. “ne peut s’arroger cette décision.”

L’amertume remonte progressivement. C’est encore gravé au fer rouge, les souvenirs quand tu cèdes à tes instincts guerriers sont à la fois plus flous sur les détails, plus vifs sur les émotions.

Trahison


“Surtout pas quand je suis dans cet état. Je.. je t’ai attaqué. Et toute l’énergie que j’aurais dû mettre à éliminer ce connard… ”

Ta gorge enfle brièvement, de l’intérieur. Tu luttes avec la colère, comme toujours, mais tu es trop épuisée pour ça. Sentiment d’être une de ces pâtisseries qui aurait dû monter sous l’action du four, mais qui retombe simplement, épuisée.

“... Comment vont tes blessures ?”, finis-tu par demander, d’une toute petite voix.

Les flammes crépitent.
Seules entités en mouvement, jusqu'à ce que Lilienthal bouge, bruissement discret des couvertures.
Ne tourne pas la tête, Víkka, par peur de briser la paix précaire.
Tu n’avais pas le droit de me retenir
S'il accuse ses mots silencieusement, son corps réagit malgré lui — semble se refermer sur lui-même.
Il n'aurait pas dû.
Mais une partie égoïste l'avait motivé à le faire, la source inespérée de réponses à ses questions les observait, sang de siens maculant sa joue.
Puis, il y avait aussi Fornyelse, un dragon vivant.
De chair et de sang, comme lui-même l'était.
La générale avait aussi ses propres interrogations, et sur le coup, l'idée ne lui avait pas semblée mauvaise.
Il avait eu tort.

— Je sais.

Admission.
Elle reprend la parole, rappelle qu'elle seule est maîtresse de ses décisions.
Son amertume est aussi palpable que sa culpabilité.
Et c'est à son tour de pointer qu'elle l'avait aussi blessé, toute aussi déterminée à le mettre hors d'état de nuire pour avoir osé la retenir.
Ils auraient dû se battre contre l'inconnu.
S'étaient plutôt fracassés l'un à l'autre.
Quand sa voix s'élève de nouveau, c'est pour s'enquérir de son état.

— Oh...

La douleur est diffuse, qu'il note distraitement.
Pas assez présente pour l'empêcher de bouger, stupidement résilient de nature et borné par-dessus le marché.
Il n'avait pas été capable de rester immobile plus longtemps, s'était suffisamment ménagé -à son humble avis- et il devait impérativement venir la voir.
Lion en cage, barreaux formés par l'inquiétude.

— Elles vont mieux. Elles...

Vague mouvement de la main, désigne ses jambes.

— Tirent toujours. Je vais m'en remettre.

Sa mine se fait soucieuse, sourcils toujours froncés.

— Les tiennes ?

Ne fait pas l'effort de prétendre qu'il n'est pas terrifié d'entendre ce qu'elle a à dire, déjà alarmé par les pansements jonchant le sol.

Tu suis son mouvement. Bien sûr. Il ne se battait pas encore, et toi, tu n’as eu aucune hésitation. Un frisson te parcourt, ton silence pèse durement sur ton esprit. Parce quoi qu’il dise, tu sais très bien que les cicatrices qui resteront sur sa peau, c’est à toi qu’il les devra.

Mais toi aussi, non ?

Tu sens d’ailleurs son inquiétude, lorsqu’en deux mots il te demande la pareille. Tu ne sais pas quoi répondre, pendant un instant. Ton coeur est un gouffre, ton égo n’est plus que miettes. Ta main droite vole vers ton flanc, caché par un t-shirt un peu trop grand.

“Ma tante… C’est la shamane du clan, elle s’est occupée du plus important. On pourra enlever les points bientôt.”

En soi, tu as déjà eu des points, sans que ce soit traumatisant. Tu tais les côtes cassées, qui finiront bien par guérir, tu tais les hématomes, ce n’est pas très douloureux. Par rapport à…

“Et le bras… pour l’instant j’attends que la peau se reforme.”

Une grimace qu’on pourrait prendre pour un sourire. Il t’a pas loupée.

“J’ai cru que tu allais m’achever.”, tu parles plus doucement. “J’ignorais que tu crachais du feu.”

Il y a beaucoup de choses que tu ignorais à son sujet ; et c’est une proposition, bien à la vollhyr, de parler du voldrak dans la taverne plutôt que l’ignorer, ou de laisser le sujet couler. Tu ne comptes pas le forcer à en parler, tu peux faire semblant. De toute façon, tu n’es même plus sûre de toi.

Après tout, personne dans le clan ne t’a réellement crue pour l’homme qui a relevé les morts. Dois-tu encore croire tes yeux, lorsqu’ils l’ont vu se transformer en dragon ?

Statue dont seul l'oeil encore valide bouge, suit ses mouvements au fil de ses mots, hématomes, côtes brisées et bras abîmé — reste accroché à ce dernier, à l'épiderme qui porte les vestiges de leur combat.
Ses lèvres se pressent l'une à l'autre, fine ligne blanchissante sous la pression exercée.
Ne rate pas son sourire grimaçant.
Et son aveu lui arrache de force le souffle qu'il retenait sans même le savoir.
Expiration sifflante.

— Je- Je ne le voulais pas.

C'est grondé dans un murmure rageur.
Mais pas à son encontre, jamais la sienne.
Plutôt réservé à l'inconnu qui lui avait dérobé l'opportunité d'exécuter ses propres choix.

— Il...

Admettre sa défaite face à son influence attire sa colère.

— Je n'étais plus en contrôle. Sa volonté écrasait la mienne.

Ne peut s'empêcher de penser au dragon qui l'accompagnait.
Était-il sous son joug ? S'était-il battu, si c'était le cas ? Ou était-il complice des atrocités commises, en pleine possession de ses moyens ?
Il n'en saurait rien, s'il restait enfermé à Vollheim.
Se redresse, Víkka, non sans effort -masse du bout des doigts l'une de ses cuisses-, retourne vers le plan de travail et le butin délaissé pour récupérer ce dernier.
Regard vagabondant sur la petite cuisine, cherche à trouver les outils nécessaires pour faire cuire la viande, se résout finalement à la broche, s'occuperait de manier le feu pour la cuisson.

— J'ai tu beaucoup de choses.

Il reste immobile une seconde, mains posées sur le comptoir.

— Mes souvenirs. Ceux d'avant la Selkryssingr. Ils m'échappent.

Reviens vers la cheminée, s'attèle à la tâche sans piper mot, s'efforce de trouver les mots adéquats pour faire la lumière sur le secret qu'il n'avait dévoilé à personne.
Lilienthal méritait toutefois des réponses.
Et une part de lui est soulagée de se départir du poids qui s'était accumulé sur ses épaules au fil des années.

— Je me suis réveillé et je vous ai vus. Différents et semblables à la fois.

Ébauche de sourire éclairant ses traits.

— Et vous m'avez accueilli.

Mais l'orage n'est pas bien loin, assombrit son expression tout aussi vite.
Treize ans de vie commune, ne suffisait que d'un ordre pour le forcer à se retourner contre eux.

Quelque part, tu sens un poids se soulever discrètement, sur ton estomac. Qu’il n’ait pas songé, lui, à t’achever. Quelle vision de toi-même as-tu, pour arriver à penser qu’un ami puisse t’éliminer ?

Oh, ça n’a rien de rassurant qu’on puisse contrôler un être aussi puissant ; une raison de plus pour éliminer la menace, le plus rapidement possible. Avant, c’était pour ton pays, pour Arathia, par devoir, presque. Là, c’est personnel…

Si tu ne lui promets pas sa tête, c’est que tu as conscience de ton état ; que les paroles s’envolent, les promesses s’effacent, mais le sang, lui, est la seule vérité. Votre affront, vous le laverez dans le sang de cet homme, si tant est qu’on puisse lui donner ce nom.

Et la question fatidique tombe. Tu observes sa silhouette, déjà moins gênée de le regarder, alors qu’il s’occupe de la viande laissée par Moro. Sans ton ulvgrim, quelqu’un penserait-il à te nourrir, toi qui a rejeté tout le monde, vu ton état ?

Alors tu te tais, et tu écoutes.

Il ne parle pas beaucoup, Vikka, ça a toujours été Yule le liant à ce niveau là. Mais tu imagines ; difficilement. Les question s’amoncèlent, les réalisations. Fornyelse. Les dragons qui n’existaient plus.

Vikka qui a dû penser qu’il était le dernier.

Vikka, un dragon.

Il s’occupe de la viande, les traits éclairés par le feu, humble, perdu. Seul. Tu attends qu’il ait terminé, silencieuse, incapable de savoir quoi lui dire. Puis tu bouges, lentement, dépliant tes jambes pour t’approcher du bord du lit, poser les pieds par terre. Il suffit de te voir bouger pour comprendre que t’en chies encore sérieusement, mais est-ce que ça t’a déjà arrêté ?

“Debout.”, ton ton ferait obéir des montagnes.

Tu ne saurais pas lui dire qu’il est quand même chez lui. Que vous pouvez être ce qui reste de sa famille ; peut-être que c’est ton propre besoin qui parle, qu’importe. Tes bras passent autour de ses hanches, même si ton gauche n’a aucune force. Ton visage s’enfonce dans son ventre, tes cornes pincent la chair à travers les vêtements.

“Serre moi.”, nouvel ordre. Peut-être qu’il n’y en a pas besoin, mais qu’importe. Tu en as besoin, toi.

Qu’il te serre ; mais pas trop fort.

Laisse le silence s'étirer, mine toujours sombre malgré les flammes.
Ne voit pas ce qu'il peut dire de plus, la laisse digérer l'information sans chercher à lui soutirer une réponse, une réaction.
Fait tourner la viande mécaniquement, et bien vite, cette dernière est prête — force le feu à diminuer d'intensité, ne lui offre que le bois déjà présent dans l'âtre pour se nourrir, résidus de magie s'atténuant déjà.
Le mouvement est capté en périphérie de vision, pas entièrement dans son angle mort, et lui fait tourner la tête.
Inquiétude mêlée à l'incompréhension, se redresse déjà pour lui dire de ne pas bouger, qu'il ne faut pas qu'elle aggrave son état.
Seulement arrêté par sa détermination.
La fixe sans rien dire, sourcils froncés, prêt à se mouvoir, au cas où ses jambes lui feraient défaut.
Debout.

Ce sont les siennes qui refusent de se plier à sa volonté, restent immobiles plus longtemps que nécessaire.
Déplie finalement ces dernières, craquement audible s'accordant à ceux des braises, et lorsque Lilienthal s'avance vers lui, c'est instinctif.
Muscles crispés.
Mais elle glisse ses bras autour de ses hanches, visage pressé contre son corps et ses cornes s'enfoncent légèrement dans sa peau.
C'est tout ce qu'il lui faut pour trembler.
A toujours été droit, Vikka, à endurer sans vaciller ni chanceler, à l'image des montagnes qui l'avaient vu naître.
Par orgueuil et détermination, puis par nécessité et habitude.

Fléchis pourtant les genoux, étreinte retournée avec une douceur féroce, obéit à sa demande sans rire quoi que ce soit d'autre.
Son oeil reste fermé, lèvres pressées l'une contre l'autre, gorge nouée.
Il avait tout perdu une fois, terrifié à l'idée que ce soit de nouveau le cas.
Et l'espoir s'était presque éteint.

— Merci.

Murmure enroué.

Il s’attend à ce que tu le frappes ; tu ne sais pas si c’est parce qu’il estime que tu es en droit de le faire, ou parce que tu as, toi aussi, inscrit la peur dans sa chair. Peut-être qu’il va te repousser, se crisper plus encore. Tu le sens trembler, contre toi, avant qu’il ne se baisse - si tu avais réfléchi, tu lui aurais dit de rester assis - pour t’enlacer en retour.

Doucement, tu t’installes un peu mieux contre lui, disparaissant à moitié dans ses ailes et ses bras. Tu en as besoin, de cette étreinte, de le sentir vivant contre toi. De savoir que oui, vous vous êtes blessés, gravement même, mais que vous existez encore l’un pour l’autre. Et tu réalises que lui aussi, que la solitude si typique qui vous enroule doit être plus intense pour lui. Quand il te remercie, tu sens brièvement ta gorge se nouer. Tu serres un peu plus fort, jusqu’à ce que ton bras te rappelles que c’est idiot.

“Je suis là.”, souffles-tu, tout doucement.

Il te faut un moment pour que ta petite main entame un mouvement dans son dos. Tu ne sais pas vraiment si tu tapotes, si tu frottes, mais tu lui montres qu’il est ta famille, en un sens. Que ce soit un dragon isolé ou un simple draconide, Vikka, tu ne l’abandonneras pas. Progressivement, tu sens la tension retomber. S’il ne te soutenait pas, certainement t’écroulerais tu, mais tu tiens bon. Tu t’accroches, jusqu’à ce que vos coeurs soient accordés et qu’enfin, ton esprit se calme un peu.

Je suis là
Ça suffit à fissurer le peu de contrôle qu'il possédait encore sur lui-même.
Le tremblement qui l'agite est ponctué d'inspirations laborieuses, vision troublée par les larmes silencieuses qui lui échappent.
Il sent ses bras se mouvoir dans son dos, ses cornes toujours douloureusement appuyées contre sa peau, mais il ne bouge pas, reste immobile malgré les protestations de ses muscles sifflant d'être sollicités de la sorte.
Ne s'agenouille pas pour autant, s'improvise involontairement bouclier dans son étreinte et ses ailes précédemment crispées par l'appréhension se déplient, grattent le sol dans le mouvement et la plonge dans une obscurité à peine perturbée par les flammes qui vacillent désormais.

Ce n'est que lorsque la tempête subsiste, qu'il se sent apte à respirer sans être secoué par un flot d'émotions qu'il n'a jamais eu l'occasion d'apprivoiser, que Víkka se redresse.
La libère d'une étreinte aux allures d'étau, tant la peur de la perdre avait été viscérale.
C'est un oeil encore humide qui se pose sur elle, le reste de son visage arbore son usuelle neutralité -factice à l'heure actuelle-.
Inspire.

— L'histoire prétend qu'il n'y a plus de dragons.

L'histoire s'est trompée, en est la preuve vivante.

— Je pensais être une exception, mais...

Fornyelse en est une.
Anomalie.
Et personne n'était disposé à croire les faits qu'ils avaient pourtant observés et expérimentés, blessures et futures cicatrices en souvenirs macabres.
N'a pas envie que son secret s'ébruite, incertain quant à sa réception, au vu de la situation dans laquelle ils se trouvaient.

— Cette information ne doit pas sortir d'ici.

Murmure, entre deux crépitements.

— Pas tout de suite.

Blottie, protégée de tout par le cocon que forme Vikka avec son corps, tu ne dis rien face à l’étau qu’il t’impose. Ses émotions sont fortes, les tiennes se vident, petit à petit, alors que tu demeures silencieuse, sans compter les secondes qui s’écoulent tranquillement. Ca fait du bien ; tu as brièvement l’impression de ne plus être seule au monde. En le rassurant, c’est toi aussi que tu rassures, égoïstement.

Mais l’étreinte s’éteint, tu respires mieux mais la solitude semble plus intense, brièvement. Tu t’écartes à retardement, lève le nez face à son impassibilité qui manque de crédibilité. A se demander combien de fois, avant ça, tu t’es faite avoir par son sérieux. Tu lèves même la main, essuyant sa joue avec le sérieux qui te caractérise trop.

Les dragons existent. Tu ne sais pas encore tout ce que ça implique, mais tes tripes hurlent que c’est capital. Tu n’es pas encore sûre, pour Fornyelse, de ce qu’il est. Ton coeur refuse ce que ta logique t’impose, tes habitudes de soldat te poussent à obéir à ce que ta supérieure te dirait. Mais elle aussi, elle est démunie.

“Non, bien sûr. Je ne dirai rien ; à personne.”

Tu emporteras ton secret dans la tombe, quitte à t’assurer qu’il ne reste rien de ton corps pour pouvoir te rappeler et te forcer à parler. Le genre de promesse un peu sordide, importante pour toi, que tu ne verbalises pas. Pas la peine. Tu ramènes ta main, traines dans ta maison sans dessus dessous pour chercher dans la cuisine deux assiettes. Rien de propre, tu fronces le nez, suivant le fil de tes idées.

“Mais tu dois faire partie de la Griffe Ardente.”, tu veux qu’il reste proche. “Ce serait… Un peu ridicule, que le seul vrai dragon de Vollheim soit un simple soldat.”

Le royaume tout entier devrait être à lui.

Tu repousses l’idée, par loyauté envers Hrodig.